Germaine de Staël                        Jean-Denis Bredin, Les Necker

Beaucoup d'écrivains sont venus prendre l'air autour du lac Léman, surtout côté suisse, pas seulement pour son cadre et sa douceur de vivre mais aussi par la grâce de Jean-Jacques Rousseau dont nombre d'écrivains ont voulu suivre les traces et visiter sa maison natale à Genève, comme Lord Byron, François-René de Chateaubriand, Alexandre Dumas, Gustave Flaubert ou Romain Rolland parmi les plus connus.
Pour ce voyage, nous allons nous balader autour de Genève et surtout à quelques lieues au nord vers le château de Coppet.

  Genève : L'île Rousseau

Coppet, c'est avant tout le château de la famille Necker, Jacques (1732-1804) le "ministre des finances" de Louis XVI à plusieurs reprises, finalement révoqué le 12 juillet 1789, sa femme Suzanne Curchod (1737-1794) qui tint un salon fort renommé en son temps et leur fille unique Germaine qui épousera un suédois, le baron de Staël-Holstein. L'influence de ses parents la portera à reprendre leurs idées de liberté, d'autonomie et d'égalité.

Autour de Germaine de Staël et son célèbre salon, ont gravité nombre d'intellectuels, dont beaucoup d'écrivains,  en particulier l'écrivain Benjamin Constant [1] né à Lausanne qui aura une longue liaison avec Germaine. Elle recevra aussi à Coppet Lord Byron qui sera pendant son séjour la coqueluche de son salon et le couple Chateaubriand et Juliette Récamier, qui fut sa meilleure amie. 

  
Germaine de Staël et Benjamin Constant

Le château de Coppet
L'extérieur
Reconstruit au XVIIIème siècle, le château a été doté d'une façade classique "à la française", un bâtiment central flanqué de deux ailes accolées d'une demi tour chacune. Le domaine fut acquis en 1784 par Jacques Necker puis par héritage à sa fille Germaine, à son petit-fils Louis-Auguste, ensuite à une petite nièce Mme De Broglie d'Haussonville. Il est toujours resté l'apanage de ses descendants.
Pour l'aménagement du château, l'apport des Necker a surtout porté sur l'avant-corps du côté de la cour intérieure, l'aile sud et la façade d'entrée, la construction de la  chapelle catholique en 1880.

 

L'intérieur
L'intérieur du château comporte quelques pièces magnifiques dont certaines, en particulier les chambres de Mme de Staël et de  Juliette Récamier sont ouvertes à la visite. Les dépendances, comme les écuries et la salle du pressoir, ont été complètement réaménagées pour pouvoir recevoir des réunions familiales et des événements.

          
Chambres de Mme de Staël et de Mme Récamier

Parmi toutes les beautés décorant les différentes pièces, les plus remarquables sont le grand lit à coiffe et ses soieries lyonnaises grenat de la chambre de Mme de Staël, le papier peint chinois de la chambre de Mme Récamier, formé de  papillons et d'oiseaux par paire pour symboliser la fidélité et les oiseaux de paradis pour symboliser l'amour.

         
                                                                                    La bibliothèque

On peut également citer le salon des portraits sur fond vert, le grand salon de réception et son mobilier en teintes roses, la bibliothèque datant de 1819 aménagée par le baron Auguste, de style Directoire et Empire et la curieuse chapelle catholique ajoutée en 1880.

       
Le salon des portraits                                                Le salon de réception

Madame de Staël et Coppet

La parisienne Germaine Necker (1766-1817), future Madame de Staël, accueillit avec ferveur la Révolution puis fut vite ulcérée par la Terreur qui s’abattit sur le pays en 1793-94 et lui valut un premier exil à Coppet. Son père Jacques Necker, banquier genevois fortuné, acheta en 1784 le château de Coppet dans la grande banlieue de Genève [2] dont il fit une superbe demeure qui n'a guère changé par la suite.

                 
August von Schlegel                                      Jean de Sismondi

En conflit avec le Premier Consul Bonaparte, puis avec l'Empereur, Germaine de Staël se réfugia à Coppet en 1802 [3] où elle recevait les intellectuels rejetant les penchants césaristes de Bonaparte, en compagnie de son compagnon l’écrivain Benjamin Constant, rencontré en 1794. Ils passaient pour être l'éclatant symbole des beaux esprits de leur époque, défenseurs du bien public et des libertés individuelles.

                 

         Victor de Broglie                                    Charles de Bonstetten

En fait, se rencontraient dans son salon ceux qui formèrent ce qu'on nomma ensuite le "Groupe de Coppet", groupe éclectique [4], disparate de brillants intellectuels européens composé, outre les plus connus, de August Wilhelm Schlegel [5] et son frère Friedrich, Charles Victor de Bonstetten et Jean de Sismondi et dans une moindre mesure le philosophe Charles de Villers, les lyonnais Joseph-Marie de Gérando et Camille Jordan.
Le groupe comprenait aussi des membres de ceux qu'on appellera après 1815 Les Doctrinaires (Camille Jordan, Victor de Broglie, Charles de Rémusat, Prosper de Barante qui voulaient concilier monarchie et Révolution,  autorité et liberté.

              
              Camille Jordan                               Joseph-Marie de Gérando

George Gordon Byron dit Lord Byron [6]

Le solitaire
Lord Byron et Germaine de Staël, qui avaient beaucoup d'estime l'un pour l'autre, vont se rencontrer à deux reprises.
D'abord à Londres en juin 1813, pendant son exil quand elle quitte Coppet et fuit la vindicte impériale à travers l'Europe jusqu'à Londres.  Ils se verront assez peu mais il lui dédiera un poème intitulé "Le Giaour".

Puis ce sera en mai 1816 Genève, Cologny juste à côté et Coppet, à un moment où il a le moral au plus bas, cumulant problèmes financiers et familiaux après la séparation d'avec sa femme et sa petite fille Ada.

      
Lord Byron...                            en robe albanaise 1813

Il s'installe d'abord à Genève, ville qu'il trouve bruyante et à laquelle il préfère Cologny et le calme de la villa Diodati, juste en face sur les bords du lac, y menant une existence d'ermite et de travail, poursuivant l'écriture de son poème "Le pèlerinage de Childe Harold" (chant III, juillet 1816), dont il dira plus tard
« Je me réveillais un matin et j’appris que j’étais célèbre, » écrivant ses Stances à Augusta.
Il se balade aussi régulièrement en barque, sillonnant le lac vers Coppet et  Montreux, de Clarens à Chillon.

Sur les traces de Rousseau, il écrira : « Frappé à un degré que j’aurais peine exprimer, de la force, de l’exactitude des descriptions de Rousseau et de la beauté sublime de la réalité. Meillerie, Clarens, Vevey et Chillon sont des lieux dont je dirai peu parce que ce serait bien au-dessous des impressions qu’ils laissent. » 
Lettre de Byron à son éditeur, 27 juin 1816

             
Sa femme Annabella                         Sa demi-sœur Augusta


Lord Byron et les Shelley

À Cologny, il rencontre Percy et Mary Shelley qui résident aussi à côté de Cologny. Avec eux, il continue les balades sur le lac, même par mauvais temps . Ils sont accompagnés de Claire Clairmont qui en profite pour renouer avec un Byron assez réticent dont il aura cependant une fille qui mourra à l'âge de 5ans. Pendant cette "année sans été", un soir l’orage va se déchaîner frappant l’eau d’éclairs fulgurants qui impressionnent les jeunes poètes qui y voient une atmosphère mystérieuse, surnaturelle. Tout impressionnés par le spectacle, ils s’adonnent à un concours de "récits d’épouvante" avec ses amis Shelley.

              
Percy Shelley                               Mary Shelley            

Byron se servira de cet épisode dans sa "Nouvelle du Vampire" et écrira un grand poème "Le Prisonnier de Chillon" en hommage à Bonivard, un protestant emprisonné par les ducs de Savoie au XVIe siècle après la visite du château.  Mary Shelley quant à elle en tirera plus tard un roman fantastique qui fera date dans ce type de littérature, intitulé "Frankenstein".
Il écrira dans "Le rêve" :
«  Le lac Léman me sourit de son visage de cristal. »

            
Monument Byron & vue sur le lac               Villa Diodati à Cologny où résida Byron

Été 1816, Byron est de retour à Coppet chez Mme de Staël et il y fait un triomphe … et des ravages avec ses manières, son entregent et ses poèmes aussi bien sûr.
Il écrira :
« Je suis débiteur pour toutes les bontés et affectueuses politesses de Notre Dame de Coppet et je l’aime maintenant autant que j’ai toujours aimé ses ouvrages dont je suis un grand admirateur. » Lettre de Byron à Rogers avril 1817

Bientôt, vont paraître deux textes importants qui lui vaudront un grand succès :  "Le pèlerinage de Childe Harold" (sauf le chant IV) et "Le prisonnier de Chillon".

  Gustave Courbet : le château de Chillon

François-René de Chateaubriand (1768-1848) [7]

Revenu une dernière fois à Coppet, il se souvient de Mme de Staël, du temps où il participait à son salon suisse en compagnie de brillants intellectuels, où il tentait de la consoler de sa vie parisienne, de la première fois où elle lui présenta Juliette...

Première rencontre en 1803 à Coppet chez Mme de Staël où il voit Juliette Récamier telle une apparition vêtue d'une longue robe blanche... Ils mettront deux ans avant de se revoir. [8]
Seconde rencontre en 1805 à Coppet Chateaubriand, lui aussi en "délicatesse" avec Napoléon, essaie de la consoler de son exil :
« quelle vue sur le Léman et que d’amis vous entourent. »

             
François-René Chateaubriand et Juliette Récamier

Avec Juliette
À Coppet, Juliette Récamier est d'abord la meilleure amie de Germaine. Elle est la seule à avoir sa propre chambre au château.
Mai 1817 à Paris : Après l'exil et Londres, pour Mme de Staël, c'est la fin. Avec la Restauration, une nouvelle vie s'offrait à elle mais la maladie en a décidé autrement. Il est à son chevet, revoit enfin Juliette : «
Mon amour, ma vie, mon cœur, tout est à vous… J’aime Mon bel ange pour la vie, je vous aime, je vous aimerai toujours; je ne changerai jamais. »



Mai 1826, Paris puis L
ausanne avec sa femme Céleste. Mélancolique, il voit en face les rochers de Meillerie chers à Rousseau : « Placé dans la véritable nature de son talent, il arrive à une éloquence de passion inconnue avant lui. »
Mai 1831, Genève aux Pâquis : Cette fois, c'est la vue sur les toits de Coppet et la villa de Byron. Il parle de Mme de Staël et évoque souvent Juliette, ses dons de harpiste. Ils s'écrivent aussi. Ils échangent des lettres enflammées. « Je vous attends pour aller dans cette île enchantée » la presse-t-il.

1832, retour en Suisse, Lausanne où il rencontre Dumas puis Constance... où il revoit Juliette. Enfin !
« Je veux encore voir longtemps le soleil si c’est près de vous que je dois achever ma vie. [...] Je veux que mes jours expirent à vos pieds comme ces vagues doucement agitées dont vous aimez le murmure. »

            
                                                     Sa tombe à Saint-Malo sur le grand-bât

Retour à Genève avec sa femme… et Juliette. Ils se voient chaque jour, rencontres qui lui  « enflamment l’âme et en même temps le brûle. » Ils partent à Coppet, comme un pèlerinage, se baladent autour de Genève en éternels amoureux.
Retour à Paris. Ils se voient chez elle, lui lit des passages de ses Mémoires d’outre tombe jusqu’à sa mort en juillet 1848 : «  Que m’importe de vivre au-delà de ma vie ! »

  Vue générale de Coppet

L’éternel romantique
« En approchant de ma fin, il me semble que tout ce qui m’a été cher l’a été dans Madame Récamier, et qu’elle était la source cachée de mes affections. »

Mémoires d’outre tombe.

« Un après-midi d’automne qui commençait à rougir et à détacher quelques feuilles»

Lui reviennent ses rencontres avec Mme de Staël, leurs débuts en 1803 où il lui disait, évoquant Coppet, « Si j’avais comme vous un bon château au bord du lac, je n’en sortirais jamais, » jusqu'à cet hommage posthume en 1832 en compagnie de Juliette

Dans ses
Mémoires d'outre-tombe (livre 36), Chateaubriand se souvient : « Assis sur un banc… j’avais les yeux attachés tantôt sur la cime du Mont-Blanc, tantôt sur le lac de Genève. Les nuages d’or couvraient l’horizon derrière la ligne sombre du Jura. On eut dit d’une gloire qui s’élevait au-dessus d’un long cercueil. J’apercevais de l’autre côté du lac la maison de Lord Byron dont le faîte était touché d’un rayon du couchant. Rousseau n’était plus là pour admirer ce spectacle… »

Complément : Albertine de Staël et Victor de Broglie
Albertine de Staël (1797-1838), fille de Germaine de Staël (et probablement fille naturelle de Benjamin Constant) épousa en 1816 Victor de Broglie (1785-1870), 3ème duc de Broglie, familier de Germaine et membre du groupe de Coppet. Il sera par la suite ministre et président du conseil (1832-1836) du roi Louis-Philippe.

Parmi leurs enfants, on compte Albert de Broglie (1821-1901) 4ème duc du nom, président du conseil en 1873 et 1877 et Louise de Broglie (1809-1884) mariée en 1836 avec le comte Joseph d'Haussonville (1809-1884), député de Seine et Marne (1842-1848) dont les descendants sont toujours propriétaires du domaine de Coppet.

   Mme de Staël et sa fille Albertine en 1805

Notes et références
[1]
Voir ma fiche sur Benjamin Constant --
[2]
Coppet est situé à une quinzaine de Kms au nord de Genève, sur les rives du lac Léman
[3] Elle y restera en majeure partie jusqu'en 1812 et son exil à Londres, malgré plusieurs courts retours à Paris et quelques voyages, en particulier en Allemagne.
[4] Des anciens du groupe de Coppet, après 1815, Chateaubriand et Mathieu de Montmorency deviendront des "ultras" tandis que Benjamin Constant siègera parmi les "libéraux de gauche" et militera contre l'esclavage avec Victor de Broglie.
[5] Qui fut l'ami intime et le précepteur de ses enfants
[6] Voir ma fiche  Byron en Suisse --
[7] Voir ma fiche Chateaubriand en Suisse --
[8] cf Les mémoires d'outre-tombe

*Ecrivains et lac Léman --

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