« Pour la première fois, il avait dans la tête le mot : avenir, et un autre mot, l’horizon. Ces soirs-là, les rues désertes et silencieuses du quartier étaient des lignes de fuite, qui débouchaient toutes sur l’avenir et l’HORIZON. »
Dans L'horizon -le titre lui est venu tout seul avant même d'en écrire une ligne- son héros Jean Bosmans, romancier comme lui, prononce cette phrase qui lui ressemble : « C'était toujours les mêmes mots, les mêmes livres, les mêmes stations de métro . » Jadis, il travaillait dans la librairie d’une maison d’éditions où il rencontra une jeune femme qui fit ce qu'on appelle pudiquement une "erreur de jeunesse". Comme toujours chez Modiano, la trame est simple : Jean Bosmans, narrateur et héros du roman, repense à une période de son passé où il fréquentait une jeune femme, Margaret le Coz née à Berlin, qui vécut à Annecy, qu'elle quitta quand un homme appelé Boyaval, « un type à la peau grêlée » la harcelait, partant finalement se réfugier en Suisse.
Les liens entre lui et ses personnages se font inconsciemment. Comme l'amie de Jean Margaret Le Coz, il répugne à faire de vagues qui suscitent des explications et il se voit aussi comme la résultante d'événements incohérents, auxquels l'esprit ne parvient pas à donner un sens. Il y descelle comme des éléments, des gens énigmatiques autour lui.
Bosmans veut en extirper cette espèce d'insaisissable que l'esprit a rangé dans des cases incertaines, oublis subconscients, bribes égarées de « ce qui aurait pu être et qui n'avait pas été ». Il veut recenser tout un pêle-mêle de « brèves rencontres, rendez-vous manqués, lettres perdues, prénoms et numéros de téléphone... celles et ceux que vous avez croisés sans même le savoir »... toutes ces femmes « qu'on connaît à peine, qu'un destin différent entraîne » chantait Georges Brassens dans Les passantes.
Dans le couple Jean Bosmans et Margaret Le Coz, on retrouve bien des traits du jeune Modiano livré à lui-même dans le paris des années soixante, « ils n'avaient décidément ni l'un ni l'autre aucune assise dans la vie. Aucune famille. Aucun recours. Des gens de rien. » Une existence improbable entrecoupée de sérénité quand Margaret perd pour un temps son regard anxieux. Jean apparaît à 60 ans, écrivain, habité par un passé qui est plutôt pour lui une translation onirique, séparée du réel. Il n'est pas pour autant reclus dans ce passé, apte à l'ouverture, ne se contentant pas « de chercher le passé enfui dans les plis du temps. » [1]
« Pour quels motifs aurions-nous eu, dans nos vies, cette assurance inaltérable et ce sentiment de légitimité que j’avais remarqués chez les personnes bien nées, dont les lèvres et le regard confiant indiquent qu’elles ont été aimées de leur parents? » Patrick Modiano, L’Horizon, 2010 Morceaux choisis
- « Depuis quelque temps Bosmans pensait à certains épisodes de sa jeunesse, des épisodes sans suite, coupés net, des visages sans nom, des rencontres fugitives. Tout cela appartenait à un passé lointain, mais comme ces courtes séquences n’étaient pas liées au reste de sa vie, elles demeuraient en suspens, dans un présent éternel. Il ne cesserait de se poser des questions là-dessus, et il n’aurait jamais de réponse.»
- « Comme en astronomie, cette matière sombre était plus vaste que la partie visible de votre vie. Elle était infinie. […] Et lui, il répertoriait dans son carnet quelques faibles scintillements au fond de cette obscurité.»
- « Il vous arrive de perdre au bout de quelques jours un objet auquel vous tenez beaucoup : trèfle à quatre feuilles, lettre d’amour, ours en peluche, alors que d’autres objets s’obstinent à vous suivre pendant des années sans vous demander votre avis. Quand vous croyez vous en être débarrassé pour de bon, ils réapparaissent au fond d’un tiroir.»
- « On s’imagine, avec la légèreté de la jeunesse, s’en tirer à bon compte et échapper à une vieille malédiction, sous prétexte que l’on a vécu quelques semaines de tranquillité et d’insouciance dans un pays neutre, au bord d’un lac ensoleillé. Mais bientôt c’est le rappel à l’ordre. Non, on ne s’en tire pas aussi facilement. »
- « L'obscurité, et puis, de temps en temps, les quais déserts d'une gare qu'on traversait, sur un panneau, le nom d'une ville qui était un point de repère, le noir d'un tunnel... »
Notes et références
[1] Voir l'article de Nathalie Crom dans le Télérama n° 3138 du 06 mars 2010
Match ---- D. Zehrfuss ---- Figaro ---- Articles sur Modiano [Le Figaro ---- L'horizon ---- En lice pour le prix Livre InterPatrick avec son frère Rudy
Voir aussi mes autres articles sur Patrick Modiano :
* Patrick Modiano, biographie -- Quartier perdu --
* L'herbe des nuits -- Dora Bruder
* Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier
<<< Christian Broussas - Feyzin - 27 janvier 2013 - <<< © • cjb • © >>>
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