Référence : Pierre Lemaitre, Couleurs de l’incendie, éditions Albin Michel, 530 pages, janvier 2018
 
« Charles avait toujours considéré le métier de député comme un métier de contact : " on est comme les curés. On donne des conseils, on promet un avenir radieux aux plus dociles; notre problème est le même, il faut que les gens reviennent à la messe. »

             

Beaucoup dirons «  Enfin la suite de Au revoir là-haut» [1] qui valut à Pierre Lemaitre le prix Goncourt 2013 il y a 4 ans… et il y aura un tome 3. Couleurs de l’incendie est en effet la suite des tribulations de la famille Péricourt qui paraît chez Albin Michel.


On quitte la Grande Guerre, et l’escroquerie aux Monuments aux morts des anciens poilus Édouard Péricourt et Albert Maillard, pour le somptueux enterrement du banquier Marcel Péricourt en février 1927. Après le suicide d’Édouard, le fils, c’est sa fille Madeleine qui s’occupe du deuil et prend la tête des affaires. 



Le deuxième tableau est tout aussi sombre : Pendant la cérémonie, Paul, le fils de Madeleine âgé de 7 ans, se défenestre et tombe sur le cercueil de son grand-père. Il en gardera un grave handicap physique. En ces années 1920-1930, Madeleine Péricourt connaîtra aussi ruine et déclassement avant de "rebondir". À l’image de la famille Péricourt, sa richesse et sa fière assurance qui s'estompe, c'est toute la vieille Europe qui s'effrite.

Pierre Lemaitre utilise la même technique, insérant petit à petit chaque personnage dans le fil du récit, un frère fauché qui espère se refaire, la fille qui s’échine à faire vivre l’affaire familiale…

    Images du film

L’intrigue se développe ainsi dans un climat lourd de menaces qui vont évoluer vers frustrations et vengeances, dans cet entre-deux-guerres difficile et multiforme, marquée par la grande crise socio-économique qui démarre en 1929 et la montée du nazisme. Le ton plus léger vient de l’ironie que développe l’auteur, comme par exemple les filles du frère du banquier qui seront difficiles à marier vu qu’elles sont moches et sans dot ou ce personnage de politicien véreux qui devient chef de la commission de l’évasion fiscale…

On a dit que ses romans ressemblaient à des romans-feuilletons à la Dumas, brossant une société dure et brutale, surtout avec les plus démunis, et des hommes souvent égoïstes et sans égards pour leur prochain. Dans cet esprit, les aspects sociétaux sont abordés sans pudeur tel les thèmes de l’évasion fiscale, du boursicotage, le rôle de la presse ou ce parcours qui montre de quelle façon dans ces années trente, on avance à grands pas vers le fascisme.

     

"Couleurs de l'incendie", à travers la description des années trente,  parle aussi de l’émancipation féminine, celle de Madeleine qui sera contrainte de quitter sa condition préservée de fille de notable, qui a successivement été confrontée à un divorce, à la mort de son père puis à l'accident de son fils Paul.

Propulsée à la tête de l’entreprise, elle devra affronter la misogynie, la malveillance, l’arrivisme des hommes de son entourage. Elle mettra toute son énergie, toute son intelligence à lutter contre cette mentalité et à redresser ses affaires. Elle découvrira aussi l’indépendance financière, la liberté, celle de l’esprit aussi bien que celle du corps.
On y voit aussi évoluer Léonce, jolie jeune femme qui ne s’embarrasse pas de scrupules, Vladi, polonaise enjouée qui assume sans complexe ses désirs sexuels ou encore Solange, la cantatrice un peu bizarre dont Paul s'est entiché.

  Niels Arestrup et Laurent Lafitte

Sa "façon de travailler" consiste d’abord à être un « fabricant d’émotions ». Mais bien sûr, ce n’est pas « que de la mécanique, » et pas seulement raconter des histoires bien ficelées.
Pour lui, se "méfier de l’écriture", « ça veut dire qu’il ne faut pas confier à l’écriture ce qu’elle ne sait pas faire. On a toujours hâte de se mettre à écrire, le travail de préparation et de construction est long, laborieux, ingrat. On aimerait l’abréger pour passer à l’étape jubilatoire. Mais l’écriture au fil de la plume est incapable de construire un scénario, ce n’est pas son boulot. » 

Il confie qu’il a ici utilisé la structure du Comte de Monte-Cristo, d’Alexandre Dumas (1844-1846). On passe d’une première partie base sur le thème de la machination au thème de la vengeance de tous ceux qui ont causé sa perte. « Mais j’abandonne vite l’intrigue, précise-t-il.

Notes et références
[1]
L’adaptation cinématographique récente d’Albert Dupontel a recueilli un gros succès avec plus de deux millions de spectateurs.


Mes fiches sur Pierre Lemaitre :
* Trois jours et une vie -- Au revoir là-haut t1- Couleurs de l'incendie t2 --


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