Référence : Kamel Daoud," Zabor ou Les psaumes",
éditions Actes Sud, 2017
« Tu écris ce que tu
vois et ce que tu écoutes avec des e toutes petites lettres serrées, serrées comme
des fournis, et qui vont de ton cœur à ta droite d’honneur. »
Préface - Dassine Oult Yemma, musicienne et poétesse
Préface - Dassine Oult Yemma, musicienne et poétesse
Zabor
n’est pas vraiment un enfant comme les
autres, moqué par les autres enfants qui imitent sa démarche incertaine et sa
voix de chevrette. Orphelin de mère, rejeté par Hadj Brahim son père, Zabor
a été élevé par Hadjer sa tante
célibataire et un grand-père mutique. Bientôt il ne pourra plus aller à l’école
pourtant il était plutôt doué, doté d’une mémoire prodigieuse et amoureux de
l’alphabet et des mots.
Il écrit, il
écrit, dormant le jour, errant la nuit dans les rues du village d’Aboukir,
un solitaire se réfugiant dans les romans d’une vieille bibliothèque
qui donne un sens à sa vie. On dit même dans le village, qu’il possède un don,
qu’il est capable de guérir et aussi de vaincre la mort, de renouer avec ses
mots le fil d’une vie qui s’en va : il parvient à enfermer dans ses
phrases ceux qui ainsi "gagne du
temps de vie".
Dans le village,
on croyait dur comme fer que l’écriture pouvait commander aux esprits, « l’écriture avait une odeur, une
matière, un son sous le calame. » Elle était même capable de jeter des
sorts, de stopper des mariages ou de guérir des maladies car « si le monde était un livre, le corps
était son encre. »
Comme disait
l’imam Senoussi de façon sibylline :
« À Daoud nous avons donné les psaumes. » (page 204)
.
Zabor avait bien tenté de se plier aux rites du village, d’apprendre par chœur les sourates du Livre sacré, d’aller les réciter aux manifestations, aux enterrements mais il ne put longtemps jouer son rôle. À chaque fois, son corps réagissait, il reprenait des crises terribles, se terrait dans la maison, seul avec sa tante Hadjer. Il savait inconsciemment sans doute que le verbe sacré n’était lui aussi qu’un rite dépouillé ainsi de son merveilleux et que seuls les paroles confuses de ses cahiers contenaient assez de vérité pour défier la mort. Alors, « Zabor reprenait le dessus sur Ismaël, gémellité contraire. »
Zabor avait bien tenté de se plier aux rites du village, d’apprendre par chœur les sourates du Livre sacré, d’aller les réciter aux manifestations, aux enterrements mais il ne put longtemps jouer son rôle. À chaque fois, son corps réagissait, il reprenait des crises terribles, se terrait dans la maison, seul avec sa tante Hadjer. Il savait inconsciemment sans doute que le verbe sacré n’était lui aussi qu’un rite dépouillé ainsi de son merveilleux et que seuls les paroles confuses de ses cahiers contenaient assez de vérité pour défier la mort. Alors, « Zabor reprenait le dessus sur Ismaël, gémellité contraire. »
Cette fois, le
défi est particulièrement important : son demi-frère a fait l’effort inouï
de venir frapper à sa porte : leur père se meurt et seul Zabor peut défier cette fatalité. Il ne
peut faire autrement malgré le désamour de ce père qui n’a jamais admis son
handicap, qui ne l’a jamais aimé.
L’agonie de son
grand-père Hadj Hbib est pour lui « la preuve que la dislocation était
possible malgré la puissance d’une
langue ou la richesse d’une vie … rien n’était inébranlable, encore moins les
mots et leur écriture. »
L’idée centrale
est que « le tout est d’écrire, pour
redonner une histoire à ceux qui l’ont perdue, et ainsi ils reviennent achever
leur récit... » car la langue
« pouvait être résurrection… Il me fallait juste être précis et net. Oser.
Je connus alors l’extase. » [1]
Mais il ne sauvera pas ce père qui l’a rejeté et le réclame pourtant au seuil de la mort. Son Verbe n’a pas pu la vaincre, il reste un homme parmi les hommes, troublé par la belle Djemila et ne pourrait que faire repousser le délai fatidique comme dans les Contes des mille et une nuits.
Mais il ne sauvera pas ce père qui l’a rejeté et le réclame pourtant au seuil de la mort. Son Verbe n’a pas pu la vaincre, il reste un homme parmi les hommes, troublé par la belle Djemila et ne pourrait que faire repousser le délai fatidique comme dans les Contes des mille et une nuits.
Ce roman est
d’abord une confession, un monologue biographique sur le pouvoir des mots, la
limite des textes sacrés comparés à la liberté de créer, même celle tâtonnante
et débridée de Zabor, même si elle
est vouée à l’échec. Dans la veine de Schéhérazade, Zabor joue au sauveur par la puissance libératrice de son imaginaire.
Daoud et Laïla Slimani
Daoud et Laïla Slimani
Notes et références
[1] L’extase : titre du troisième et dernier chapitre de son livre
.
[1] L’extase : titre du troisième et dernier chapitre de son livre
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Bibliographie
* Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, Goncourt du premier roman, 2014
* Mes indépendances, Chroniques 2010-2016, 2017
.
* Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, Goncourt du premier roman, 2014
* Mes indépendances, Chroniques 2010-2016, 2017
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<< •• Ch.
Broussas – Daoud, Zabor -
27/07/2018 © cjb © •• >>
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