vendredi 4 décembre 2020

Introduction au siècle des lumières

  

« Plus les hommes seront éclairés et plus ils seront libres.  » Voltaire

Appelé « Le SIÈCLE des LUMIÈRES », le XVIIIe siècle est une époque dominée par la pensée et une certaine idée de l’humanité. Il est marqué par un extraordinaire essor des sciences, la parution de l’Encyclopédie dirigée par des hommes comme Diderot et d’Alembert, les idées de Montesquieu et sa théorie des pouvoirs, qui est une des bases de la démocratie, un rationalisme qui renvoie à l’antichristianisme de philosophes comme Voltaire, Kant et Rousseau.

Cette confrontation entre science, philosophie et culture a largement contribué à faire évoluer les mentalités. Dans plusieurs domaines, l’époque contemporaine doit beaucoup au XVIIIe siècle et lui ressemble aussi par certains côtés. Ceci explique que pour bien comprendre notre époque, on ne peut faire l’économie d’une étude du siècle des Lumières et des idées qui l’ont marqué.

Les idées nouvelles : Égalité des droits, refus de la monarchie absolue, liberté religieuse, Bienfaits du progrès, Bonheur pour tous
Voltaire : combattre l’injustice sociale - Rousseau : défense de la liberté –
Diderot/D'Alembert : L’encyclopédie - Montesquieu : la démocratie -

De façon contradiction, ce XVIIIe siècle doit beaucoup à l’humanisme chrétien et l’importance qu’il accorde à la personne. L’évolution de la philosophe qui se sépare radicalement de la théologie à travers les œuvres de penseurs comme René Descartes [1], Blaise pascal, Gottfried Leibnitz ou Baruch Spinoza comme l’évolution des sciences appliquées qui préfigurent la société industrielle ont joué un rôle prééminent dans cette transformation socio-économique. Il est d’ailleurs symptomatique de constater que les plus grands philosophes du XVIIe siècle furent aussi des scientifiques.

          
     René Descartes (1596-1650)                        Blaise Pascal

Les siècles précédents
 

Même si l’histoire est parfois faite de ruptures, elle est d’abord une très longue évolution que des historiens comme Fernand Braudel se sont efforcés de mettre en lumière. La Renaissance par exemple, souvent présentée comme une rupture d’avec le Moyen- âge est d’abord le produit conjugué de la fin des guerres en Orient et en Occident et l’ouverture du monde au continent américain permettant l’essor du commerce.

Le Moyen-âge lui-même a connu une accélération de son évolution, la menace extérieure se desserrant vers la fin du Xe siècle et le rôle de l’état-nation augmentant progressivement. On a surtout retenu de ces deux évolutions leurs aspects culturels, la première aux XIe et XIIe siècles marquée par l’édification des grandes cathédrales gothiques, la seconde à la fin du XVe siècle par la productions d’œuvres picturales et architecturales marquantes dans ce qu’on a appelé la Renaissance, italienne d'abord avec le Quattrocento, qui va progressivement s’étendre à l’Europe.

         
  Galileo Galilei, dit Galilée                Jean-Jacques Rousseau

Le goût pour l’antiquité implique le retour à un certain paganisme, encouragé il est vrai par le Grand schisme et ses séquelles, qui signifie aussi un esprit plus individualiste et sceptique.  

Si le siècle des lumières est né en France, c'est sans doute en grande partie dû aux conditions du règne de Louis XIV marqué par un absolutisme et une censure omniprésente, conjugués à la guerre de Succession d'Espagne qui a plombé la fin de son règne, tout ceci pesant lourdement au peuple français. Cette situation s'est dénouée avec la politique libérale du Régent le duc d'Orléans qui a permis aux idées des philosophes de se répandre dans la société française. La censure sourcilleuse de Louis XV ne fera ensuite qu'élargir le fossé séparant le pouvoir royal des élites dont les idées se répandirent en France et dans toute l'Europe.

          
                              Paris au siècle des lumières

Le triomphe de la raison

La Renaissance et son goût de l'observation allait permettre les découvertes majeures du XVIIe siècle. On peut citer dès  1608, Lippershey qui réalisa la première lunette d’approche, ce qui déboucha ensuite sur le télescope de Galilée, en 1628, Harvey décrivait le mécanisme de la circulation sanguine, vers 1650 Torricelli, Roberval et Pascal parvenaient à évaluer la masse de l'air puis en 1676, Rœmer calculait la vitesse de la lumière et en 1690, Denis Papin construisait la première machine à vapeur.Ces avancées scientifiques eurent d'extraordinaires répercussions, surtout quand Newton découvrit le principe de la gravitation universelle puis en 1704, décrivit les principes de la lumière et la perception des couleurs. C'était une confrontation entre l'homme et la nature où Dieu n'avait plus guère de place.

            
                        Portraits de Voltaire jeune et âgé

La pensée de René Descartes (1596-1650) et la connaissance

Ce concept de réflexion rationnelle, qui rejette la grâce chrétienne, remonte au philosophe anglais Roger Bacon qui disait se méfier des idées toutes faites et les soumettre au filtre de la pensée. Mais c'est René Descartes qui va théoriser cette conception dans ses deux ouvrages, Le discours de la méthode en 1637 et  Les Méditations métaphysiques en 1641.

Descartes [1] avait pris acte des évolutions technologiques de son époque et d'une nécessaire évolution subséquente de la pensée philosophique, qui devait se séparer définitivement de la scolastique. [2] Toute réflexion doit se baser désormais sur une réflexion, une méthode inductive mettant en doute toute évidence afin d'en tirer des conclusions opérationnelles. Le doute devient ainsi ontologique, le propre de l'homme pensant.

À partir de là, on a surtout retenu de sa démarche : Douter, c’est penser ! Concrétisée par son fameux Cogito, ergo sum — « je pense, donc je suis.  » Hegel disait que « Descartes a inauguré une philosophie du Sujet ».

Descartes [1] était un croyant qui pensait qu'étudier objectivement la nature ramènerait à Dieu mais d'autres pensaient qu'à partir de sa démarche on pouvait dire « je pense que..., donc... » Sa théorie du « cogito  » allait dès lors donner lieu à un certain nombre d'interprétations influençant grandement les courants de pensées.

L'homme pouvait ainsi éprouver sa liberté à travers sa raison. Ceci correspondait parfaitement aux progrès accomplis par des hommes qui répandaient sur l’humanité les « lumières » de la science et de la liberté tels que Farenheit, Franklin, Réaumur ou Buffon. Pour cette génération, la raison, comme l'a écrit Pierre Beyle dans son Dictionnaire historique et critique en 1697, est « le tribunal suprême qui juge en dernier ressort et sans appel  » en l'opposant à la foi qui est une croyance qui se suffit à elle-même.

   
Denis Diderot          Jean Le Rond D'Alembert          Montesquieu

Kant et le mouvement de libération

Emmanuel Kant s’est demandé ce qu’il fallait entendre par "Les Lumières". Pour lui, c’est  « un mouvement de libération de l’esprit et de la conscience, un effort de l’homme pour oser enfin se servir de sa raison. » Ça signifie d’une part reconnaître un rôle moteur à la Raison et d’autre part travailler pour le bonheur de l’humanité. D'où sa devise "aie le courage de te servir de ta raison", que les révolutionnaires ont appliqué en 1793 en instituant  le culte de la déesse Raison à Notre-Dame de Paris. Il faut également remarquer que sous la régence de Philippe d’Orléans, on n’en était pas là.

Les idées des « philo­sophes » se diffusèrent dans les salons, les cercles, les cafés, ainsi que les journaux qui se développèrent à la mort de Louis XIV. Les pamphlets proliférèrent dont les titres parlent d'eux-mêmes : “De la cruauté religieuse, “L’imposture sacer­dotale”, “Les Prêtres démasqués”. Voltaire lui-même publia quelques libelles qu'il nommait des “rogatons et petits pâtés chauds”.
Il y eut d'autres textes de même nature comme par exemple le poème satirique la “Pucelle d’Orléans” de Voltaire ou “La Religieuse” de Diderot.

     

L'encyclopédie

Dès 1728, l'anglais Ephraïm Chambers avait publié une première Encyclopédie ou Dictionnaire des arts et des sciences, et Diderot estimait qu'on pouvait faire beaucoup mieux. Pour cela, il réunit une équipe (dont d'Alembert) et s'entoura d'auteurs connus tels que Montesquieu, Buffon, Voltaire, Condillac, Turgot, Rousseau, le baron d’Holbach, Helvétius... dans tous les domaines de la connaissance. Cette somme d'informations devait représenter, une fois terminée, dix-sept volumes d’articles et onze autres de planches, qui parurent entre 1751 et 1772.

Cette énorme entreprise novatrice s'était donné comme objectif, avec la raison pour guide, de prendre en mains son destin en rejetant toute fable, toute super­stition, que véhiculait en particulier la religion. Mais L'encyclopédie se garda bien d'attaquer directement l'Église et la religion, sachant fort bien que la censure royale pourrait s'abattre sur eux, préférant dans ces conditions utiliser d'autres moyens comme l'insinuation ou l'ironie.

     
Frontispice de l'Encyclopédie                                     Par Michel Forest

Le mythe du "bon sauvage"

Ce mythe du "bon sauvage" vient sûrement des voyages des grands navigateurs et des récits de voyageurs qui firent connaître aux chrétiens européens d'autres civilisations et d’autres mœurs. On eut alors tendance à attribuer à ces populations lointaines beaucoup de vertus, et conclure comme Rousseau, que l’homme naît naturellement bon et que ce sont la société et la religion qui le dépravent. 

  Un salon des Lumières

Montesquieu se rendit célèbre par ses Lettres persanes (1721), où il imaginait deux Persans en visite en France et échangeant des lettre avec leurs amis restés à Ispahan, ce qui lui permit de stigmatiser la monarchie et la religion. Le procédé est là aussi indirecte : « Attaquer indirectement le christianisme en feignant de s’en prendre au seul paga­nisme. »

               
Par Albert Soboul                             Par Daniel Bonnot              

Le recours au déisme

Ce siècle marque la fin du dogme, de ce qu’il faut admettre a priori sans appliquer son libre arbitre. Tout devient relatif et conjoncturel, contingent, la connaissance est subjective, le libre examen de toute proposition, le rationnel qui s’oppose à la croyance.

Cette transformation rapide du rapport à Dieu va provoquer des guerres qui se propagèrent en Europe. De 1618 à 1648, la Guerre de Trente Ans, aux fortes connotations religieuses, ravagèrent l’Allemagne en particulier. De même en Angleterre, l’intransigeance de Charles 1er finit en guerre civile et dans la dictature puritaine de Cromwell (1649-1658).
La France ne fut pas épargnée quand Louis XIV révoqua l’Édit de Nantes en 1685, la répression sévit dans plusieurs régions du Midi et quelque 200 000 protestants durent se résoudre à l’exil.

C’est dans ce climat que certains tentèrent de récupérer le fait religieux en une religion excluant toute référence au mystère et à la foi. Dieu doit être accessible à la Raison, il devient l’Être Suprême, séparé des hommes et de leur morale. C’est cette conception qu’on nomma le déisme.

D’abord développé par les grands philosophes anglais Hobbes, Locke et Hume, le déisme se propagea en Europe continentale dont Voltaire est le plus célèbre représentant.


Thomas Hobbes                           John Locke                           David Hume

L'esprit de tolérance

La tolérance est bien un précepte du siècle des Lumières. Son champion est sans conteste Voltaire et ses combats pour la justice, le calviniste Jean Calas accusé à tort de meurtre en raison de son ap­partenance religieuse. Voltaire écrivait dans son Traité sur la Tolérance en 1763 : « Il faut regarder tous les hommes comme nos frères. Quoi ! mon frère le Turc ? mon frère le Chinois ? le Juif ? le Siamois ? — Oui, sans doute : ne sommes-nous pas tous enfants du même père et créatures du même Dieu ? »

Bien sûr, le Dieu de Voltaire a un profil déiste prononcé et il assimile parfois "son" peuple à « la canaille » et distingue « les honnêtes gens qui pensent de la populace qui n’est point faite pour penser. »

       

L'apport d'Emmanuel Kant (1724-1804)

« Rien de grand n'a été accompli sans l'enthousiasme dans le monde. » Emmanuel Kant

Son importance tient d'abord au fait qu'il a tiré toutes les conséquences du concept cartésien et qu'il a pratiqué l’analyse critique de la raison, en particulier dans son ouvrage Critique de la raison pure, La théorie cartésienne avait donné lieu à deux conceptions divergentes. Selon le courant rationaliste, contre toute idée de révélation, seule la raison peut maintenir l'ordre de l'univers (Leibniz, Spinoza) et selon le courant empirique, il faut élargir cette démarche à l'expérience sensible de la personne (Locke, Berkeley, Hume). 

Kant voulut réaliser une convergence de ces deux théories. L'essence de sa pensée est qu'on ne peut connaître de la réalité que ce qui nous est perceptible, les "phénomènes". Notre connaissances est limitée par ce que nous y mettons nous-mêmes ce qui influe sur notre perception qui en est ainsi déformée. « La chose en soi est inconnaissable » disait-il.

   
                                    Emmanuel Kant

Au-delà du XVIIIe siècle, Les successeurs de Kant

Parmi ses successeurs les plus importants, on peut citer Fichte (1762-1814) et sa réalité du "Moi absolu" conscient de lui-même dans l’évolution de l’humanité. Pour Schelling (1775-1854), l’essence du monde réside dans l’activité libre et créatrice de l’homme lui-même. On est près de l’immanence contemporaine où tout se concentre sur l’homme et sa conscience.

Friedrich Hegel (1770-1831) donnera la prééminence à l’Esprit, la pensée comme essence du "roseau pensant", qui conditionne tout devenir.
Au XIXe siècle, à côté de l’idéalisme de Hegel se développe a contrario le matérialisme de Feuerbach (1804-1872), pour qui l’homme est l’Être suprême, qui sera repris par Karl Marx (1818-1883) avec sa théorie du "matérialisme dialectique".
On retrouve ainsi sous une autre forme l’opposition entre idéalisme et empirisme qui a marqué le XVIIIe siècle. C’est le philosophe danois Søren Kierkegaard (1813-1855) qui va tenter de dépasser ces différents points de vue en partant des difficultés inhérentes à la condition humaine.

Il définit le cadre de l’existentialisme en précisant que chaque individu pose les bases de sa propre existence et que seuls comptent les choix personnels, par nature subjectifs et libres, qui sont de la responsabilité de chacun.
Jean-Paul Sartre (1905-1980) ajoutera un peu plus tard : « Il n’y a rien au ciel, ni Bien ni Mal, ni personne pour me donner des ordres. »

  
                                                           Chronologies, doctrines, auteurs

Condition humaine et individualisme

On peut conclure que la façon dont le XXe siècle appréhende sa psyché et ses propres représentations collectives doit beaucoup au siècle des Lumières. On pourrait dire ainsi « 
je pense donc… c’est ainsi… » et de cette manière disparaît toute morale transcendante pour faire place à un système de valeurs personnelles irréductibles. En ce sens, elle représente un relativisme dans une seconde moitié du XXe siècle riche en confrontations intellectuelles.

    

Notes et références
[1] Voir aussi mon article Denis Kambouchner Sur Descartes -
[2]
 La scolastique vise à concilier l'apport de la philosophie grecque, surtout celle d'Aristote, et la théologie chrétienne des Pères de
l'Église, en particulier Les 4 Pères de l'Église, Augustin, Grégoire, Ambroise et Jérôme.

Voir aussi
*
Évelyne Lever, Chronique de la cour et de la ville, 1715-1756 --
* Autour de l'histoire, Le XVIIIe siècle --

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