Référence : Jean-Marie Gustave Le Clézio, Alma, éditions Gallimard, collection Blanche, octobre 2017
Le Clézio en novembre 2015 Modiano à Stockholm en 2014
« L’histoire des familles, la vraie (l’autre étant plutôt imaginaire…) ne laisse pas beaucoup de traces. » Alma, page 319
Pour l’Académie Nobel, c’est « l’écrivain de la rupture, de l’aventure poétique et de l’extase sensuelle, l’explorateur d’une humanité au-delà et en-dessous de la civilisation régnante ».
On retrouve cette-fois Le Clézio sur la route de ses racines mauriciennes, déjà thème de sa trilogie qui comprend Le chercheur d’or, Voyage à Rodrigues, et La quarantaine. [1]
Ce livre, confie-t-il à France-inter, « je
l'ai commencé il y a 30 ans, en allant dans les archives d'Outre-mer,
rue Oudinot à Paris, en lisant la liste des noms de baptême des esclaves
: je me suis dit : "Un jour il faudra parler de ces gens, où sont-ils,
pourquoi ne connait-on qu'une petite partie de cette région du monde" ? »
Euréka, la maison de famille de l’île Maurice, devenue musée
Il se penche aussi sur un passé peu reluisant, celui des colonies et de l’esclavage, « quand il s'agissait de baptiser des esclaves, dit-il dans une interview, on
leur donnait un prénom tout de suite c'était facile, mais pour le nom
de famille, on leur donnait le nom du bateau dans lequel ils étaient
arrivés, "L'hirondelle", "La sémillante", "le Redoutable", c'est le vol
de leur nom, de leur existence. Le seul héritage de ces esclaves, ce
sont des tas de pierre situés le long d'une route dans une partie de
l'île, des tas de roches que les esclaves ont extrait du sol. » Il ira voir la dernière prison pour les Noirs, pour les esclaves à Bras d’Eau, la seule qui n’ai pas été détruite.
Jérémie Felsen, mauricien vivant en France, né à Nice
comme l’auteur, revient au pays natal à 50 ans, enquêter sur ses
origines et le tragique destin de ces animaux endémiques qu’étaient
alors les dodos. Ses investigations lui font découvrir une autre branche de la famille Felsen, celle qu’on a dépossédée de tous ses biens, celle qui habitait dans une masure, de l’autre côté de la belle maison de maître.
Le second volet du récit, c’est l’histoire du dernier descendant de l’autre branche, Dominique Felsen, que justement on surnomme Dodo, dernier Fe’sen comme on dit en créole ou encore Coup de Ros (de Rani Laroche ou Laros, le nom de sa mère), un homme meurtri, au visage déformé par la lèpre, qui vagabonde à Maurice puis en France où il finira ses jours.
Se dégage aussi les portrait de femmes comme celle qui se fait appeler Krystal, son côté anar et têtu, qu’il ira visiter en prison ou Aditi, "écolo" et sauvageonne, qui accouchera seule, loin de tout, en pleine forêt.
A
force d'interroger les habitants, le narrateur reconstitue peu à peu le
destin tragique de cette famille coupée en deux. Mais quelle importance
désormais, maintenant le domaine d’Alma n’existe plus, bientôt remplacé, dit-on, par un centre commercial.
Tout ça, « c’est l’aube d’un temps ancien, elle allume l’horizon mais elle ne parvient pas à faire grandir le jour. »
Il reste encore quelques survivants des temps anciens, mais pour peu de
temps, ces témoins vont disparaître, emportant avec eux ce qui faisait
la vie de leur époque, un morceau de mémoire collective à jamais disparu
comme Emmeline Carcénac qui habite maintenant Moka, « il n’y a plus qu’elle qui s’en souvient, ce souffle léger qui vacille, petite flamme pâle prête à s’évanouir. »
JMG Le Clézio et Patrick Modiano
Le Clézio et le "dodo"
JMG Le Clézio est particulièrement sensible au le sort qu’a subi le dodo (ou Drontes de Maurice) cette espèce de gros dindon endémique de l’île Maurice et raconte la poignante histoire du dernier voyage du dernier dodo qui mourra en Angleterre.
Il explique dans une interview : « C'était
des oiseaux qui ne connaissaient pas les humains. Ils étaient assez
grands, assez costauds, donc ils n'avaient peur de rien. Quand les
humains sont arrivés, ils sont allés vers eux pour faire connaissance de
ces drôles de bipèdes qui débarquaient chez eux et là, on les a
assommés. Un des marins raconte comment ça se passait : "L'oiseau est
tellement bête, il suffit qu'il y en ait un qui ajoute un chiffon rouge à
gauche, l'autre arrive à droite et peut lui taper dessus sans
problèmes. »
Il ajoute sur cet oiseau qui, par certains aspects, lui fait penser à l’homme : « C'est
un fossile qui était vivant à l'époque où les premiers humains sont
arrivés à l'île Maurice. C'était le dernier plus gros oiseau à terre
dans cette région, de la famille des colombes, énorme. Il est connu
surtout pour avoir servi d'illustration dans Alice aux Pays des
Merveilles, c'est cet oiseau un peu ridicule et en même temps touchant. »
Il a des réactions qui rappellent l’être humain : quand on le capture il
pleure, si on veut l'enfermer il se laisse mourir de faim, il ne peut
pas vivre sans sa compagne…
Image du dodo
Alma : un extrait
Je marche sans savoir où je vais, dans
la direction du soleil levant, je sais qu’au bout c’est la mer, je
m’arrête par instants pour écouter le bruit des vagues, mais je
n’entends rien que le bruit des souffles du vent dans les feuilles. Je
ne cherche rien. Je ne regarde plus à mes pieds. Les siècles ont lavé,
arasé, labouré la terre, aucune trace ne peut subsister. Rien n’a
résisté aux cyclones, la pluie a coulé, venant du haut des montagnes,
avec la violence d’un fleuve en crue. À un moment, je suis si fatigué
par le soleil et par le vent que je m’assois au milieu des cannes, à
l’ombre maigre des feuilles. J’ai toujours la pierre ronde dans ma main
droite. Je pense : Où es-tu, dodo ? Je crie même son nom, puisque c’est
paraît-il le son de son cri, un roucoulement grave et grinçant, le bruit
de pierres qui roulent dans un ravin, ou peut-être le ronflement du
caillou blanc dans sa gorge : DODODOdododo !…
[1] La trilogie mauricienne.
La Quarantaine en 1995 lui a été inspiré par un épisode de la vie de son grand-père maternel Alexis, celle qu'il subit sur un îlot au large de l'île Maurice, suite à une épidémie de variole. C’est aussi Le Chercheur d’or en 1985, à la recherche de son grand-père Léon qui, après avoir été ruiné, ira prospecter sans succès à l’île Rodrigues. Il y retournera pour un second voyage, thème du roman suivant Voyage à Rodrigue.
Sur la présentation de sa trilogie, voir mes fiches dans JMG L Clézio, L’homme et son œuvre --
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