jeudi 7 août 2014

Plaidoyer pour une autre Europe

«  Le goût de la vérité n'empêche pas de prendre parti. » Albert Camus

« Inventer l’Europe » disaient les pionniers de la construction européenne, mais encore eût-il fallu qu’ils aient la même idée, la même définition de cette entité encore à dessiner. Sur cette page encore blanche, chacun a inscrit sa propre vision, arrivant avec sa propre Europe, son propre rêve conforme aux intérêts bien compris de leur pays respectif.

A chacun son Europe. Partir sur ces ambiguïtés ne favorisait pas la définition de convergences nécessaires à l’édification de politiques communes.

 

Sa dénomination contenait déjà dans ses termes de « Communauté Economique Européenne, » les ambiguïtés d’origine qui limitaient apparemment son domaine d’application à la simple dimension économique. Le challenge était quand même considérable et impliquait de trouver des cadres de concertation tout en conservant ce qui fait aussi la richesse de l’Europe : sa diversité anthropologique.

   La chouette, symbole de l'Europe ?

Cette conception dominée par l’Europe de l’économie a produit une ouverture des frontières débridée des produits, des services et des hommes dans le Traité de Maastricht puis avec la volonté de mettre en place une monnaie unique dominée  par l’Allemagne et la Banque européenne de Frankfort, une monnaie forte qui handicape la plupart des pays qui ont rejoint la zone euro. Cette unification voulue essentiellement par les Etats (et non par les citoyens) s’est imposée sans véritable conscience collective, produisant comme l’écrivait l’historien Emmanuel Todd « une jungle plutôt qu'une société.  »

Sur le plan politique, la situation n’est pas meilleure, l’Europe cacophonique disperse ses voix sur tous les sujets importants d’actualité, le référendum sur le Traité constitutionnel en 2005 a donné lieu à plusieurs rébellions ouvertes (dont la France), ce qui n’a pas empêché les responsables européens d'en refiler une nouvelle mouture en sous-main aux peuples européens sous le nom de Traité de Lisbonne.

Tous les beaux discours sur « la fracture sociale, « le monde de la finance » ou « la puissance des  forces capitalistes » n’ont qu’une valeur symbolique le temps d’une élection et font l’effet d’utopies face au réalisme de ceux que le quidam européen voit comme les technocrates de Bruxelles.

« Les technocrates » entend-on souvent, car les Français en particulier sentent bien, même s’ils connaissent mal les rouages complexes de Bruxelles, que derrière le Parlement européen, derrière le Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement se profile une nébuleuse qui détient vraiment le pouvoir et prend les décisions,  en premier lieu la Banque Centrale Européenne et la Commission européenne qui a obtenu le droit d'initiative des textes, au détriment d’un Parlement élu démocratiquement mais qui ne possède guère de pouvoir. D’où le découragement d’un nombre important de députés –même parmi les plus motivés- qui constatent jour après jour l’inanité de leurs efforts.

Marianne l'europe2 Couverture de Marianne, 5/2014

L’Europe ne s'est jamais donnée les moyens de s’opposer aux égoïsmes nationaux, surtout ceux des pays les plus importants. Quand par exemple le britannique BAE et le franco-allemand EADS ont esquissé un rapprochement pour devenir un "Grand mondial" de l’aéronautique, l’Allemagne d’Angela Merkel s’y est opposée au nom des emplois allemands. La France se débrouille toute seule en Afrique, comme elle peut, pendant que l’Allemagne regarde vers l’Est et négocie avec la Russie.

Les enjeux pour les années à venir sont considérables. Pour ne prendre qu'un exemple, Google envisage de numériser et de mettre à disposition des internautes une quinzaine de millions de livres imprimés, soit quelque 4,5 milliards de pages disponibles. Magnifique projet, aurait-on tendance à penser dans un premier temps, mais qui cache en fait un risque majeur, une menace de domination américaine dans ce nouveau domaine. Domination intellectuelle plus insidieuse que la domination économique. Si la France avec sa Bibliothèque nationale a une responsabilité particulière, seule l'Europe peut à terme contrecarrer ce projet et proposer sa propre solution.

Parlement-europeen-strasbourg  Le parlement de Strasbourg

L’Europe est depuis toujours en quête de sens, sans véritable projet mobilisateur qui puisse intéresser les peuples européens, sans débat public moteur porté par une politique attrayante de communication. Aucune action qui suscite l’intérêt, qui séduise, créatrice de symboles forts et d’images positives, qui soit soutenue par une médiatisation bien ciblée. Pourtant, les hommes de valeurs et les moyens ne manquent pas. Faire émerger une conscience européenne est tâche de longue haleine qui demande d’abord une politique de conduite et de  suivi de projets à long terme, porteurs d’identité.

Les dirigeants européens se contentent jusqu’à présent d’actions ciblées sur tel ou tel sujet d’actualité au détriment d’un politique ambitieuse qui puisse générer un mouvement citoyen seul capable de susciter une vision d’avenir, de donner une âme à l’Union européenne.

 

Finalement, le seul lien indéfectible entre les citoyens reste la Nation, lieu où voter signifie encore avoir une chance de peser sur les conditions de vie et l’évolution de la société. La question fondamentale est donc de redonner du sens à l’idée européenne qui s’est peu à peu délitée dans les égoïsmes nationaux, noyée dans les différentes phases d’élargissement, de faire en sorte que cette institution puisse encore avoir une influence positive sur la vie quotidienne de chaque citoyen. Croire à l’action du Parlement, c’est croire à l’efficacité des institutions européennes, penser que malgré la distance, les différences de culture et d'intérêts, l'institution européenne se rapprochera peu à peu des préoccupations du citoyen européen.

  
* Voir aussi : L'express, plaidoyer pour une Europe fiscale
   <<<< Christian Broussas – Feyzin, 17 mai 2014 - <<<< © • cjb • © >>>>

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