Soif : La Passion du Chris selon Amélie Nothomb

Référence : Amélie Nothomb, Soif, éditions Albin Michel, 162 pages, août 2019

« C’est tout simplement le livre de ma vie ! » s’est exclamée Amélie Notomb dans une interview.

Son titre "Soif" fait penser à l’appétence d’Amélie Notomb pour le champagne et sa dégustation ou alors de son rapport à la boisson après son rapport à la nourriture  qu’elle a développé dans des romans comme Métaphysique des tubes en 2000 ou Biographie de la faim en 2004. Toujours le corps mais cette fois-ci, il s’agit de celui du Christ.


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Rien de moins.

Ainsi, elle a décidé de revisiter cette histoire universelle si souvent commentée. Selon le titre d’un film, c’est "La Plus Grande Histoire jamais contée". Elle part de l’épisode où il vient d’être condamné à la crucifixion et attend d’être supplicié. Sans illusions sur les hommes puisqu’il dit, « j’ai toujours su que l’on me condamnerait à mort.»
C’est Jésus lui-même qui s’exprime, qui nous fait vivre sa passion sous la plume acérée d’Amélie Notomb. La romancière se met dans la peau de Jésus juste avant sa crucifixion sur le ton du monologue intérieur.

   
Le voyage d'hiver    Métaphysique des tubes  Biographie de la faim

Pantelant sur cette croix fatale, pieds et mains cloués, il prononce faiblement ces mots : « J’ai soif ». Nous y voilà. Pourtant, Jésus avait une cruche d’eau à sa disposition mais pour lui, refuser de boire l’eau de la jarre, c’est résister à la tentation, c’est aussi rejoindre le divin dans la première gorgée d’eau avalée après un temps d’abstinence comme le premier repas après un jeûne.



Il faut cultiver sa faim comme Candide cultivait son jardin. Bien sûr, ce n’est pas une reconstitution historique qui suivrait à la lettre les différents épisodes de la Bible mais une reconstruction littéraire, la part de liberté de l’artiste. Amélie Nothomb nous propose un Christ vraiment humain, sensible à Marie-Madeleine, fils aimant et corps souffrant.

  
  « Jésus L’homme solitaire », Amélie Notomb à Nancy


 
1- « Soif », le roman de sa vie ?

L'anagramme de « Soif » est "presque" « foi », le thème de son dernier livre. Ce n’est pas d’aujourd’hui qu’Amélie Nothomb entretient un lien étroit avec Jésus. Pour preuve, les références qu’on trouve dans ses livres précédents comme cette « figure d’identification, avec qui elle se sent  une connivence profonde » dans Métaphysique des tubes ou Jésus donné en modèle : « Récapitulons : petite je voulais devenir Dieu. Très vite, je compris que c’était trop demander et je mis un peu d’eau bénite dans mon vin de messe : je serais Jésus » dans Stupeur et tremblements.

Cette fois, elle lui consacre un livre dont elle attend beaucoup et qui est l’un des plus aboutis qu’elle ait produit. «  Cela fait 50 ans que j’avais envie d’écrire cette histoire » avoue-t-elle dans plusieurs interviews. Elle se rappelle qu’enfant « Jésus était mon grand copain, mon meilleur ami, mon ami imaginaire » puis plus tard, « quand j’ai compris que la souffrance, c’était pour moi aussi, alors oui, j’ai éprouvé le besoin de parler de Jésus ».

   
Le crime du comte Neville  La bouche des carpes  La nostalgie heureuse


2- Même si elle prend quelques libertés, elle n’invente rien

Bien sûr, aucun suspens dans cette histoire, on connaît la triste fin de son héros.
« L’avantage de cette certitude, c’est que je peux accorder mon attention à ce qui le mérite : les détails », écrit-elle au début du livre. Je ne sais si le diable est dans les détails mais c’est le biais qu’elle utilise pour faire œuvre originale.


  La flagellation du Christ, Le Caravage

Elle voit d’abord Jésus comme un être humain fait de chair et de sang. Son désir pour Marie-Madeleine est en ce sens très symptomatique, cette soif qui le tiraille prouve qu’il est vivant, que, dit Jésus lui-même, « La nuit d’où j’écris n’existe pas ». Cette façon d’aborder cet épisode donne toute sa carnation à Jésus, capable de vivre, d’aimer, de souffrir, se plaçant avec les hommes au-delà du spirituel.

           
« Pour éprouver la soif, il faut être vivant »

 

3- Un sujet abordé sans tabou

Même si elle aborde le personnage de Jésus en tant qu'humain, avec ses valeurs, sa sexualité, Amélie Notomb précise que son propos n'a jamais été de « scandaliser qui que ce soit... J’ai écrit ce livre pour ne plus me déchirer intérieurement avec cette question du sacrifice du Christ présenté comme nécessaire. C’est une question qui, à mon avis, rend malade une grande partie de notre civilisation. »

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 Une forme de vie --       Les prénoms épicènes --

Elle pense qu’on vit encore «  dans une civilisation du sacrifice et du martyre », ce qu’on peut constater chaque jour dans le monde. Considérer le martyre comme une valeur est une question essentielle à ses yeux et ce livre se veut une tentative pour répondre à cette problématique.


Elle tente d’y répondre en utilisant la première personne, en hissant Jésus sur la croix. Mais ajoute-t-elle,  « soyons tout à fait clairs : je ne suis pas folle au point de me prendre pour Jésus. Ce que j’ai vraiment voulu, c’est l’accompagner aussi près que possible, quand il est sur la croix. »

  

Mes fiches sur Amélie Nothomb
* Amélie Notomb, Son parcours -- Soif --
* Amélie Notomb, Pétronille -- Biographie de la faim --


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