Berliet sans Berliet
Il y a quelque 70 ans, l’entreprise de construction automobile Berliet de Lyon faisait une surprenante expérience… [1]
Référence : Marc Ameil, Berliet sans Berliet. Extrait du mémoire de maîtrise d’Histoire intitulé La CGT lyonnaise, 1944-1948. Lyon II, 1974
Marc Ameil
Situation paradoxale des usines Berliet au lendemain de la guerre, qui lui a permis de vivre une expérience particulière. Les usines Berliet, une institution à Lyon
depuis leur création en 1899, symbole de l’expansion de l’automobile
puis des camions quand l’entreprise évolua vers ce type de production.
Mais voilà, en septembre 1944, le patron historique, accusé de collaboration, est écarté et l’entreprise mise sous séquestre. [2]
C’est l’occasion d’une expérience unique à l’époque, d’autogestion qui
permet aux quelque 7000 salariés (dont près de 80 % d’ouvriers)
présider à son avenir avec l’aide de la CGT et ceci, sans ingérence
politique au départ.
Avec
les représentants du personnel, des comités se réunissent chaque mois
pour examiner les suggestions du personnel sur tous les aspects de la
vie de l’entreprise.
Le mot d’ordre est alors la reconstruction : chacun a à cœur de
participer au redémarrage des activités. Cet essor économique entre 1944
et 1946 permet aux salariés de recevoir une prime correspondant aux
bénéfices qui leur sont affectés.
« On est en train de remettre les lettres en place »
L’entreprise
n’a pas seulement un but économique mais vise aussi un but social,
prenant en compte la santé et la sécurité avec l’organisation de visites
médicales, l’implantation d’une cantine et d’activités sportives. La
cité Berliet permet de loger les personnes à proximité de l’usine de
Vénissieux.
À
l’heure de la reconstruction, on s’attèle à remettre en marche l’outil
de production, se traduisant par un redémarrage de la production entre
1944 et 1946. Il permet d’octroyer des primes avant de réviser les
grilles salariales.
Les
problèmes vinrent d’abord des pouvoirs publics qui abandonnèrent le
projet de nationalisation, obligèrent la nouvelle direction à payer les
143 millions de francs d’amende dus par les anciens patrons Berliet.
Mais il faut dire aussi que tout le personnel n’était pas à même de
participer à cette évolution, la motivation n’étant pas forcément au
rendez-vous.
L’entreprise
était endettée, la production stagnait et la grande grève de la fin
1947 signait la fin de l’expérience. Finalement, la direction autant que
les politiques sabotèrent l’expérience qui ne s’inscrivait ni dans la
logique d’un libéralisme renaissant [3] ni dans un projet plus global de lutte anti capitaliste.
L’expérience ne survécut pas aux premiers soubresauts de la "guerre froide"
et, comble d’ironie, l’entreprise fut finalement restituée à ses
anciens propriétaires, pourtant condamnés pour faits de collaboration.
Par arrêt du 22 juillet 1949, le Conseil d'État saisi par la famille Berliet, annule l'arrêté du 1er août 1946 qui avait nommé Marcel Mosnier administrateur provisoire. Un nouvel arrêt du Conseil d'État du 28 décembre 1949 casse l'arrêté nommant Henri Ansay administrateur provisoire, mettant fin à l'action judiciaire.
De la Berliet 24 HP 1905 à la Berliet Dauphine 1939
Notes et références
[1] Les
automobiles Berliet passent sous contrôle de Renault en 1974, devient
RVI (Renault véhicules industriels) en 1978 et cédé au groupe Volvo en
2000 devenant Renault Trucks. [2] Le
3 septembre 1944, Marius Berliet est arrêté, les FTP réquisitionnent
les usines Berliet, le Commissaire de la République à Lyon, Yves Farges,
s'appuyant sur la loi du 10 septembre 1940, place l'entreprise sous
séquestre le 5 septembre et fait arrêter les quatre fils Berliet le 13
septembre 1944.
[3] Par exemple, le général de Gaulle déclara qu’il « ne voyait aucune raison […] pour que le régime absurde qualifié d’expérience Berliet continue pour cette usine. »
Un des logos Berliet Camion Berliet GLR
Voir aussi
Revue française de science politique, Les forces politiques en France, 1975, Marc Ameil, La CGT lyonnaise 1944-1948
Monique Chapelle - Berliet - Éditions Le Télégramme, 2005
Louis Muron " Marius Berliet, 1866-1949", Éditions Lugdunum, 1995
Marcel Peyrenet, Nous prendrons les usines : Berliet : la gestion ouvrière (1944-1949)
<< Christian Broussas – Berliet - 26/06/2018 <> © • cjb • © >>
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