Sommaire
1- Historique et présentation
2- Un homme en sursis
3- Automne 1995 et fin de l'année
4- L'année des adieux
Les derniers jours de François Mitterrand est un récit biographique écrit par Christophe Barbier, journaliste et directeur de l'hebdomadaire L'Express qui a obtenu le prix Combourg pour cet ouvrage en 2011. [1]
Édition : Christophe Barbier, Les derniers jours de François Mitterrand, éditions Grasset & Fasquelle, décembre 2007, isbn 2246513324.
1- Historique et présentation
Les derniers jours de François Mitterrand est un récit des derniers mois vécus par l'ancien président de la république. Il dépeint un homme qui, même très diminué, regarde encore la mort en face, revient sur certains épisodes de sa vie.Il s'interroge en particulier sur des moments difficiles comme son attitude face au régime de Vichy, ses relations avec René Bousquet, les femmes qu'il a connues et celles qui ont marqué sa vie, les amitiés et les fidélités indéfectibles qu'il a pu susciter.
Ce ne sont pas moins d'une centaine de personnes qui pour la plupart ont bien connu François Mitterrand, qui ont apporté leur témoignage à cet ouvrage qui couvre la période mai 1995 à janvier 1996. Après avoir quitté ses fonction de Président de la république, François Mitterrand prépare "sa sortie", il veut écrit Christophe Barbier «bâtir sa propre légende et sculpter sa sa statue pour l'Histoire». Du 17 mai 1995 au 8 janvier 1996, il part en voyage à Venise, à Belle-île, à Assouan, jusqu'à Colorado Springs aux États-Unis pour évoquer la 'guerre froide', ou plus près de "chez lui", dans l'église troglodyte d'Aubeterre en Charente. Il est « le dernier à faire de la politique un art et non un métier. »
2- Un homme en sursis
Christophe Barbier voit dans cette dernière période de la vie de l'ancien président sa volonté -sinon son obsession- de peaufiner son image pour la postérité. Redevenu simple citoyen, il se place toujours face à l'Histoire. Témoin Georges-Marc Bénamou conduisant des entretiens qui deviendront Le dernier Mitterrand [2] ferraillant avec lui sur les ombres de sa biographie, pour l'année 1942 par exemple et sa chronologie controversée.
L'auteur le voit comme « l'envers de Lamartine », son côté littéraire comme le voit François Nourissier [3] qui a porté plus haut son ambition politique mais a abandonné toute ambition littéraire. François Furet lorgne plutôt vers Thiers, et c'est peut-être drame de François Mitterrand pense Barbier «de rêver d'être Lamartine et choisir d'être Thiers » C'est dans la sérénité du château de Cormatin vers Macon, lieu lamartinien s'il en est, où il passe toujours en revenant de Solutré, qu'il se recueille, « ce lieu de la lecture et de la méditation. » [4]
Son livre d'entretiens s'appellera finalement Mémoires interrompus, aussi bien contre les Mémoires de guerre que Les Antimémoires de Malraux suppute l'écrivain Marc Lambron. [5] On distingue en filigrane l'ombre tutélaire du général de Gaule, son "anti-ego", deux pôles antagonistes où "de Gaule et Mitterrand marchent dans l'histoire à contretemps." [6] En juin 1995, après des échanges aigres-doux sur Bousquet, c'est la rupture avec Élie Wiesel, tandis que paraît leur dialogue "Mémoire à deux voix".
L'Été 1995 Au début du mois d'août, quand il sait que la maladie ne le lâchera plus, après une halte à Latche, François Mitterrand passe quelques jours dans sa Charente natale près d'Aubeterre, logeant à l'hôtel du Mas du Montet qu'il connaît bien et va se recueillir dans l'église troglodyte. Fin août, il rentre à Paris très fatigué. Désormais, il va tâcher de 'négocier' avec la maladie.
Le 13 septembre, il reçoit le ministre Michel Barnier chez lui dans son appartement du 9 avenue Frédéric Le-Play, pour parler Europe et Bosnie. Pour lui, l'histoire est ce qui explique les situations politiques, les guerres; un jour, il a rétorqué à Bernard Kouchner : « Vous ne connaissez pas l'Histoire. Aucune décision ne peut être prise en Europe si l'on ne connaît pas l'Histoire. » [7] De même en 1994, il a eu ce jugement percutant : « Le nationalisme, c'est l'opium des imbéciles. » [8]
3- Automne 1995 et fin de l'année
Il continue de voir régulièrement Georges-Marc Bénamou pour écrire ses "Mémoires" et préface le livre poignant de son ami Marie de Hennezel, La mort intime. [9] Fin septembre, il est à Belle-Ile dans "une lumière d'équinoxe comme seule la Bretagne sait inventer, dans la foulée de ses tempêtes, éclairait le paysage..." [10]
Avant le souci de sauver sa place dans l'Histoire, François Mitterrand veut se positionner face à la mort. Il pense à son amie Violet Trefusis, au film Carrington qu'il a vu récemment, sur la fin de l'écrivain Lytton Strachey et qu'il voit comme une façon de dominer la mort. [11] Pour Laurent Fabius qui venait de publier Les blessures de la vérité,
Après un colloque aux USA à Colorado Springs organisé par George Bush où il revient sur ses positions lors de la réunification allemande, il reprend la rédaction de son livre sur l'Allemagne où, de nouveau, il se défend d'avoir voulu la retarder. [17] Novembre plutôt calamiteux pour l'ancien président : non seulement s'ouvre le procès de l'assassin de Bousquet qui pourrait avoir de fâcheuses répercussions pour lui et paraît aussi en édition de poche le livre de Pierre Péan, "Une jeunesse française", qui réveille de vielles douleurs. Il joue alors la compassion et y réussit à merveille.
A travers les figures de Tolstoï et de Dostoïevski, ses deux auteurs préférés, [18] Christophe Barbier y voit deux faces de Mitterrand, un côté Tolstoï « noble, riche et glorieux, voulant ressembler à ses paysans, » un côté Dostoïevski « anarchiste et endetté » et qualifie Mitterrand de « starets de l'avenue Le-Play, » le starets, moine gourou et martyr, personnage des Frères Karamazov. [19] Après les balades de plus en plus épuisantes au "Champs de Mars", il retourne à Gordes passer quelques jours avec Anne Pingeot et Mazarine, qui lui rappelle la tradition de leurs "Noëls de Gordes" mais son état de fatigue extrême rend le séjour plutôt maussade.
La fin de l'année A Claude Estier venu lui rendre visite, il apparaît « avec une vivacité intellectuelle qui contrastait avec son corps épuisé. » [20] Il relit Montaigne qui se projette dans la mort, écrivant « jamais homme ne se prépara à quitter plus purement et plus pleinement le monde, et ne s'en desprit plus universellement que je m'attends de faire. » [21] Au restaurant "Chez Clémentine", le 14 décembre, il parle avec Jack Lang de son prochain voyage en Égypte à Assouan.
4- L'année des adieux [22]
Face à l’inéluctable qui se profile désormais, il se sent comme le général Henning von Tresckow qui tendit sa poitrine aux balles ennemies. [23] Michel Charasse traduira son état d’esprit d’alors par cette formule « il avait progressivement remplacé sa réflexion sur l’au-delà par une longue interrogation sur la vie.[24] Christophe Barbier parle de « la vérité religieuse » de François Mitterrand, « aspect chrétien très fort de sa jeunesse, au fond toute une partie de son histoire politique s’explique par cette idée, » [25] ce que l’auteur traduit par « le pouvoir pour l’indélébile trace, l’Histoire en paradis. » [26]
La quête de ce passage vers un autre monde –si loin de l’agnostisme qu’il revendique- il l’a retrouve avec son amie Marie de Hennezel à qui il demande à Venise, où elle doit se rendre dès le lendemain, d’aller à la basilique de Freri, admirer "l’Assomption" du Titien. Lui qui « croit aux forces de l’esprit »[27] croit aussi qu’au-delà de l’espace-temps existe une autre dimension et confie à Franz-Olivier Giesbert, « j’ai une âme mystique et un cerveau rationaliste et, comme Montaigne, je suis incapable de choisir. » [28]
Le dimanche 24 décembre, il s’envole pour Assouan avec sa fille, Anne Pingeot et quelques amis, à l’hôtel Old Cataract. Si le repas de Noël, la balade en felouque sur le Nil [29] se passent bien, son état se dégrade et le 22 décembre, il est de retour. Il passe finalement un réveillon familial très difficile pour lui, à Latche.[30]
Il écrit encore quelques lettres d’une écriture incertaine, à D’Ormesson par exemple qui vient de lui envoyer son dernier livre "Presque rien sur presque tout." Cette année des adieux, François Mitterrand va la ramener à sa plus simple expression en refusant dorénavant de s’alimenter. Ses derniers examens médicaux sont catastrophiques et cette fois, il sait que c’est fini. « Tout est vain, clamait le poète charentais René-Guy Cadou qu’il aimait tant, le ciel rentre sa lame / Ma chair sa mort dans l’âme. » [9] Confronté à la mort d’un proche, il avait coutume de dire : « Lui seul ne sait pas qu’il est mort. » Et le 8 janvier 1996, au petit jour, François Mitterrand rend son dernier soupir.[31]
Enterrement en tempos simultanés : tandis que le cortège avec la famille et les proches avance lentement dans les rues de Jarnac jusqu’au cimetière près de la Charente, à Paris sous la voûte immense de Notre-Dame se presse la foule des puissants de ce monde pour un ultime hommage officiel.
Tandis que le glas résonne dans les rues de Jarnac, à Notre-Dame retentit le requiem de Duruflé. A Jarnac, il pleut de plus belle sur le cimetière des Grand-Maisons où l’ancien président repose dans le caveau des Lorrain, la famille de sa mère, tandis que Jacques Chirac reçoit à l’Elysée les invités de la grand’messe de Notre-Dame. Dans la petite chapelle adossée aux huit enfeus de la famille Lorrain, une simple plaque funéraire portant l’inscription : « François Mitterrand, 1916-1996 ».
Notes et références
- ↑ Prix Combourg, appelé aussi Prix Châteaubriand, voir Ouest-France
- ↑ Georges-Marc Bénamou, "Le dernier Mitterrand", édition Plon, 1997
- ↑ «Le ruissellement du vent dans le feuillage du tremble, qui peut être assimilé à un écho lamartinien... » écrit Nourissier dans L'express du 13 avril 1995
- ↑ François Mitterrand, "Cormatin", Connaissances des Arts, juillet-août 1994
- ↑ Dans l'article paru dans Le Point du 27 avril 1996
- ↑ Jean-Marie Borzeix, "Mitterrand lui-même", éditions Stock, 1973, page 101
- ↑ Interview de Jean-Pierre Soisson du 28 octobre 1996
- ↑ Franz-Olivier Giesbert, "Le vieil homme et la mort", page 96
- ↑ Quelques mots échangés, une correspondance, nous ont conduits à cette sorte d'intimité qui naît dès qu'on se découvre proches sur des sujets dont on ne parle jamais. Il s'agit entre nous de la mort." page 126
- ↑ François Mitterrand, "La paille et le grain", Flammarion, page 31
- ↑ Dans "En lisant et en écrivant" de Julien Gracq où, à propos de "Le Rivage des Syrtes", il parle de "l'esprit de l'Histoire comme on parle d'esprit-de-vin" (page 216)
- ↑ Où il trace un portrait de François Mitterrand (Flammarion, 1995, page 262)
- ↑ Sur ce sujet, voir Guy Sitbon, "Le cas Attali", éditions Grasset, 1995
- ↑ D'après le témoignage de Jean Kahn du 15 mai 1996 (page 195)
- ↑ Hubert Védrine, "Les mondes de François Mitterrand", pages 455-456
- ↑ « un geste symbolique qui vînt du cœur pour atteindre au cœur des Allemands... » François Mitterrand, "De l'Allemagne, de la France", page 116
- ↑ Voir François Mitterrand, "De l'Allemagne, de la France", Odile Jacob, 1996, page 25
- ↑ Voir "Mémoire à deux voix" écrit avec Élie Wiesel, page 172
- ↑ Personnage qui apparaît plusieurs dans l'ouvrage, en particulier dans la Première partie, livre I, chapitre 5
- ↑ Entretien avec Christophe Barbier le 11 octobre 1996
- ↑ Montaigne, Essais, Livre I, chapitre 20, page 134
- ↑ Du titre de la biographie de Laure Adler
- ↑ Voir Hubert Védrine, « Les mondes de François Mitterrand », page 576 et son livre « De l’Allemagne, de la France »
- ↑ Michel charasse, « 55 faubourg Saint-Honoré, page 294
- ↑ "François Mitterrand, portrait en surimpressions, Hugues Le Peige & Jean-François Bastin"
- ↑ Hypothèse explicative de sa volonté de se mesurer avec le général de Gaulle (rejeter la Constitution et dénoncer le gaullisme) et de choisir l’union de la gauche comme stratégie de conquête du pouvoir (NDLR)
- ↑ phrase prononcée le 31 décembre 1994 à l’occasion de ses vœux à la nation
- ↑ Repris dans Le Figaro du 13 mars 1995
- ↑ Une felouque nommé Isis II, du nom de la sœur et épouse d’Osiris le dieu de la mort, elle qui lutte aussi contre la mort de son mari. Mais apparemment Isis a déserté la felouque présidentielle (NDLR)
- ↑ »Il est 22 heures 50 et il balaye l’assemblée d’un lent regard qui n’oublie personne et qu’aucun convive n’oubliera. » (Henri Emmanuelli, interview du 25 juin 1996). D’après Christophe Barbier, les témoignages sur cette soirée sont assez différents et ne permettent guère d’en retracer les faits en toute objectivité.
- ↑ René-Guy Cadou, œuvres complètes, page233
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