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vendredi 25 avril 2025

Annie Ernaux L'atelier noir

 

Référence : Annie Ernaux, L'atelier noir, éditions Gallimard, 19 septembre 011, réédition augmentée 2022, Poche 2022, 180 pages

« 
Commencer un livre, c’est sentir le monde autour de moi, et moi comme dissoute, acceptant de me dissoudre, pour comprendre et rendre la complexité du monde. »

Annie Ernaux a tenu un Journal pendant 25 ans où elle a noté ses réflexions et pensées sur sa vie, les menus faits du quotidien et ses recherches en matière d’écriture.  Régulièrement, elle en a publié  des parties, dont celui-ci qui se présente sous la forme d’une longue interaction avec elle-même. C’est aussi une façon de voir comment s’élabore peu à peu ce qui deviendra un livre, émergence des idées, leurs relations et leur logique mais aussi ses questionnements et ses doutes.

Dans ce Journal d’écriture, on trouve des notes de lectures, la façon dont elles nourrissent son écriture, les idées brutes  de livres à écrire.  La question du locuteur (elle ou je) est omniprésente comme écrire dans le doute et la douleur ou l’indispensable réalisme puisqu’elle insiste sur le fait qu’il y ait « le moins de différence possible entre la vie et la littérature. » Elle travaille la matière brute, sans ordre,  évitant de « se mettre en scène » y compris dans sa fonction d'écrivaine.

L’atelier noir se présente comme un Journal d'avant-écriture tel qu’elle le définit dans les deux préfaces de ses deux éditions, la première parue d'abord en 2011 puis la seconde rééditée en 2022.

       

On y trouve des notes prises au verso de feuillets déjà utilisés où elle explore le problème de la forme, les pronoms à importants ou l'intention recherchée. On plonge ainsi dans son processus de création, les efforts pour y parvenir, les solutions qui font sa spécificité comme "l'écriture objective", sa volonté de placer l'Histoire au centre du récit, comme elle dit, « faire sentir l'épaisseur du réel, ses significations multiples, les gens, les actes des gens, leurs mots. Un point sûr, acquis. » (p. 23).

« Comment agencer tout cela, se demande-t-elle : que l'amour c'est de l'écriture vécue, que l'écriture c'est de l'amour écrit ? ». En tout cas, elle sait ce qu’elle ne veut pas : pas de désincarnation ou de sentimentalisme, pas de rêve et d'imaginaire mais un recours continuel à la réalité, voir, recevoir l’image sur la rétine.  

« Le plus dur, précise-t-elle, c'est de me dépouiller du "regard" de la société, de ce que j'imagine qu'elle attend, et auquel, finalement, je ne peux répondre qu'en niant cette attente, même en m'inscrivant contre. Aller à ce désir qui se fiche que l'écriture aboutisse ou non à un livre. Me situer en dehors du livre, lui aussi social, lui aussi institution. « (p. 87)
La dynamique qu’elle crée, c’est finalement réaliser une osmose entre tous les éléments constitutifs de sa démarche..
.


Dans le processus créatif

On la suit dans son "atelier noir" à travers les pistes essentielles de ses recherches,  dans un dialogue incessant avec elle-même :
-  son écriture photographique faite de références à cet art, focus, distance, grand angle, éclairage, temps d'exposition, durée…

-  Son appétence pour le concret, la réalité des faits, des corps, des objets. [1] Pas question de chercher à séduire le lecteur mais une prise de risque maximale : « Il y a une chose que je sais par dessus tout, c'est que je peux écrire dangereusement. »
Saisir la réalité extérieure, notamment celle des objets, intégrer les images fantômes de ces objets, lui permet  de saisir aussi sa réalité intérieure.

Son propos n’a rien de commun avec par exemple la démarche de
Joyce Carol Oates dans « Paysage perdu » sur les motivations qui l'ont conduite à l'écriture,  c’est un questionnement sur l’écrit, un système, une force vitale qui a sa propre logique et dont la forme donne le sens.

Cet atelier noir est comme la chambre noire du photographe, là où se révèlent les clichés. Annie Ernaux y façonne le creuset des mots, cherche la place de l’écrivain dans ses écrits, le balancement entre « je » et « elle », son point de départ dans cette dynamique, à travers une histoire et un environnement social.


Notes et références
[1] Elle cite Gide : «  Ce qu'un autre aurait fait aussi bien que toi, ne le dis pas – aussi bien écrit que toi, ne l'écris pas. Ne t'attache en toi qu'à ce que tu sens qui n'est nulle part ailleurs qu'en toi-même. »


Voir aussi :
* Annie Ernaux,
Le vrai lieu -- Mémoire de fille La place -- Les Années --

* Annie Ernaux à Cergy -- AE chantre de l'autofiction --
* L'art d'écrire -- 

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<< Christian Broussas • Annie Ernaux Atelier noir  © CJB  ° 02/04/2025 >>
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