Portraits de Richelieu, Mazarin et Colbert, la "Triade capitoline"
Jeux à fleurets mouchetés, jeux de pouvoirs entre l'absolutisme royal et le système "fisco-financier", ces jeux créent des interactions, des interdépendances aussi dans les mécanismes mis en œuvre, posant la question de la répartition des pouvoirs entre les puissants. Si l'historien Daniel Dessert pose cette question fondamentale dans la France absolutiste des XVIème et XVIIème siècles, elle est en réalité la résultante de l'installation de la royauté -surtout la capétienne un peu avant l'an mil- qui n'était alors et l'est longtemps restée, qu'une famille noble parmi les autres, n'ayant d'ailleurs au début pas toujours le domaine royal le plus important du pays, au moins en superficie.
Ce n'est que peu à peu avec les règnes de Robert le pieux, Henri 1er et Philippe 1er, que s'est exercée sa prééminence et que la royauté s'est imposée au détriment des autres grandes familles prétendantes. Il faudra d'ailleurs attendre Louis XIV pour réduire le dernier "petit état dans l'état".
Les rois de France Robert le pieu, Henri 1er et Philippe 1er
Au cours du XVIème siècle, la monarchie se sentit progressivement assez forte pour s'imposer et culminer dans le symbole du Roi-soleil. Mais elle devait compter sur de puissants bailleurs de fonds pour financer ses fastes et ses guerres; l'absolutisme dont elle se pare doit ainsi être relativisé. Ces bailleurs de fonds qui financent les guerres, règnent sur les Gabelles et d'une façon générale sur le système fiscal, "nerfs de la guerre" de la monarchie, représentent tout ce que le pays comptent de puissants, hauts fonctionnaires, parlementaires, princes... et jusqu'aux cardinaux-ministres. Ils passent le plus souvent par des prête-nom pour sauver les apparences, servant ainsi la monarchie tout en étant les principaux bénéficiaires du système.
La loge du change à Lyon [1]
Dans ces conditions, « de façon consubstantielle, la monarchie n'a aucun moyen de transformer son système fisco-financier. » [2] Régulièrement cependant, le pouvoir royal passe tout ce beau monde à la moulinette des Chambres de justice [2] pour le pressurer quelque peu et tenter de remplir les caisses de l'État toujours vides. Mais on peut négocier et « ce prurit réformateur ne tarde jamais à se calmer.» [2] Même la fameuse Chambre de justice de 1661 [3], réunie dans le cadre du procès du surintendant Fouquet, n'est qu'une « manifestation de puissance ostentatoire mais dénuée de toute efficacité » [2], et c'est en fait Jean-Baptise Colbert qui tire les ficelles, espérant bien alors reprendre à son profit "L'État-Mazarin", ce qui ne manqua pas de se produire.
N'était-il pas son héritier présomptif ? La composition de cette Chambre de justice est en elle-même révélatrice puisque ses principaux sont les dignitaires les plus importants, le chancelier Pierre Séguier la préside, assisté de Lamoignon et de Phélypeaux de Pontchartrain qui se trouve juge et partie puisqu'il détient des parts dans la Ferme des Gabelles comme quelque 30% de ses confrères et de leurs familles.
Pierre Séguier, de Lamoignon et Phélypeaux de Pontchartrin
Le système "fisco-financier", « enkysté dans le système monarchique » [2] se présente comme un ensemble complexe d'influences et de dominations politique, économique, financier, d'assise foncière et de clientélisme mâtiné d'engagement religieux dans la Contre-Réforme. Le prix des affrontements, comme à l'époque de la Fronde, guerre civile entre "L'État-Mazarin" et "L'État-Condé", en est parfois particulièrement élevé. La "triade capitoline" formée de Richelieu, Mazarin et Colbert n' a jamais réussie à renflouer les finances de la monarchie mais elle a amassé des fortunes extravagantes alors que « leur maître était chroniquement banqueroutier. » [2] Le jugement de Daniel Dessert est sans appel.
Déjà à l'époque, la monarchie est impuissante à lutter contre « l'un des fondements de la société française -le comportement clanique . » [2] Les grandes familles ont tendance à vivre en vases clos unis par des intérêts matériels et des positions religieuses, relations entre hommes et groupes, survivance les liens inscrits dans l'État féodal. La centralisation renforce ce système qui a tendance à s'auto alimenter.
Louis XIV à Vaux-le-Vicomte
La "Robe" en particulier, avec ses grosses possibilités de financement devient de fait « un arbitre de la finance royale. » [2] Le pouvoir royal fort qui émerge au XVIème siècle suscite aussi l'émergence de dynasties politiques qui trustent les charges de la haute administration, les sinécures publiques et privées. Il importe moins de partager le pouvoir avec le roi [4] que de profiter du pouvoir exercé en son nom. Ce pouvoir est la résultante d'influences entre factions et parfois entre personnalités émanant de ces factions, qui sont du sérail et, de ce fait, incapables de remettre en cause le système.
Les velléités réformatrices du pouvoir royal jouent à la marge pour permettre au système monarchique de perdurer à moindre coût, les risques d'explosion étant somme toute assez limité. Reste alors à trouver une porte de sortie honorable avec un savoir-faire politique qui manquera cruellement à Louis XVI et à ses ministres en 1789. En ce sens, et en ces débuts du XXIème siècle, on ne peut guère affirmer que ces mécanismes qui semblent émerger d'autres temps et scellent la répartition des pouvoirs, ont vraiment évolué.
Nicolas Fouquet (Lorànt Deutsch) Chambre de Fouquet à Vaux
Notes et références
[1] La loge du change à Lyon : C'est ici le royaume des banquiers et des marchands européens qui convergent depuis le XIVème siècle vers les foires de Lyon. Au XVIème siècle ils prirent tant d'importance qu'on songea à leur construire une "loge" spéciale bâtie en 1630. Elle fut transformée en 1748 par Soufflot qui lui donna sa forme actuelle avec ses cinq arcades, alors ouvertes. Depuis 1803 le bâtiment abrite un temple protestant.
[2] Citations extraites de l'ouvrage de Daniel Dessert, "L'argent du sel, le sel de l'argent", pages 189-192 et "L'État-Mazarin" pages 155 à 164[3] Chambre de justice. — Tribunal extraordinaire chargé principalement de poursuivre les financiers. On appela chambre de justice la commission qui jugea, en 1661, Fouquet et un grand nombre d'autres financiers. (d'après le Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France - Adolphe Chéruel (1809-1891) — Paris, 1899
[4] Comme le prévoyait par exemple la Constitution de 1791 instaurant une monarchie constitutionnelle. Mais la fuite du roi à Varennes changea la donne...
Voir aussi
* Vous pouvez aussi accéder à ma présentation du livre de Daniel Dessert "L'argent du sel, le sel de l'argent" , du financier lyonnais Paul de Sève et Une famille de financiers au XVIème siècle en cliquant sur les différents liens.
<<<< Christian Broussas – Feyzin, 4 avril 2013 - <<< © • cjb • © >>>>
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