« Le travail est essentiel. Seuls les amateurs attendent l'inspiration. » Philip Roth 2007

On le considérait comme provocateur et subversif. Pendant plus d'un demi-siècle, il a posé un regard acerbe, affûté sur la société américaine de son temps. Il est décédé en 22 mai 2018 à l’âge de 85 ans.

            

En 1959, la parution de Goodbye, Columbus, connut un succès considérable. S'affranchissant des codes de l'écriture, contestant les règles de la fiction et de l'autobiographie, il a vite été considéré comme un grand écrivain, observateur lucide et ironique de la société américaine et de ses moeurs, à travers des ouvrages tels que Portnoy et son complexe (1969), Professeur de désir (1977), Zuckerman enchaîné (1981), La Contrevie (1986), Opération Shylock (1993), Le Théâtre de Sabbath (1995)... — à qui il doit également une réputation d'écrivain iconoclaste, voire obscène. 

Dans ses fictions, il a développé des sagas avec le personnage récurrent Nathan Zuckerman, son alter ego, son double — comme lui écrivain juif américain, comme lui né dans la petite ville de Newark dans le New Jersey, comme lui New-Yorkais d'adoption et empêtré dans des relations de couple très conflictuelles. 

          

En France, pour être vraiment reconnu, il dut attendre la publication de Pastorale américaine, en 1999, et surtout de La Tache en 2002. Un homme, poignante réflexion sur la maladie, prouve que Philip Roth peut aussi être le témoin grave et pénétrant de l'humaine condition. Ce roman, il l'a écrit peu de temps après la disparition de son ami le romancier Saül Bellow (1915-2005), dont il disait qu'il lui a « permis de devenir un écrivain ». Il poursuit l'interview en disant « il m'a rendu ambitieux. Son influence a été très libératrice pour moi, et plus généralement pour les écrivains de ma génération. Spécialement à travers son troisième livre, Les Aventures d'Augie March (1953). »

          
                      Passez par la stupidité pour comprendre vos erreurs
 

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J'appartenais à une génération d'écrivains américains nés dans les années 1930 ; nous arrivions après Hemingway – nous étions enivrés par l'ardeur de Gustave Flaubert, la profondeur morale de Joseph Conrad, la majesté des compositions de Henry James – et nous étions convaincus que nous embrassions un métier sacré. Les grands écrivains étaient pour nous les saints de l'imaginaire. Moi aussi, je voulais être un saint. »
Interview au journal Le Monde

Ce qui l'a influencé, « c'est la langue, notamment, ce mélange exubérant d'anglais intellectuel et d'anglais de la rue : c'est peut-être ce qui était le plus frappant, le plus fort. Et puis il y avait aussi la liberté et la fantaisie avec lesquelles Bellow enchaînait les scènes, passant d'un décor à un autre, d'un personnage à un autre. Et il y avait encore la magnitude de ses personnages. » Son écriture lui rappelle le pinceau de Rembrandt« Bellow était, sur ce point, dans la lignée de Rembrandt : ses personnages ont la profondeur des portraits de ce peintre. »
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Il se voit plutôt comme un sceptique, surtout par rapport à la religion et aux idéologies, quelles qu'elles soient. Ce n'est pas très original mais la vulnérabilité de l'homme est le sujet de beaucoup de ses romans, par exemple, Un homme sur la fragilité de l'homme face à la maladie, la décadence physique et la mort, La Bête qui meurt sur la fragilité d'un homme face à la maladie d'une femme aimée ou Le Complot contre l'Amérique sur la vulnérabilité de l'individu face à l'Histoire et aux grands événements politiques.
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Après une période dominée par "le bruit et la fureur", comme La Contrevie, Opération Shylock ou Le Théâtre de Sabbath, Philip Roth connut une période plus classique - « c'est le sujet qui dicte ce qu'elle doit être » dit-il- à partir de sa trilogie de Newark (sa ville natale), [1] qui traite de l'impact des événements politiques des 30 dernières années sur la vie de ceux qui les ont subies.

  Philip Roth avec Milan Kundéra

Selon lui, l’essentiel de son travail consiste à essayer de dessiner une vision de la société américaine de son époque, même s’il ne peut qu’en donner une vision limitée, celle qu’il connaît le mieux, plutôt urbaine et bourgeoise.

Il se dit pessimiste quant au devenir de la lecture : « aux États-Unis, la lecture sérieuse, concentrée, intelligente, est une activité qui ne cesse de reculer. La forme romanesque, comme vecteur d'informations sur le monde et l'expérience humaine, et comme plaisir, est devenue obsolète. » Même s’il considère qu’on n’y peut rien, il constate en revanche que «  la fiction américaine se porte fort bien et que si leur lectorat diminue, les écrivains gagnent mal leur vie, mais ne sont pas découragés d'écrire. »

        
                                                              
Notes et références
[1] Sa trilogie dite « de Newark » comprend Pastorale américaine, J'ai épousé un communiste et La Tache (1997 à 2000)

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