Son œuvre : une « douleur peinte avec joie » Jean Cocteau


Cette rétrospective de Bernard Buffet au musée d'Art moderne de Paris entend revenir sur cette réputation quelque peu sulfureuse : ce brillant artiste et académicien chou-chou des médias, célébré par des reportages genre Paris-Match a vu son aura pâlir peu à peu et finir tragiquement par un suicide en 1999. En tout cas, son purgatoire aura duré longtemps et cette rétrospective peut être l’occasion d’une certaine réhabilitation d’une œuvre cohérente et très personnelle.
   
Nature morte à la sole, 1952                                La maison et la fontaine 1997*


Bernard Buffet (1928-1999) connaît un succès immédiat. Il n’a pas vingt ans qu’il participe déjà au Salon des Indépendants, au Salon des Beaux-Arts, au Salon d’Automne… et l’État lui achète même un tableau, Nature morte au poulet lors de sa première exposition. Puis il remporte le Prix de la Critique d’Art, tandis que le marchand Emmanuel David lui propose un contrat d’exclusivité.

Très vite, il est riche, célèbre et amoureux de Pierre Bergé avec qui il mène la vie de château, faisant la une des magazines comme une star de cinéma. Il est même élu premier des dix meilleurs peintres de l’après-guerre, devant Alfred Manessier ou Nicolas de Staël. Il atteint le sommet de la gloire mais, première fracture, Pierre Bergé le quitte pour Yves Saint Laurent.


Les clowns musiciens 1991


Même riche et célèbre, Bernard Buffet continue de peindre des figures décharnées, des paysages désolées, des poissons réduits parfois  à de simples arêtes… Il est en décalage avec un temps qui préfère l’abstraction d’un Pierre Soulages ou d’un Georges Mathieu à la figuration. Il publie une espèce de manifeste La leçon de Jean-Antoine Gros, où il dessine une nouvelle peinture d’histoire, rejetant les pionniers de l’avant-garde, genre les Nouveaux Réalistes ou les tenants de l’art cinétique, confiant que « Moi, je peins au jour le jour, ne sachant pas ce que je peindrai demain ni comment je le peindrai ».


Jeanne d'Arc, Les voix, 1957


Il a rarement connu la bienveillance de l’intelligentsia française comme le résumait le journaliste et poète Alain Bosquet : « Que puis-je éprouver d’autre devant un homme dans la force de l’âge, riche, influent, couvert de gloire, qui ne veut plus faire aucun effort, qui peint de faux petits châteaux dans de faux paysages pour de vrais débiles qui ont de vrais comptes en banque et une vraie vénération pour ce qui est à leur triste niveau ? »
Alors, Bernard Buffet s’isole, se réfugie auprès d’Annabel et continue à peindre, laissant à sa mort quelque 8000 peintures et autres œuvres picturales (aquarelles, dessins, lithographies, gravures…)  

Il faut noter que le Musée d'Art moderne est le seul musée public à posséder une collection importante d’œuvres de Bernard Buffet, reposant sur l’intégration en 1953 de l’important legs Girardin et en 2012 de la donation Ida et Maurice Garnier. Cette situation privilégiée l’a amené à organiser cette exposition, malgré le côté polémique de l’œuvre qui en avait retardé la réalisation.

 
New York Brooklyn, 1989                          Les folles, femmes aux chapeaux, 1970


Cette rétrospective repose aussi sur la présentation d’une bonne centaine de peintures, dessins, gravures… De L'Atelier en 1947 ou Le buveur l’année suivante, jusqu'au triptyque saisissant Horreur de la guerre de 1954, un tableau saisissant d’une angoisse qui rappelle un De Chirico, en passant par le portrait de Pierre Bergé en 1950. Ensuite, son œuvre se ressent des doutes qui accablent l’artiste jusqu’à l’année charnière de 1976. Quelques œuvres s’en dégagent comme Le clown. La dernière époque met plutôt l’accent sue la forme comme la composition Vingt mille lieues sus les mers, Le poulpe géant en 1989 ou son Orang Outan femelle en 1997. [1]
Elle pourra mettre en lumière son caractère si particulier, sa variété aussi de la part d’un artiste très prolifique dont l’influence ne peut que se renforcer.

   
Annabel à la natte 1960                      Plages et parasol, 1967


Le parcours est simple et chronologique, dominé par les "périodes" de l’artiste. Les débuts  marqués par la recherche des formes, puis dans l’après-guerre, un style entre figuration et abstraction, revenant sur la peinture d’histoire à un moment où elle est largement délaissée, le gras noir de ses aplats et la noirceur de ses sujets.

À côté de ses thèmes favoris comme les autoportraits ou les natures mortes, on trouve aussi les sujets redondants de ses expositions à la Galerie Garnier comme les cycles religieux (La Passion du Christ), littéraires (L’Enfer de Dante, Vingt mille lieues sous les mers) ou allégoriques (Les Oiseaux, Les Folles), sa recherche entre la peinture d’histoire (Horreur de la Guerre) et l’histoire de la peinture (Le Sommeil d’après Courbet), jusqu’à sa série sur La Mort en 1999.

Sa vision de la peinture, le spleen qui se dégage de ses tableaux, il les pêche dans la réalité, déclarant par exemple : «  Quand on sort de Paris, on voit d’énormes blocs où logent les gens, d’immenses cités, et puis, tout à coup, il y a le petit pavillon de banlieue, une sorte de dérision au milieu de ces monstres d’architecture moderne.  Eh bien moi, je suis le petit pavillon de banlieue de la peinture moderne »

 
La mort 7, 1999                                                                                La mort 5, 1999

Si nul n’est prophète en son pays, Bernard Buffet jouit d’une notoriété internationale considérable, deux grandes expositions lui ont été consacrées en Russie, au musée Pouchkine de Moscou et à l’Ermitage de Saint-Pétersbourg. Un musée Bernard Buffet a même été ouvert   au Japon en 1973.

Notes et références
[1] Suivront d'autres thèmes comme : La Passion du Christ (1952), Horreur de la Guerre (1954), Jeanne d'Arc (1958), Portraits d'Annabel (1961), la Chapelle de Château l'Arc (1962), Les écorchés (1965), La corrida (1967) ou encore, Les Folles (1971), L'enfer de Dante (1977) et La Révolution Française (1978) et Le Japon (1981) puis, Vingt mille lieues sous les mers (1990), Souvenirs d'Italie (1991), New York (1991), Les Clowns Musiciens (1992), Saint-Pétersbourg (1992), L'Empire ou les plaisirs de la guerre (1993), Promenade Provençale (1993), Sept péchés capitaux (1995), Pékin (1996), La maison (1998), Mes Singes (1999).


Voir aussi  mes fiches sur Les Arts plastiques 

Christian Broussas – Bernard Buffet - 25/11/2016 < • © cjb © • >