lundi 28 janvier 2013

Patrick Modiano

Patrick Modiano, une jeunesse en pointillés

Patrick Modiano, Grand prix du roman de l'Académie française 1972, prix des libraires 1976, prix Goncourt 1978, prix Cino del Duca 2010, prix Marguerite-Duras 2011

  « C’est l’oubli le fond du problème, pas la mémoire. » (Patrick Modiano)  

               Modiano en 2012

Aborder la personnalité complexe de Patrick Modiano, c'est d'abord tracer l'itinéraire tumultueux, sinueuse de ses parents et accompagner le jeune homme dans ses tribulations. Albert "Aldo" Modiano et Louisa Colpijn, [1] une flamande traductrice à la société "Continental", se rencontrent dans Paris occupé en octobre 1942. Lui a quelque peu trafiqué dans sa jeunesse, touché à la finance et au pétrole sans succès et a fini par ouvrir une boutique "chic" boulevard Malesherbes jusqu'au début de la guerre. [2]

Depuis début 1943, le couple réside à Paris 15 quai Conti près de l'Académie française, face à la Seine, mais leur fils aîné va naître le 30 juillet 1945 dans une maternité du "Parc des Princes", 11 allée Marguerite à Boulogne-Billancourt. [3]Ses parents mènent leur vie chacun de leur côté, lui tout à ses affaires, elle à ses tournées d'actrice et laissent les enfants, Jean-Patrick [4] et son frère Rudy, à leurs grands-parents maternels, des Belges flamands. [5]


* 1945 Naissance à Boulogne-Billancourt
* 1957 Mort de son jeune frère Rudy        
* 1967 Premier roman, La Place de l'Etoile.
* 1970 Epouse Dominique Zherfuss          
* avec qui il a deux filles, Zina et Marie   
* 1973 "Lacombe Lucien" de Louis Malle
*1978 "Rue des boutiques obscures"      
* 2005 "Un pedigree", autobiographie     
* 2010 Parution le 4 mars de "L'Horizon"   
* 2012 Parution de "L'herbe des nuits"      

Adolescence chaotique, en nourrice à Biarritz pendant deux ans puis à Jouy-en-Josas, toujours avec son frère, chez une amie de sa mère "aux mœurs légères". Après qu'elle fût arrêté pour cambriolage, Patrick et son frère Rudy se retrouvent dans la lourde atmosphère familiale en février 1953, alternant avec leurs nombreuses absences, toujours pour les mêmes raisons, les affaires du père et les tournées de la mère. Le brusque décès de son frère Rudy en février 1957, alors âgé de dix ans, le laisse désemparé et marqué pour longtemps. [6] Pour lui va commencer la dure expérience de la vie de pensionnat, d'abord à Jouy-en-Josas à l'école du Montcel où il fugue plusieurs fois, puis à Thônes en Haute-savoie, au collège Saint-Joseph, aux conditions encore plus difficiles qu'à Jouy.
 
De retour à Paris en 1962, il se sent écartelé entre une mère au chômage qui l'a recueilli et un père qui s'est remarié et le rejette de plus en plus. Les années 60 sont formatrices, très présentes dans son œuvre, il a entre 17 et 22 ans et dit-il dans une interview, [7] « C’est mon moteur romanesque parce que c’était une période bizarre, chaotique. Je n’avais aucune assise familiale ou sociale. Ces éléments reviennent sans arrêt comme des rêves récurrents.  »

Même s'il est inscrit à la Fac, après des années d'errance dans plusieurs pensions, il a arrêté ses études, reste à Paris où il occupe une chambre chez une mère toujours absente. « J’étais livré à moi-même. Une période de rencontres étranges, avec des gens plus âgés, qui me donnaient le sentiment d’un danger permanent. L’impression, n’étant pas majeur, d’avoir tout vécu de façon illégale, dans la clandestinité. »

  

Sa femme Dominique Zehrfuss et leur fille Marie

A partir de l'été 1963, pour subsister il se livre à quelques trafiques, revente de livres volés, fausses dédicaces, demande de l'argent à son père et finit par se brouiller avec lui et surtout avec sa belle-mère qui lui voue une haine tenace. Sa chance, sa bonne étoile, c'est Raymond Queneau, un ami de sa mère, qui très tôt le prend sous son aile, le reçoit chez lui à Neuilly et l'introduit dans le monde littéraire, chez Gallimard en particulier. A la fin des années 60, il s'impose peu à peu comme un écrivain important, avec deux romans remarqués, La place de l'étoile en 1967 et Les boulevards de ceinture qui sera couronné par l'Académie française en 1972. Après la chanson qui lui vaudra une solide amitié avec Françoise Hardy, [8] il se tourne vers le cinéma, signant le scénario de Lacombe Lucien qui déclenche une polémique sur l'absence d'engagement du héros [9] et le ramène une fois encore à l'époque de l'Occupation.

Modiano                       Son père

 Au temps de la communication où les artistes se mettent souvent en scène, le personnage [10] dénote dans le paysage médiatique, sa longue silhouette un peu voûtée, « ses bégaiements menacés par l'aphasie, » a écrit un journaliste, ne le cèdent qu'à « sa prose tourmentée par les fantômes de l'Occupation. » N'a-t-il pas écrit lui-même : « Les trucs que j'écris, ce ne sont pas vraiment des romans, ce sont des segments, des trucs que j'ai pris, malaxés.» Il a conservé quelque chose du solitaire, sans véritable réseau, ayant refusé de siéger dans des jurys ou des institutions prestigieuses et il a mis rapidement fait fin à son rôle d'éditeur chez Gallimard.Il se posera vraiment dans les années 1970 avec son mariage le 12 septembre 1970, avec Dominique Zehrfuss, la fille de l'architecte du CNIT Bernard Zehrfuss [11] et en novembre 1978, il reçoit le Prix Goncourt pour son sixième roman Rue des boutiques obscures.
 

     

Modiano en 1955 et son frère Rudy, avec Françoise Hardy en 1978

Notes et références 
[1] Connue comme actrice sous le nom de Louisia Colpeyn
[2] Le père aura de louches fréquentations pendant la guerre et s'enrichira dans le marché noir
[3] « Je suis né d'un juif et d'une Flamande qui s'étaient connus à Paris sous l'Occupation» écrit-il laconiquement dans "Pedigree" 
[4] Son nom de baptême est en effet Jean-Patrick
[5] Ceci explique que la langue maternelle de Modiano soit le flamand
[6] Il dédiera tous ses premiers romans publiés entre 1967 et 1982 à ce frère trop tôt disparu. « Le choc de sa mort a été déterminant. Ma recherche perpétuelle de quelque chose de perdu, la quête d’un passé brouillé qu’on ne peut élucider, l’enfance brusquement cassée, tout cela participe d’une même névrose qui est devenue mon état d’esprit. » (Entretien avec Pierre Assouline). Il écrira encore dans son autobiographie "Un pedigree" : « En février 1957, j’ai perdu mon frère. (…) A part mon frère Rudy, sa mort, je crois que rien de tout ce que je rapporterai ici ne me concerne en profondeur. »
[7] Site Lesinrocks, interview par Nelly Kaprièlian du 30 septembre 2012
[8] le romancier écrit en particulier un "tube" pour Françoise Hardy, "Etonnez-moi, Benoît !" puis une chanson pour Régine intitulée "L'Aspire-à-coeur" 
[9]  C'est en fait le réalisateur "Louis Malle" qui en supportera les conséquences
[10] Connue comme actrice sous le nom de Louisia Colpeyn
[11] avec qui il aura deux filles "Zina" en 1974 et "Marie" en 1978, poétesse et chanteuse



Références bibliographiques

Voir aussi mes autres articles sur Patrick Modiano :
* L'horizon  --  L'herbe des nuits  --  Dora Bruder
* Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier -- Quartier perdu --
*
Voir aussi mon Site Modiano et Ma Catégorie Modiano --
<<< Christian Broussas - Feyzin - 27 janvier 2013 - <<< © • cjb • © >>>
 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire