Né en 1954 au Japon, à Nagasaki, ville martyre rasée par une bombe H en 1945, Kazuo Ishiguro est arrivé en Grande-Bretagne en 1960 où son père, océanographe, avait été nommé. Son œuvre est le reflet de cette double culture.

Une certaine retenue bien dans la logique nipponne mâtinée de flegme britannique, lunettes à monture noire et pull assorti, cet auteur discret qui se rêvait en chanteur type Bob Dylan ou Leonard Cohen, est considéré comme un des meilleurs stylistes de sa génération, lui dont l’anglais n’est pas la langue maternelle. Deux de ses romans, dont le plus connu Les Vestiges du jour, ont été portés à l'écran par James Ivory.

Alors que les favoris du prix Nobel étaient encore cette année le kenyan Ngugi wa Thiong'o, Philip Roth, Amos Oz ou Haruki Murakami, le jury leur a préféré Kazuo Ishiguro, romancier britannique d'origine japonaise. Tout jeune encore, à l’âge de six ans, il s’installe dans le Surrey, son père s’occupant du développement pétrolier de la mer du Nord.

         

Le jeune Kazuo Ishiguro découvre avec un grand intérêt une culture très éloignée de la sienne. Avant d'entrer à l'université, il voyage pendant un an aux États-Unis et au Canada s’astreignant à tenir son Journal puis rejoint l’université d'East Anglia où il obtient un master en création littéraire.

Déjà son premier roman, Lumières pâles sur les collines, paru en 1982, est remarqué par la critique et obtient un prix de la Royal Society of Literature. Parallèlement à sa démarche littéraire, il est aussi attiré par le cinéma et écrit plusieurs scénarios dont celui de La Comtesse blanche.

Selon le jury suédois, Kazuo Ishiguro, « a révélé, dans des romans d'une puissante force émotionnelle, l'abîme sous notre illusoire sentiment de confort dans le monde. »
Ses thèmes favoris oscillent entre le rôle central du temps et celui de la mémoire, ainsi que l’auto destruction, sans doute venu du traumatisme qu’il a connu suite au bombardement de Nagasaki, sa ville natale.


On a parlé à son propos "d’inspirations kafkaïennes" [*] tant son style est fait d’allers et retours permettant de traquer au plus près les méandres de la mémoire et d’explorer les souvenirs de ses personnages. On y voit par exemple James Stevens assistant à la genèse du fascisme en Angleterre durant l'entre-deux-guerres dans Les Vestiges du jour ou de son propre regard sur le Japon et Nagasaki sa ville natale juste après la Seconde guerre mondiale dans Lumière pâle sur les collines.

Dans son roman "Auprès de moi toujours", il aborde l’anticipation dans l’Angleterre contemporaine et dans "Le géant enfoui" paru en 2015, il explore la perte des souvenirs.

             

Kazuo Ishiguro est surtout connu du grand public pour son roman "Les vestiges du jour" et son adaptation cinématographique de James Ivory en 1993 avec Anthony Hopkins et Emma Thompson, a reçu le prestigieux Man Book Prize. L'intrigue se déroule dans l'entre-deux guerres où un majordome âgé repense à sa vie aux côtés de son maître. Homme distant et fier de son métier, il en vient peu à peu à douter de ce "parfait gentleman" qui flirte avec le nazisme.

Les Vestiges du jour
           

Monsieur Stevens, majordome de son état, profite de l'absence de son maître lord Darlington pour visiter Miss Kenton, l'ancienne gouvernante de Darlington Hall, qui lui a récemment écrit. Il semble fier de son métier et d’être fidèle à la stricte éducation qu’il a reçue.

Mais finalement, il s’en veut d’avoir suivi aveuglément lord Darlington qui verse peu à peu dans le pro nazisme. Il se reproche en particulier d’avoir sur son ordre licencié le personnel d'origine juive. Kazuo Ishiguro décrit en fait une société anglaise en déclin, dont les dirigeants refusent de partager le pouvoir, figée sur ses principes, hermétique à tout changement. Ainsi, la vente du vénérable manoir se fera au profit d'un riche industriel.


Il  se rend compte avec nostalgie qu’il a sans doute sacrifié une relation amoureuse avec Miss Kenton à son caractère entier et ombrageux, son égocentrisme, son incapacité à envisager une relation équilibrée avec la jeune femme.

Ce climat feutré est conforté par un style tout en rondeurs, à la Agatha Christie ou à la Jane Austen. D’où cette remarque de Sara Danius de l’Académie suédoise : « Si on mêle Jane Austen et Kafka, on obtient Kazuo Ishiguro. » Formule lapidaire d’un style plutôt maniéré contrastant avec une introspection sans concession de la psychologie de Stevens.

      
Images du film

Quelques points de  repère

1954 Kazuo Ishiguro naît au Japon à Nagasaki.
1960 Il s’installe avec sa famille en Grande-Bretagne, à Guildford dans le Surrey.
1980 Il achève son master d’écriture créative à l’université d’East Anglia.
1982 Lumière pâle sur les collines, Presses de la Renaissance.
1982 Il acquiert la nationalité britannique
1984 A Profile of Arthur J. Mason, scénario
1986 Un artiste du monde flottant, prix Whitbread Award, Presses de la Renaissance
1989 Booker Prize pour Les Vestiges du jour (Presses de la Renaissance, 1990) adapté à l’écran par James Ivory en 1993.
1995 L’Inconsolé (Calmann-Lévy, 1997).
2000 Quand nous étions orphelins (Calmann-Lévy, 2001).
2005 Auprès de moi toujours (Les Deux Terres, 2006, adapté à l’écran par Mark Romanek en 2010).
2005 Il signe le scénario de La Comtesse blanche, de James Ivory.
2009 Il cosigne quatre chansons pour la chanteuse de jazz Stacey Kent.
Publie Nocturnes. Cinq nouvelles de musique au crépuscule (Les Deux Terres, 2010).
2015 Le Géant enfoui, son septième roman.

* Voir plus loin la remarque de Sara Danius de l’Académie suédoise
**
Voir aussi Petit panorama des Prix Nobel de littérature --

< • Christian Broussas – Ishiguro - 09/10/2017 -© • cjb • © >