Frida Kahlo et Diego Rivera
Frida Kahlo a toujours revendiqué sa mexicanidad, recherche d’une identité collective et désir de renouer avec ses racines indigènes, après la fin de la dictature du général Portofirio Diaz, qui régna sur le pays entre 1876 et 1910. La septième élection que brigue Diaz sera l’élection de trop. « l’apôtre de la révolution », Francisco Ignacio Madero, déclenche une insurrection qui initiait dix ans de guerre civile. Au terme des batailles et des meurtres de Madero et de Zapata, c’est finalement Alvaro Obregon qui prend le pouvoir en 1920. Dans ce pays ruiné, le ministre de l’éducation Vasconcelos veut privilégier l’identité mexicaine par l’alphabétisation et l’appropriation d’une conscience collective avec l’art comme instrument de cette politique. C’est dans ce climat que vont se rencontrer Frida Kahlo et Diego Rivera, s’aimer et travailler ensemble.
Frida Kahlo et Diego Rivera
1- La jeune Frida
Née à Coyoacan, banlieue huppée de Mexico en 1907, Magdalena Carmen Frieda Kahlo Calderon est la fille d’un artiste photographe d’origine allemande, et d’une Mexicaine, catholique fervente. Elle grandit dans la Casa Azul qu’elle appellera "la couleur de l’amour" où elle passera une grande partie de sa vie. Si elle est proche de son père, elle traitera sa mère « d’hystérique et de dépressive. »
À six ans, Frida est victime du premier des deux traumatismes qui marqueront son corps, sinon sa vie : une poliomyélite dont elle gardera une jambe menue et une légère claudication. Sous l’égide de son père, son rétablissement fait de sport et de grand air, est spectaculaire, ce qui dénote aussi un tempérament de lutteuse, de gagneuse. Elle entreprend de brillantes études et fréquente la bande des Casquettes (Los Cachuchas).
C’est le 17 septembre que survient la seconde catastrophe, que sa vie bascule : son bus percute un tramway et le résultat est terrible : triple fracture de la colonne vertébrale et au bassin, fracture des côtes, de la clavicule, perforation de l’abdomen et du vagin, fractures à la jambe droite et au pied droit… Elle ne devait pas survivre à de telles blessures mais survivra quand même jeune fille survivra. Sa rééducation sera longue et difficile : corsets sur un lit à colonnes où sa mère accroche un miroir. Avec un dispositif spécial, Frida découvre la peinture en se redécouvrant elle-même après ces épreuves qui l’ont profondément changée. Recherche esthétique autant qu’existentielle qui la guidera désormais.
Frida Kahlo et la statuette 1939
2- La vie avec Diego
Gravitant dans le milieu artistique, Frida va rencontrer Diego Rivera, artiste déjà connu qui a vingt ans de plus qu’elle. Dans son autobiographie Mi arte, Mi vida, Diego écrira qu’elle avait « un beau corps nerveux… un visage délicat. Elle portait les cheveux longs ; des sourcils sombres et épais se rejoignaient au-dessus de son nez. ».Diego Rivera fait partie des artistes qui ont pour mission « d’instruire le peuple mexicain en lui racontant son histoire sur les murs des édifices publics ». Elle le rencontre et l’interpelle paraît-il en train de peindre sur le chantier de La Création dans l’amphithéâtre Simon Bolivar de l’École préparatoire de Mexico.
Frida Kahlo dans son atelier, 1931
Ce couple apparemment mal apparié, lui énorme à côté d’elle et réputé volage, se marie en août 1929. Il dira «A ver que sale » (Voyons ce qui en sortira), selon une amie photographe Tina Modotti. Ils s’installent sur son chantier à Cuernavaca où il peint sur les murs du palais Cortès une fable-fresque « Conquête et révolution ». Elle s’habille désormais avec les vêtements traditionnels des mexicaines mais elle ne pourra mener à terme plusieurs maternités.
De son côté, Diego a beaucoup de difficultés avec ses amis communistes jusqu’à son exclusion du comité central du Parti communiste mexicain.
Ils décident alors de changer de vie. Ce sera San Francisco où il réalise l’Allégorie de la Californie au Luncheon Club de la Bourse de San Francisco. Mais Frida supporte mal sa nouvelle condition et la mentalité américaine. En juin 1931, Diego doit retourner au Mexique pour finir la fresque du grand escalier sur le chantier du Palais national. Ils repartiront cinq mois plus tard à New York pour une rétrospective de l’œuvre de chevalet de Rivera puis à Détroit pour peindre une fresque à l’Institute of arts.
De nouveau enceinte, Frida est hospitalisée et en profite pour dessiner « une série de chefs-d’œuvre sans précédent dans l’histoire de l’art – des peintures qui exaltaient les qualités féminines de l’endurance, de la vérité, de la réalité, de la cruauté et de la souffrance » dira son mari. Diego se sentant incompris aux Etats-Unis, ils retournent au Mexique mais tout va mal, Frida est à nouveau hospitalisée en 1934 et Diego a une liaison avec sa belle-sœur Cristina ; c’est la séparation.
Frida Kahlo La colonne brisée, 1944
3- Après leur séparation
Cette séparation est une dure épreuve et après une aventure avec le sculpteur japonais Isamu Noguchi, elle trouve refuge dans l’alcool. « J’ai bu, dira-t-elle, pour noyer mon chagrin, mais il a appris à nager, le maudit ! » et peint alors Mes grands-parents, mes parents et moi. Cependant elle renoue avec Diego et tous les deux, ils accueillent Léon Trotsky et sa femme Natalia Sedova, alors en exil, à la Casa Azul. Elle aura une brève liaison avec Trotski et lui offrira son Autoportrait dédié à Léon Trotski en "cadeau de rupture".A partir de 1937, elle se tourne résolument vers la peinture jusqu’à sa première exposition à New-York chez le galeriste Julien Lévy. Invitée à Paris, André Breton tombe sous son charme mais elle a surtout des atomes crochus avec Marcel Duchamp, ne goûtant pas vraiment les autres surréalistes. De retour au Mexique, elle apprend que Diego a demandé le divorce. Elle va de nouveau changer de vie, de s’habiller avec des complets d’homme et de se lancer à corps perdu dans le travail, peignant des œuvres noires comme Les Deux Frida et Le Suicide de Dorothy Hale.
Diego tente alors de renouer avec elle et après une cure de désintoxication, ils se remarient le 8 décembre 1940 mais gardent chacun leur indépendance. Revenus à la Casa Azul, ils entreprennent la construction du temple-musée Anahuacalli, en 1942, devant accueillir la collection de pièces archéologiques préhispaniques de Diego. Dès lors, ils vont se vouer à leur passion, lui rejoint en 1943 le Colegio Nacional, lieu d’affirmation de l’unité mexicaine, elle participe à la création du groupe le Seminario de Cultura Mexicana et enseigne à l’école d’art plastique « La Esmeralda. »
Mais elle doit s’arrêter en 1944, clouée par la souffrance physique qui peindra dans des œuvres comme La Colonne brisée et Sans espoir. En 1950, Frida passe un an à l’hôpital ABC de Mexico où, soutenue par Diego, elle subit sept greffes osseuses, qui malheureusement échouent toutes. Son travail est désormais reconnu par une grande exposition en avril 1943 qu’elle suivra sur son lit d’hôpital. Malgré l’amputation d’une jambe, elle participe à une grande manifestation communiste pour protester contre la destitution du président du Guatemala, Jacobo Arbenz. C’est son chant du coq et Frida meurt le 13 juillet, à 47 ans, déclarant juste avant sa mort : «J’espère que la sortie sera joyeuse – et j’espère ne jamais revenir. » Diego Rivera ne lui survivra que trois ans.
Frida : autoportrait aux singes, 1943 Frida : "Diego on my mind", 1943
4- Le Musée Dolores Olmedo de Mexico
Il présente nombre d’œuvres de Frida Kahlo et de Diego Rivera, « L’éléphant et la colombe », qui ont connu le parcours artistique d’un couple mythique dont les vies ont été marquées par une passion commune pour leur pays le Mexique.On peut y admirer les œuvres cubistes de Diego Rivera – dont un Paysage zapatiste et une Femme au puits datant de 1915 au temps où il sillonnait l’Europe et côtoyait des artistes comme Picasso, Léger, Soutine et Modigliani, de grandes fresques inspirées de l’histoire mexicaine, des autoportraits et photographies de Frida Kahlo.
Diego et Frida 1931 Frida Kahlo autoportrait 1943
Les œuvres de Frida Kahlo exprime la souffrance physique qu’elle a subi durant toute sa vie, ses désillusions aussi et l’amour, aussi bien celui de Diego que celui de la liberté. Elle y porte un regard direct, centré aussi bien sur le monde extérieur que sur elle-même, creusant les énigmes de la nature humaine dans des tableaux comme Quelques petites piqûres (1935), La colonne brisée (1944) ou Sans espoir (1945).
Ses constants malheurs physiques font écho à un Mexique qui tente de panser les plaies de sa révolution, longue guerre civile d’une dizaine d’années, une osmose qu’elle réalise par sa volonté de dépasser ses problèmes personnels pour participer à une œuvre collective, à travers la recherche de couleurs et de formes renouvelées.
Frida Kalho et Léon Trotsky, d'après Patrick Deville, Viva pages 47-48
Léon Trotsky en exil au Mexique en 1937 s'installe chez Frida Kalho, dans la "maison bleue". Rapidement, il en tombe amoureux.
« Quand on commence à apporter livres et archives, Trotsky recommande certaines lectures à Frida, glisse entre les pages un petit poème ou des mots doux. La passion va l'égarer pendant six mois. Frida est touchée, bientôt conquise. Ils se retrouvent en secret dans la maison de sa sœur Cristina rue Aguayo ou dans la chambre que son autre sœur Luisa met à sa disposition pour ses rencontres clandestines, près du cinéma Metropolitan. »
Diego Rivera, d'après Patrick Deville, Viva pages 88-4
« Il a passé 10 années de sa vie entre Paris, l'Espagne et l'Italie, connaît sur le bout des doigts le Quattrocento, et le cubisme, et les fresques du temple du jaguar à Chichen Itza dans le Chiapas. Il sait les secrets des vernis de la Renaissance et le bleu du manteau de la Vierge par Philippe de Champaigne. Les fonds à la chaux et les pigments des Mayas. La peinture à la résine du copal que fixe la sève du nopal. [...] Rivera couvre le Mexique des centaines de mètres carrés de ses fresques multicolores. [...] Il brosse à grands coups les images violentes de l'histoire du peuple, les hymnes narratifs que comprennent et commentent au marché les paysans illettrés, jette au mur à grands seaux sa foi en la vie, en la beauté de la nature et des corps... » Parmi ses nombreux articles, il écrira :
« Le paysan et le travailleur urbain ne produisent pas seulement des céréales, des légumes et des objets manufacturés : ils produisent aussi de la beauté. »
Voir aussi
* Mon article : Diego Rivera Les fresques lyonnaises
* Frida Kahlo, artiste mexicaine
<< Christian Broussas Carnon-Mauguio, Octobre 2013 © • cjb • © >>
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