Référence : Sophie Chauveau, La fièvre Masaccio, éditions Télémaque, 228 pages, 20 planches couleur, novembre 2022
« Toute la beauté du monde doit quelque chose à Masaccio. »
Sophie Chauveau
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Pour Sophie Chauveau, cette période sur l'évolution de l'art pictural n'a plus du secret. Après des biographies consacrées par exemple à Picasso ou "Fragonard, l'invention du bonheur", elle a écrit aussi une brillante trilogie sur les peintres de la Renaissance Léonard de Vinci, Botticelli et Lippi.
C'est le grand peintre et architecte Giorgio Vasari [1] qui a brossé ainsi son portrait :
« Distrait, rêveur, comme un homme dont toutes les pensées et la volonté étaient tournées uniquement vers les choses de l'art, il s'occupait peu de lui-même et encore moins des autres. Comme il ne voulut jamais penser, en aucune manière, aux choses de ce monde, dont il ne se souciait pas plus que de son costume, il fallait qu'il fût réduit au plus extrême besoin pour réclamer quelque argent à ses débiteurs. Il se nommait Tommaso, mais on le surnommait Masaccio, non pour sa méchanceté, car il était la bonté même, mais à cause de ses étrangetés ; d'ailleurs toujours prêt à rendre service à qui que ce fût. »
Le jeune homme a beaucoup de chance. Le jeune inconnu va rencontrer deux
des artistes les plus renommés de la cité, le sculpteur Donatello qui va le prendre sous son aile, et l'architecte Brunelleschi; il devint rapidement le peintre le plus brillant de Florence. Mais quelque dix ans plus tard, il meurt dans de mystérieuses circonstances.
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« Avec le recul du temps, dit l'auteure, j'ai voulu rendre à Masaccio tout ce que l'histoire de la beauté lui doit. Sans lui, aucun des grands, pas plus Michel-Ange que Vinci, pas plus Botticelli que Raphaël ou Le Titien n'auraient connu le succès qu'ils ont eu. »
Nous sommes au tout début du XVème siècle, quand Florence fut ravagé deux fois par la peste en 1401 et 1417, l'amputant d'un bon tiers de ses habitants. [2] Et
pourtant la ville se relèvera vite de ces avanies, les industries du
drap et de la laine, fleurons de l'économie, vont de nouveau se
développer, dopées par l'argent accumulé pendant la pandémie. Comme
pendant toute période privée de stabilité, les riches deviennent plus
riches et les pauvres plus pauvres. Les plus riches vont ainsi pouvoir
dégager assez d'argent pour financer les travaux d'embellissement et les
arts.
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Sous l'impulsion de Brunelleschi et de Ghilberti, la cathédrale Santa Maria del Fiore
devient l'exemple par excellence de l'évolution d'un style renaissance
qui va essaimer ensuite dans toute l'Europe. La coupole (le dôme) de Brunelleschi deviendra une référence, sculptures et peintures seront largement copiées et deviendront des modèles du genre.
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Masaccio, pressé comme s'il pressentait que le temps allait lui manquer, travaille sur deux chantiers en parallèle, le couvent de San'Ambrogio et surtout la chapelle de Brancacci (église du Carmine) où avec Masolino, il va réaliser entre 1425 et 1428 une série de fresques exceptionnelles. [3]
Florence entre opulence et tourmente
1422 : La peste semble loin et l'économie est florissante. Un nouvel âge heureux s'annonce.
Avec Ghiberti peaufinant encore les portes du baptistère que domine le campanile de Giotto, les amis de Masaccio, Brunilleschi et Donatello s'imposent sur la scène florentine. Les arts symbolisent la première apogée de Florence. Quelques autres, surtout des peintres, comme Uccello 1397-1475), Fra Angelico (1390-1455), Filippo Lippi (1406-69) qui travaille avec Masaccio (qui a rompu avec Masolino), symbolisent cette renaissance artistique. [4]
C'est une période marquée par les rouges puissants de Masaccio, les opalines de Fra Angelico, les modelés de Donatello et la fameuse coupole de Brunilleschi. Avec la peste, les florentins redoutent aussi le feu dans des cités où le bois domine. Quand le feu se répand dans l'église Santa Croce, on courre sauver les Giotto, les Gadi... Une moitié de l'édifice est ravagée mais Brunilleschi, Michelozzo et Rossellino réparent vite les outrages du feu.
Tous ces artistes, mal payés et soumis au bon plaisir des riches, sont obligés de se réunir en compagnies, au moins deux artistes comme Masaccio et Masolino pour avoir des commandes.
En 1426, nouvelle vague de peste. La Toscane est largement touchée, Masaccio perd ses deux sœurs mais Jean de Bicci (de Médicis) [5], fait fermer les portes de la cité, évitant le pire. Masaccio en particulier poursuit ses recherches sur la couleur, ses dégradés de rouges, de jaune ocre, sur la diffusion de l'espace et de la lumière.
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La distribution des aumônes |
Effectivement, Masaccio reste un mystère, aussi bien l'homme disert, même pour ses amis intimes que de par sa mort subite et inexplicable à un peu plus de 27 ans. Il eut encore le temps de faire un séjour à Pise pour réaliser en 1426 un polyptyque comprenant une magnifique crucifixion avec son curieux Christ en croix engoncé, sans cou, une femme de dos qui se prosterne devant lui vêtue d'une immense cape rouge. De part et d'autre se trouvent Marie brisée par la douleur et l'apôtre Jean confit en prière.
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L'adoration des mages, polyptyque de Pise [6] |
Revenu à Florence, il va concevoir avec ses deux compères Donatello et Brunilleschi, une Trinité commandée par Alessio Strozzi responsable de Santa Maria Novella. Elle représente au centre un Dieu magistral soutenant la traverse de bois d'un Christ écartelé. Sous les 4 personnages entourant cette scène, dont 2 orants agenouillés, un tombeau contenant un corps apparaissant en transparence. Alberti est éberlué par la technique de grille à petits carreaux que Masaccio utilise pour tirer ses perspectives. [7]
Mais Masaccio va subitement disparaître à Rome peu de temps après, laissant inachevées à Florence ses fresques de la chapelle Brancacci.
Notes et références
[1] Extrait de son recueil biographique intitulé Les Vies des meilleurs peintres, sculpteurs et architectes --
[2] La peste sévira encore à Florence et emportera en 1494 Domenico Ghirlandaio à l'âge de quarante-cinq ans.
[3] Parmi celles-ci, on peut citer Le tribu de Saint-Pierre, Saint-Pierre guérissant l'estropié & ressuscitant Tabitha, La résurrection du fils de Théophile et Saint-Pierre en chaire, L'ombre de Saint-Pierre guérissant les infirmes, Le châtiment d'Ananie.
[4] Voir pages 129 et 132, plus les tableaux en annexe
[5] Jean de Bicci (de Médicis), gonfalonier qui dirigea Florence de 1421 à 1429, père de Cosme de Médicis (1434-64) et arrière-grand-père de Laurent de Médicis (1469-92)
[6] Cet ensemble a été démembré et il n'en reste que quelques panneaux dispersés dans de grands musées. La prédelle consacrée à L'adoration des mages se trouve actuellement au musée Staatliche de Berlin
[7] En préalable, les peintres réalisent à la main levée, sur un plâtre encore humide, le dessin des différents sujets à peindre, la sinopia.
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Vierge à l'enfant & Ste-Anne |
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