mardi 21 janvier 2020

Albert Camus, 60 ans déjà !

« Décidément, Camus n'en finit pas de redevenir actuel ou "à la mode" » écrivaient déjà JF. Payette & L. Olivier en 2004 dans leur livre "Camus, nouveaux regards sur sa vie et son œuvre"

2013 avait été l’occasion de fêter le centenaire de la naissance d’Albert Camus. Au-delà des réimpressions de ses œuvres majeures, on en avait profité pour éditer trois correspondances inédites dont j’avais rendu compte à l’époque. [1]

            
                                         Albert Camus et ses jumeaux Jean et Catherine


2020 est cette fois l’occasion de fêter le soixantième anniversaire de sa disparition. Déjà un premier ouvrage dû à Vincent Duclert et intitulé "Camus, des pays de liberté" [2] lui est consacré et d’autres vont suivre dans le courant de l’année pour donner à cet événement toute son ampleur. On peut noter également la parution en format de poche de sa correspondance avec son ami Louis Guilloux. [3]

           

4 janvier 1960 : c’est la stupeur. Le prix Nobel Albert Camus décède dans un banal accident de la route en revenant de sa résidence de Lourmarin dans le Vaucluse. Un pneu éclaté dit-on, de la Facel-Vega de son ami Michel Gallimard, sur une route de l’Yonne.

On a d’ailleurs retrouvé son manuscrit échoué à côté du véhicule. Albert Camus entamait alors un nouveau cycle d’écriture, après l’absurde et la révolte allait venir le temps de l’amour sous la forme de son nouveau roman, largement autobiographique, Le Premier Homme. [4]

         
                                        
Albert et Francine Camus

L'hommage est à la hauteur de l'événement. Même Jean-Paul Sartre avec qui il s’était brouillé après la parution de L’homme révolté [8], écrivit juste après sa disparition dans un texte plein de "ressentiment refoulé", « il était un de ces hommes rares… On vivait avec ou contre sa pensée, telle que nous la révélaient ses livres […] Il représentait en ce siècle, et contre l'Histoire, l'héritier actuel de cette longue lignée de moralistes dont les œuvres constituent peut-être ce qu'il y a de plus original dans les lettres françaises. (Texte publié le 7 janvier 1960 dans « France Observateur ».)
René Char
, peut-être son ami le plus proche, écrira un texte si émovant et d'une grande retenue intitulé L’éternité à Lourmarin, où il écrit ces mots si justes : « Avec celui que nous aimons, nous avons cessé de parler, et ce n’est pas le silence. »

          

Beaucoup se demandent ce qui peut expliquer le succès de Camus, qui ne s’est jamais démenti depuis sa mort, alors qu’il a été si critiqué de son vivant, et même si l’un de ses rares détracteurs Jean-Jacques Brochier l’avait qualifié de « philosophe pour classes terminales ». [5]
Cet engouement vis-à-vis de l’homme et de son œuvre a aussi son revers : brouiller son message, aller au-delà de sa pensée par des interprétations contestables.

      Albert et son frère aîné Lucien vers 1920

 Vincent Duclert a au moins le mérite de bien définir ce qui en fait la particularité, "le mystère Camus" : « Chez Camus, il y a une association très intéressante entre les idées mais aussi l'émotion, ce qui fait que les idées ne sont pas abstraites et elles sont bien transmises parce qu'il y a cette émotion qui nous rend très proches de Camus. Tout son travail, y compris son travail de journaliste, c'est d'être très précis sur les faits et en même temps de donner une force, une éloquence à son analyse de l'actualité. »

           

Voilà qui est dit. C’est aussi l’idée que rien ne peut se dissocier, qu’on ne peut séparer le penseur et l’écrivain de l’homme et du citoyen. Cette identité entre l'homme est son oeuvre se retrouve dans cette citation : « Je marche du même pas comme artiste et comme homme. Révolte et absurde sont des notions profondément ancrées en moi, mais j'ai su en faire la critique. »
Sa ligne de conduite n'a pas varié, marquée par ce que j'avais appelé dans un article précédent La permanence camusienne

Sans aucun doute, Camus a incarné cette osmose, son engagement est toujours mûrement réfléchi, pesé et en harmonie avec sa ligne de conduite, sa déontologie, même quand son cœur saigne et que l’émotion pourrait déborder sa réflexion comme dans son action en faveur d’une solution négociée en Algérie. C’est sans doute cette rigueur qui lui a permis de ne pas se laisser déborder par ses sentiments et de refuser de céder au conformisme de son époque, de se laisser porter par « l’air du temps » comme disait son ami Jean Daniel. [6]
Dans Actuelles I, il a écrit cette phrase lourde de sens : « Il s'agit de servir la dignité de l'homme par des moyens qui restent dignes au milieu d'une histoire qui ne l'est pas. »

Camus & sa fille Catherine

Du refus au consentement

L’émotion dont parle Vincent Duclert est toujours canalisée, contextualisée, même quand il prend la parole dans des meetings où il défend sa conception de la liberté contre les dictatures de tous bords ou quand il dénonce le franquisme avec ses amis républicains espagnols. [7] Sa volonté, son engagement nourrissent une pensée qui est le fondement de son action. 

D’un point de vue conceptuel, la pensée de Camus part d’une constante qu’on trouve dans ses premiers écrits, en particulier la nouvelle "Entre oui et non" de son recueil L’Endroit et l’envers comme dans son dernier recueil intitulé à dessein "L’exil et le royaume". Le thème du balancement cher à Camus évolue entre "Oui et Non", cherchant un équilibre entre refus et consentement, comme il évolue entre "L’exil et le royaume", entre deux entités séparées, la mort à l’horizon qu’il considère comme un exil et une terre promise qu’il définit comme un royaume.

Le nœud de sa pensée, c’est cette recherche d'équilibre entre les deux fléaux de la balance, qui représente ce qu'il nomme "la recherche de la mesure" car les deux entités qui oscillent entre le bien et le mal, entre l’exil et le royaume sont pour Camus indissolublement liées, prenant leur sens et leur richesse dans la confrontation.

Notes et références
[1]
  Voir mon article intitulé Le centenaire de sa naissance et la présentation des correspondances de Camus avec Roger Martin du Gard, Francis Ponge et Louis Guilloux --

[2]  Voir mon article Vincent Duclert, Camus des pays de la liberté --
[3]
  Voir mon article Correspondance Camus-Guilloux --

[4]
Voir mon article présentant Le Premier homme --
[5]
Voir mon article sur l’essai de JJ. Brochier Camus, philosophe pour classes terminales --
[6]
Voir mon article sur l’essai de Jean Daniel, Avec Camus, comment résister à l’air du temps ? --
[7]
Voir mon articleAlbert Camus et l’Espagne --
[8] Il écrit alors dans ses Carnets, « Même ma mort me sera disputée. Et pourtant ce que je désire de plus profond aujourd'hui est une mort silencieuse, qui laisserait pacifiés ceux que j'aime. » (Albert Camus  "Carnets" 1949-1959)

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<< Christian Broussas, Camus 60 ans 21/01/2020 © • cjb • © >>
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