Référence : Gérard Mordillat, "Les vivants et les morts", éditions LGF, février 2006, Grand Prix RTL-Lire 2005
« Quelque chose de toi sans cesse m’abandonne,
Car rien qu’en vivant tu t’en vas. »
Anna de Noailles, Les vivants et les morts
Avant, les hommes étaient entraînés malgré eux dans des guerres de conquêtes, de religions… maintenant c’est la guerre économique qui les menace et peut aussi tuer. Rudi et Dallas ouvriers à la Kos, une usine de fibre plastique, sont de ceux-là.
Leur usine a déjà connu des soubresauts comme cette énorme inondation où elle avait failli sombrer, sauvée finalement par le courage et la volonté de ses ouvriers. Mais cette fois, ce sont les stratégies mondialistes d’une holding internationale qui s’attaque à elle et programme sa destruction. Seul le brevet de fabrication, le procédé pour produire de la fibre plastique, l’intéresse. Le reste, l’entreprise, l’outil de travail, les hommes et les femmes, doit être sacrifié à la logique de la division internationale du travail.
Fin d’une mort annoncée. Mais les ouvriers de la Kos ne l’entendent pas ainsi. Pas question de mendier quelques avantages complémentaires dans une grève sans espoir, ils veulent plus, contre vent et marée, ils veulent sauver la Kos et leur emploi. Combat perdu d’avance juge les responsables économiques et politiques, il faut sauver les meubles. Eux veulent sauver la Kos.
Leur révolte va tourner vinaigre quand d’occupation en manifestations, l’affrontement avec les forces de répression fera des blessés et des morts. La ville de Raussel est moribonde sans la Kos, son poumon économique, dans certaines familles les membres s’affrontent, pris entre la volonté d’espérer malgré tout et de continuer le combat malgré tout, un tissu social qui vole en éclats, autant de morts collectives. Les morts sont autant ceux qui ont été tués dans les affrontements que cette ville morte, ville fantôme qui ne se remettra sans doute jamais de cette terrible épreuve.
Le téléfilm diffusé sur Arte
Reste cette solidarité irremplaçable entre ces hommes qui luttent pour leur survie, qui auront au moins vécu une expérience irremplaçable et pourront sortir la tête haute d’un conflit où ils auront appris que dans la logique de la lutte économique, il faut tuer l’autre. Crime symbolique qui pour eux n’a rien de théorique, où ils ont l’impression à chaque instant de la lutte de jouer leur avenir, cet avenir dont ils sentent bien qu’on veut leur voler et que, derrière les beaux discours et les promesses, se cache l’impuissance des forces socio-économiques locales et des pouvoirs publics. Reste aussi ce principe fondamental de leur dignité : « Ceux qui se battent, qui luttent sont les vivants. Les morts sont ceux qui acceptent leur sort. »
Citations et critiques
« Histoire sociale, histoires d'amour qu'on dévore entre frisson, horreur et passion, voilà un livre-monde, un livre-vie comme on en lit peu dans la littérature française d'aujourd'hui. » Télérama.
« On ne peut pas seulement se rêver et mourir sans avoir vu ses rêves s'accomplir. »
« J’ai du travail ; mais c’est vrai que ce travail me permet seulement d’assurer ma survie pour que je puisse continuer à travailler ; je suis propriétaire de ma maison ; mais c’est vrai que je ne le suis qu’en apparence, en réalité, c’est la banque qui l’est ; je suis libre d’aller où bon me semble ; mais ça, ce n’est vrai qu’en théorie car j’ai pas un sou vaillant pour me déplacer ; j’ai la liberté d’expression, mais chacun sait que s’exprimer publiquement sur l’entreprise qui vous emploie c’est ouvrir soi-même la porte d’où on vous poussera dehors... je suis un esclave, nous sommes des esclaves. »
<< Christian Broussas - Les vivants & les morts - 12/2013 < •© cjb © • >>
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