Référence : Isaac Bashevis Singer, Keila la Rouge, traduction Marie-Pierre Bay et Nicolas Castelnau-Bay, éditions Stock, 468 pages, 2018
Un roman inédit du prix Nobel de littérature 1978 pour « son art de conteur qui prend racine dans la culture et les traditions judéo-polonaises,
» selon le jury Nobel, voilà qui n’est pas banal. Un inédit ou plus
exactement un roman publié en feuilleton à partir de 1976 dans le
quotidien new-yorkais "Forward" qui paraît en yiddish, langue dans laquelle Singer écrit habituellement. Dans cette logique, Keila la Rouge s'inscrit dans la tradition des contes yiddish chère à l'auteur. [1]
Isaac Bashevis Singer en 1984… et en 1988
Varsovie, à l'aube du XXe siècle. Keila la Rouge semble assez peu recommandable : elle a travaillé dans trois des bordels de la ville, de la rue Smocza à la rue Tomkes en passant par la rue Krochmalna, avant d'épouser Jeremiah Eliezer Holtzman, dit Yarmy, surnommé la Teigne, petite délinquant spécialiste du vol à la tire, qui a déjà effectué quatre séjours dns la prison de Pawiak.
Si leur vie a toujours été très difficile, Keila et Yarmy s'aiment vraiment et ne se cachent rien partageant jusqu'à leurs aventures extraconjugales, ce que Singer traduit ainsi : « Cela
constituait un signal envoyé à toutes les putains de Varsovie, […]
preuve que l'amour régnait encore sur le monde, même si on baignait dans
la fange jusqu'au menton. »
Mais Yarmy
en a assez de ses larcins à la petite semaine, il se verrait plutôt en
gangster attaquant les trains, rançonnant les banques, le regard fixé
sur la grande Amérique dans laquelle tout est possible, où tant d'Européens sont déjà allés tenter leur chance.
Et justement, quand Max le Boiteux, un ancien acolyte qui a fait en Amérique sa place au soleil, lui propose de s'associer pour une affaire alléchante dans ce beau pays qui est « un pays riche. Tout ce qu'on a besoin de savoir, c'est où est enterré le magot », Yarmy n'hésite pas un instant, entraînant Keila dans cette aventure qui sera dès l’origine assez hasardeuse.
Cette œuvre, comme le plus souvent chez Singer,
balance entre insouciance et violence, ironie et humour noir, burlesque
et splendeur, dessinant avec une grande tendresse les contours des
mœurs de cette époque.
C’est dire si ses romans sont touffus et difficiles à classer. On y
retrouver aussi de nombreuses références aux traditions judéo-polonaises
avant le traumatisme de l’holocauste. Les signes annonciateurs
menaçants s’accumulent sur ces personnages qui, même s’ils sont
ambitieux et optimistes, seront emportés par le vent de l’Histoire.
Au-delà de la description savoureuse d'une communauté hassidique vivant dans un quartier populaire de Varsovie où la vie est rythmée par les rites et les fêtes religieuses, Singer
analyse les petitesses de la condition humaine, les écarts entre la
recherche de l'idéal, le rêve de changement et cette espèce de fatalité
qui semble peser sur le destin de chacun.
Varsovie, le quartier juif dans les années 30
Notes et références
[1] Yiddish, « la langue mourante d’un peuple de fantômes » disait Isaac Singer
* Présentation vidéo --
Mes autres fiches consultables * Biographie d'Isaac Singer -- Biographie de Saül Bellow -- Saül Bellow, Ravelstein --
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