jeudi 7 juillet 2022

Philippe Secondy Fabrication d’un collabo

 Référence : Philippe Secondy, Fabrication d’un collabo, Le cas Joseph Laporte (1892-1944), CNRS éditions, 276 pages

               

Nous sommes le 4 octobre 1944 au Tribunal militaire du Tarn à Albi.
Le commissaire du gouvernement se dresse l'air martial en s’adressant avec véhémence à un certain Joseph Laporte : « Vous avez cinq fois mérité la mort, je ne regrette qu’une chose, c’est de ne pouvoir vous faire fusiller cinq fois. » Le lendemain, les journaux annoncent la condamnation à mort de cet officier de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme, le traitant de « collaborateur de la Gestapo, espion et négrier des patriotes ».

C'est beaucoup pour un homme  qui a mérité "cinq fois" la mort, qui selon le procureur, « a toujours milité activement contre la maçonnerie, la juiverie internationale et tous les gouvernements français qui en ont été les émanations. »
Il ya de l'anti Lacombe Lucien chez cet homme, mais pas seulement.

     

Reconstituer le parcours de ce Joseph Laporte n'a été possible qu'avec la découverte d’archives importantes permettant de suivre la trace de cet "homme ordinaire" né à la fin du XIXe siècle et d'analyser sa dérive. Philippe Secondy nous renvoie à une époque de guerres coloniales, de guerres mondiales pour tenter de comprendre comment un petit cultivateur peut se retrouver devant le tribunal militaire d'Albi. Au-delà de son étude micro-historique sur un "collabo", il a mené une réflexion sur ce qui l'a poussé dans les troupes allemandes de l'opération « Barbarossa » en Russie puis dans la lutte féroce contre la Résistance française.


D'après les documents recueillis, Laporte eut une enfance difficile, perdant ses parents en bas âge. Malgré tout, il acquière un bon niveau scolaire, surtout dans une région rurale où on parle à cette époque encore assez peu le Français. De garçon de ferme, il intègre l'armée, rempilant après son service militaire, où il sera reconnu pour ses qualités de meneur d’hommes et d’organisateur.

           

Il deviendra rapidement lieutenant, servant en Oubangui-Chari dans la région de Moundou. Mais il sort du rang, sans la formation militaire qu'il ne recevra jamais, soumis à la morgue des officiers issus de Saint-Cyr qui lui reprochent son manque de culture. (p 116) De plus, la situation dans les colonies françaises d'Afrique évoluent, certains dénoncent la mise en coupe réglée des colonies.

Muté au 16e régiment de tirailleurs sénégalais en garnison à Castelsarrasin dans le Tarn-et-Garonne en 1932, Le bel officier de la brousse africaine se sent déphasé, dépossédé de la liberté qu'il avait en Afrique. Sa réinsertion est difficile après avoir passé quatre ans dans les tranchées et seize ans militaire dans les colonies. Il redevient un temps garçon de ferme mais la crise agricole l'en dissuade et finit par se recycler dans le courtage d'assurances. Son parcours est alors plutôt contrasté : correspondant du journal royaliste de Montpellier L’Éclair pour la région de Saint-Affrique, il aura aussi pour ami Emmanuel Temple, montpelliérain député de Saint-Affrique, un homme modéré dont la carrière se fera surtout sous la IVe République.

        

Dès 1933, il milite à l’Action française puis au PPF, le parti populaire français de Jacques Doriot. Dès  l’automne 1941, il adhère à la Légion des volontaires français, un engagement plein et entier dans la collaboration, participe aux combats en Russie puis sans réticence s'engage dans la lutte contre les résistants et les maquisards.

Dans les éléments biographiques qu'on possède sur lui, une importante nous manque, celle de sa formation intellectuelle. On sait par les lettres qu'il a écrites, qu'il maitrisait bien l'expression écrite, pour preuve une lettre expédiée à son tuteur en 1909 (p 27) et qu'il a même envoyé à sa fille des poèmes qu'il lui écrivait du front russe pendant l’hiver 1941-1942. (p 163) Mais rien sur ses lectures éventuelles. A-t-il été influencé par des auteurs comme Ernst Jünger et  ses Orages d’Acier ou l’écrivain militaire Claude Farrère qui aime exalter les vertus du soldat et de la guerre ? Rien ne nous autorise à le penser.

        

Certains pensent que le comportement d'hommes comme Laporte tiennent à leur appétence pour la violence et la guerre. Teilhard de Chardin, ex brancardier pendant la guerre, écrit dans son Journal en 1917, « je ne peux plus me passer du front » et parle de "l'ivresse de la guerre". [1]
Mais pour Laporte, l'armée est d'abord un formidable tremplin de promotion sociale. Devenir officier lui permet de s'extraire de l'anonymat des tranchées. « de l'atomisation sociale à laquelle il semblait naturellement voué. »
« Joseph Laporte change de statut social. »

Notes et références
[1]
«
Il voient la guerre comme une fenêtre sur le mécanisme secret des couches profondes, cosmiques, du devenie humain. » Marc Faessler

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<< Christian Broussas Philippe Secondy © CJB  °°° 20/05/2022  >>
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