mercredi 4 juin 2025

Kamel Daoud, Houris

 RéférenceKamel Daoud, Houris, éditions Gallimard, Collection Blanche, 412 pages, 2024, prix Goncourt 2024

« Je suis la véritable trace, le plus solide des indices attestant de tout ce que nous avons vécu en dix ans en Algérie. Je cache l’histoire d’une guerre entière, inscrite sur ma peau depuis que je suis enfant. » 

Après la parution de Meursault, contre-enquête, déclinaison sur le sujet de L'Étranger d'Albert Camus mais vu cette fois du point de vue arabe en 2013 et Zabor ou Les Psaumes en 2017, sur les limites du pouvoir et la liberté de créer, c'est le récit d'une femme broyée par l'Histoire, qu'il nous raconte ici. 

     

Une histoire de femme centrée sur la guerre civile des années 1992-2002, toute une génération de femmes marquées dans leurs vies et dans leur chair. Sa fille-embryon, elle va la surnommer houri, titre qu'elle a choisi pour le roman. [1] Elle n'a guère que son salon de beauté "Shéhérazade" pour se réfugier.

Aube l'Algérienne [2] est prise entre le souvenir de la guerre d'indépendance qu'elle n'a pas vécu et la guerre civile des années 1990 qu'elle a vécu dans sa chair. Son parcours personnel a été scellé par l'agression inscrite à jamais dans son corps. 

          

Aude (Fajr en arabe) est une rescapée de la décennie noire qui a opposé l'armée au FIS. Durant la nuit du 31 décembre 1999, des islamistes massacre un millier d'habitants du douar de Had Chekala. Fajr est une des rares survivantes. Àgée de 5 ans, elle a été laissée pour morte, les cordes vocales détruites, le corps mutilé par une énorme cicatrice qui la défigure.

Sa mère Khadija lui a promis qu'elle retrouverait sa voix mais le veut-elle vraiment elle-même ?
Elle est célibataire, enceinte et se demande si elle va garder cette enfant. Pourquoi donnerait-elle la vie, elle à qui on a voulu l'enlever, dans ce pays où toute personne qui ne ferait même qu'évoquer la guerre civile, serait poursuivie. 
Elle lui raconte sa décennie noire, la nuit tragique qu'elle a vécu, dans sa langue intérieure, « la langue qui danse dans (s)a tête comme un foulard, un fleuve cité dans le Coran, une seconde peau sous la peau ».

Elle décide finalement de retourner dans son village natal Had Shekala, pendant l'Aïd où des centaines de milliers de moutons sont égorgés rituellement, là où tout a commencé, où elle aura peut-être quelques réponses aux questions qu'elle se pose.

              
  Daoud & Boualem Sansal                    Daoud & Tahar ben Jelloun

Complément
*** Depuis la parution de Houris, Kamel Daoud est la cible du régime algérien, et de multiples plaintes, notamment pour « violation de la loi sur la réconciliation nationale, » poursuite fondée sur la loi de 2005 adoptée sous le régime du président Bouteflika.

*** Autre polémique : une femme l'accuse de s’être inspiré de sa vie privée en violant le secret de son dossier médical alors que l'écrivain assure que son roman est une fiction inspirée de son travail de journaliste au Quotidien d’Oran, dans les années 1990. [2]

         La préface du nègre

Notes et références
[1]
Houri : chez les musulmans, les vierges qui récompenseront les fidèles au paradis, par extension, femme esclave de harem. 
[2] Kamel Daoud, accusé d’avoir plagié l’histoire d’une survivante d’un massacre qui s’était confiée à son épouse psychiatre, a fermement réfuté avoir brisé le secret médical. 

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<< Christian Broussas - Houri -   © CJB  ° 03/06/2025 >>
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