Référence : Jorge Semprun, Le langage est ma patrie, préface de Bernard Pivot, éditions Libella-Maren Sell, 118 pages, février 2013

         
« J’ai plus de souvenirs que si j’avais mille ans. »

Durant l’été 2010, Jorge Semprun se livre à une série d’entretiens avec Franck Appréderis, un ami de longue date, ayant notamment permis de réaliser un portrait pour l’émission Empreintes de France Télévisions

Sur un mode qui lui est familier, à la fois intime et pudique, Jorge Semprun revient sur l’ensemble de son œuvre aussi bien littéraire que cinématographique et sur son parcours politique : résistant communiste déporté à Buchenwald, militant clandestin en lutte contre le franquisme et ministre de la Culture de Felipe González. Témoin et acteur des bouleversements de l’histoire du XXe siècle, il vit avec l’énorme poids de ses souvenirs.



Semprun (à droite) dans le gouvernement de Felipe Gonzalez

Le réalisateur Franck Appréderis a réalisé dix heures d’entretiens avec Jorge Semprun, pour un épisode du magazine Empreintes qui a été diffusé sur France 5.
Ce grand témoin des bouleversements de l’histoire du XXe siècle se confie avec un certain humour, malgré la gravité du propos, recul et lucidité liés à une grande érudition et une joie de vivre chevillée au corps.

Franck Appréderis a travaillé avec Jorge Sempun pour la première fois en 1976. Ils vont écrire tous les deux une mini-série située dans les années 1950 à Saint-Germain-des-Prés, un film inspiré de son livre L’écriture ou la vie pour France Télévisions, et ce portrait pour la série Empreintes.

Ce livre est l'occasion pour l'homme de lettres de revenir sur les différentes étapes des trois grands engagements littéraire, cinématographique et politique, qui ont marqué sa vie. L’ouvrage est présenté en cinq grands chapitres, son expérience lié à son travail de mémoire et sa réflexion sur l’avenir :
1- À l’encre du vécu – 2- Lieux de mémoires – 3- La force de la culture --
4- L'aventure en Europe – 5- Pour la fraternité –



Écrire impose une unique patrie, le langage. Non pas une langue en particulier, mais le langage qui englobe tout, « la communication, l’amour, la haine, la discorde, la concorde, la politique, le roman – tout ! »

Jorge Semprun (1923-2011), fils d’exilés républicains espagnols, poursuit ses études en France. Jeune résistant, il relatera son expérience de Buchenwald dans plusieurs ouvrages sur l’enfer concentrationnaire. Après la guerre, il sera l’un des dirigeants du Parti Communiste espagnol. Après son exclusion en 1964, il se consacrera à l’écriture avec une parenthèse de 1988 à 1991 où il occupera le poste de ministre de la Culture du gouvernement socialiste de Felipe González. [1]

Jorge Semprun évoquera dans ses livres les péripéties de son adhésion au parti communiste, les conditions de son exclusion puis son rôle de ministre de la Culture espagnol avant d'écrire sur l’évolution de la gauche ou de l’Europe.
Son parcours d'écrivain suit son abandon de la clandestinité et son rejet de l’idéal communiste, disant à propos de cette époque : « j'ai abandonné la peau de serpent de la vie clandestine pour entrer dans la peau tout à fait publique de l'écrivain. » 


Jorge Semprún et Virgilio Peña lors de leurs retrouvailles, en 2010, pour le 65e anniversaire de la libération du camp de Buchenwald.

Si l’expérience du camp de Buchenwald, si importante pour l’auteur, si présente dans son œuvre, si déterminante dans son itinéraire, est introduite dans ce livre à partir d'un discours datant de 2010, on le suit aussi dans son parcours : Paris et ses années d'étudiant, le Prado, où il se cacha à l’époque de la  clandestinité, « le lieu idéal », un lieu beaucoup moins fréquenté qu'aujourd'hui, un lieu parfait entre deux rendez-vous secrets. « La vie de clandestinité, ajoutera-t-il, n'est pas une vie de bureau mais de café, d'endroits où l'on tient des réunions plus ou moins longues. »

Les grands thèmes de Semprun sont largement repris, en particulier la relation entre réalité et fiction, la réalité de son vécu dans l’univers concentrationnaire confrontée à la relation qu’il en fait dans ses "romans-témoignages".

Pour retracer son expérience, en particulier la façon dont il a vécu à Buchenwald, Jorge Semprun revendique le droit de recourir à la fiction, revenant par exemple sur les émotions qu’il ressentit quand Yves Montand incarnait son personnage dans le film La guerre est finie : « Je n'avais pas le sentiment de revivre l'évènement. J'avais le sentiment d'assister à une chose que je connaissais intimement. Mais là, dans ce que j'ai vu du personnage au retour de Buchenwald, c'est infiniment plus fort. Là, j'ai vraiment l'impression d'assister à ma propre vie. »
      
Jorge Semprun et Yves Montand


On retrouve dans ce livre l’itinéraire compliqué de Jorge Semprun, mêlant anecdotes sur sa vie, sur ses goûts (pour le football par exemple) et réflexions sur les leçons du passé ou sur l’avenir, le long travail de la mémoire pour laisser « l'empreinte de la critique et même de l'autocritique, l'empreinte sur l'âme plutôt que sur le monde. »

Notes et références
[1]
Semprun qui affirme, non sans dérision, que « la chose que j’ai le mieux réussie dans ma vie, c’est la clandestinité », a traversé les phalanges franquistes, les luttes intestines du Parti communiste, la barbarie nazie, les espoirs et déceptions de la construction européenne… ce qui ne l’empêche pas de croire en l’« héroïsme de la raison ».  (Le magazine philosophique)


Voir aussi mon Site Jorge Semprùn -- et mon fichier Repères sur son oeuvre --

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