samedi 4 août 2018

Kamel Daoud, Zabor ou Les psaumes


Référence : Kamel Daoud," Zabor ou Les psaumes", éditions Actes Sud, 2017

         
« Tu écris ce que tu vois et ce que tu écoutes avec des e toutes petites lettres serrées, serrées comme des fournis, et qui vont de ton cœur à ta droite d’honneur. »
Préface - Dassine Oult Yemma, musicienne et poétesse

 Zabor n’est pas  vraiment un enfant comme les autres, moqué par les autres enfants qui imitent sa démarche incertaine et sa voix de chevrette. Orphelin de mère, rejeté par Hadj Brahim son père, Zabor a été élevé par Hadjer sa tante célibataire et un grand-père mutique. Bientôt il ne pourra plus aller à l’école pourtant il était plutôt doué, doté d’une mémoire prodigieuse et amoureux de l’alphabet et des mots. 

Il écrit, il écrit, dormant le jour, errant la nuit dans les rues du village d’Aboukir, un solitaire se réfugiant dans les romans d’une vieille bibliothèque qui donne un sens à sa vie. On dit même dans le village, qu’il possède un don, qu’il est capable de guérir et aussi de vaincre la mort, de renouer avec ses mots le fil d’une vie qui s’en va : il parvient à enfermer dans ses phrases ceux qui ainsi "gagne du temps de vie".

Dans le village, on croyait dur comme fer que l’écriture pouvait commander aux esprits, « l’écriture avait une odeur, une matière, un son sous le calame. » Elle était même capable de jeter des sorts, de stopper des mariages ou de guérir des maladies car « si le monde était un livre, le corps était son encre. »

             

Comme disait l’imam Senoussi de façon sibylline : « À Daoud nous avons donné les psaumes. » (page 204) 
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Zabor
avait bien tenté de se plier aux rites du village, d’apprendre par chœur les sourates du Livre sacré, d’aller les réciter aux manifestations, aux enterrements mais il ne put longtemps jouer son rôle. À chaque fois, son corps réagissait, il reprenait des crises terribles, se terrait dans la maison, seul avec sa tante  Hadjer. Il savait inconsciemment sans doute que le verbe sacré n’était lui aussi qu’un rite dépouillé ainsi de son merveilleux et que seuls les paroles confuses de ses cahiers contenaient assez de vérité pour défier la mort. Alors, « Zabor reprenait le dessus sur Ismaël, gémellité contraire. »
 
Cette fois, le défi est particulièrement important : son demi-frère a fait l’effort inouï de venir frapper à sa porte : leur père se meurt et seul Zabor peut défier cette fatalité. Il ne peut faire autrement malgré le désamour de ce père qui n’a jamais admis son handicap, qui ne l’a jamais aimé.
L’agonie de son grand-père Hadj Hbib est pour lui « la preuve que la dislocation était possible malgré  la puissance d’une langue ou la richesse d’une vie … rien n’était inébranlable, encore moins les mots et leur écriture. »
 
L’idée centrale est que « le tout est d’écrire, pour redonner une histoire à ceux qui l’ont perdue, et ainsi ils reviennent achever leur récit... » car la langue « pouvait être résurrection… Il me fallait juste être précis et net. Oser. Je connus alors l’extase. » [1]
Mais il ne sauvera pas ce père qui l’a rejeté et le réclame pourtant au seuil de la mort. Son Verbe n’a pas pu la vaincre, il reste un homme parmi les hommes, troublé par la belle Djemila et ne pourrait que faire repousser le délai fatidique comme dans les Contes des mille et une nuits.


Ce roman est d’abord une confession, un monologue biographique sur le pouvoir des mots, la limite des textes sacrés comparés à la liberté de créer, même celle tâtonnante et débridée de Zabor, même si elle est vouée à l’échec. Dans la veine de Schéhérazade, Zabor joue au sauveur par la puissance libératrice de son  imaginaire.

           
                                                                                        Daoud et Laïla Slimani

Notes et références
[1] L’extase : titre du troisième et dernier chapitre de son livre

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Bibliographie
* Kamel Daoud, Meursault, contre-enquête, Goncourt du premier roman, 2014
* Mes indépendances, Chroniques 2010-2016, 2017
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