dimanche 9 février 2014

Henri Béraud, La conquête du pain

L'écrivain et journaliste Henri Béraud
<< Henri Béraud : La conquête du pain, une saga lyonnaise
<< Présentation de sa suite historique lyonnaise en 3 volumes >>
H beraud1.jpg
La conquête du pain, c'est sous ce titre que l'écrivain Henri Béraud publia ce roman historique sur quelques grands épisodes de l'histoire lyonnaise où il est né en 1885, au cœur de cette presqu'île qui restera toujours quelque part son port d'attache.

1- Le bois du templier
Le village de ses ancêtres, petit bourg de la banlieue lyonnaise (c'est encore à l'époque largement la campagne) où s'installa par la suite l'aéroport de Lyon-Satolas quand il eut déménagé de Bron, [1] Henri Béraud allait le mettre en scène dans le premier tome de La conquête du pain intitulé Le bois du templier. [2]
 
Les personnages, ce sont ses chers "magnauds" (qu'il écrit aussi magnos), les paysans pauvres de ce bout du Dauphiné qui vient se perdre dans l'agglomération lyonnaise. Il veut écrire « une longue épopée de misère », voyant déjà « se lever les ombres des manants de Sobolas. » [3] Et les mots vont venir tout seuls « pour animer cette grandiose histoire de pauvres gens. »
 
Sabolas à travers les siècles sera Le bois du templier, qu'il dédie à son ami Pierre Mac Orlan : « Le village que voici, tu l'as traversé : tes semelles ont foulé la poussière des Béraud et des Barge, serfs dauphinois. Et peut-être, sous les traits de quelque paysan, assis devant sa cabane et meulant sa faux, as-tu, chemineau des siècles et des mers, reconnu ton ami . » La vie des gens de Sabolas, tout au long de ces siècles qui s'étirent dans l'histoire, est une longue chronique de malheurs, apportés par la nature ou par les hommes, ponctués trop rarement de quelques embellies. La fascination d'Henri Béraud pour le monde paysan -lui qui est né en plein cœur de Lyon- s'exprime à travers cette collectivité qui survie malgré tout, et malgré l'exploitation des puissants.

 2- Les lurons de sabolas
 
Satolas eglise.jpg
L'église de Satolas

Mais les choses vont changer et le monde ancien va bientôt basculer dans la Révolution : « Quatre siècles durant, la voix des anciens avait dominé la vieille plainte. Maintenant, elle appelait les hommes de Sabolas et ceux-ci, regardant les fourches plantées dans les bottes de paille, aspiraient confusément au jour où la horde rurale se jetant sur les villes, irait saigner à la gorge ces luxueuses, ces corrompues, ces mangeuses de pain. »
 
L'histoire est en marche pour se déployer dans ce volume intitulé Les lurons de Sabolas. L'histoire locale du petit village de Sabolas allait rejoindre l'histoire nationale qui envoie son fracas formidable en un écho à peine affaibli jusqu'aux tréfonds des provinces. Pour écrire ce second volume, Henri Béraud s'installe dans le domaine du Val-Créc [4] y dominant la ville de Lyon et les méandre de la Saône sur les hauteurs de Vaise. De là, il peut contempler la Croix-Rousse, celle qu'on appelle "la colline qui travaille" [5] là où sont installés les "bistanclaques", les métiers à tisser la soie qui cliquettent toute la journée, maniant par les canuts au moins douze heures par jour.
 
Des conditions de travail dégradantes et des salaires misérables qui provoquent périodiquement des soulèvements de colère. Henri Béraud choisit pour thème central des Lurons de Sabolas les deux grandes révoltes des canuts de 1831 et surtout de 1834. [6] La colère des Sabolais et des lyonnais va, pour un temps, mettre le feu à la ville. Pour un temps seulement car toute révolte comme un feu de paille ne s'alimente et ne s'entretient qu'un temps.
 
Les plus déterminés des canuts se retranchèrent dans les deux forteresses croix-roussiennes de la place Rouville qui surplombe la Saône et celle de la place Colbert, la maison des Voraces, côté Rhône. La maison des Voraces, immeuble emblématique de Lyon que l'auteur décrit dans son style lyrique : « Partant du fond, une sorte de cage à flanc ouvert monte vertigineusement jusqu'aux nuages. Hui volées d'escaliers, obliques, parallèles, noirâtres, sordides, gigantesques, se superposent, portant tout en haut un cube de maçonnerie perché sous les toits comme un à l'équilibre... » Les 'magnos' aussi, ces fiers paysans de Sabolas, seront vaincus et se résoudront à vendre leurs bras aux manufactures, « autour de l'usine, les saisons tournaient, répandant tour à tour sur les champs le vert, l'or, la rouille et le blanc. »

 

  3- Ciel de suie
En octobre 1933, Henri Béraud publie le dernier volume de son récit historique intitulé Ciel de suie où l'action se répartit entre le monde industriel des canuts et de leurs patrons les soyeux, et le monde agricole dont Henri Mendras a prédit bien plus tard "la fin des paysans", fin annoncée des descendants des "magnos".
 
Avec Ciel de suie, on n'est plus dans la révolte mais dans le désenchantement de l'univers bourgeois de la fin du XIXè siècle. La scène est plutôt dans la comédie grinçante et franchouillarde à la Feydeau, aux lourds climats à la Mauriac, d'une bourgeoisie qui règne avec contentement sur la IIIè république.
 
Pour écrire ce volume, Henri Béraud s'est inspiré de "l'affaire Gillet", fait divers qui s'est produit à Lyon un peu après la Première guerre mondiale, c'est un drame bourgeois qui passe pour un accident de chasse. Noëlle, la jeune épouse d'Armand Giroud, potentat lyonnais suivi comme son ombre par son frère Claude, vit des amours très secrètes avec le neveu de son mari. "Est-il plus patient et plus subtil ennemi de l'amour qu'un mal aimé?" Jalousie et cupidité mèneront les amants au drame dans le silence policé d'une famille dont la volonté suprême est de rester contre vents et marées, honorable et respectée.
 
Henri Béraud mélange dans cette fresque sociale, la peinture à petites touches de la mentalité de ce milieu bourgeois, enlève les masques et démasque les intérêts, et une description de la région lyonnaise, de ses activités industrieuses. Il brosse un portrait sans concessions des frères Giroud, membres de la caste détesté des Soyeux qui cultive le secret, " les Inséparables, riant très fort, observaient Patrice en dessous, de cet œil mi-clos, où couvait, au coin des paupières, la ruse patiente et sans miséricorde".
 
On assiste ainsi au combat perdu d'avance entre la "gente sabolasienne" et les dynasties des entrepreneurs, retranchés alors dans leur fief du Griffon, cachés derrière la place des Terreaux : « De hautes maisons couleur d'averse et d'avarice y traçaient déjà ce gluant labyrinthe où, pour mieux se cacher, la fortune emprunte la visage de la misère
 
Notice biographique sur Henri Béraud :
Romancier, journaliste et polémiste né à Lyon, Henri Béraud est l’auteur d’une œuvre abondante : Le Vitriol de lune(1921) et Le Martyre de l’obèse (prix Goncourt 1922), Le Bois du templier pendu (1926), La Gerbe d’or (1928), Qu’as-tu fait de ta jeunesse ? (1941), Les Lurons de Sabolas (1932), Ciel de suie (1933). Grand reporter et observateur politique au Journal ("Ce que j’ai vu à Moscou" ; "Ce que j’ai vu à Berlin", 1925-1926), puis au Petit Parisien ("Faut-il réduire l’Angleterre en esclavage ?", 1934-1936), Henri Béraud devint le directeur politique officieux de Gringoire de 1928 à 1943. Condamné à mort en 1944 pour intelligence avec l’ennemi, sa peine fut commuée et il bénéficia d’une libération conditionnelle en 1950. Malade et partiellement paralysé, il mourut en 1958 dans sa maison de l'île de Ré.
 
Repères bibliographiques :
  • Henri Béraud, Ciel de suie, éditions Lugd, 93-95, rue Vendôme 69006 Lyon, 143 pages
  • Marcel Peyrenet, La Dynastie des Gillet : les maîtres de Rhône Poulenc' Paris, Le Sycomore, 1978
Références
[1] et rebaptisé depuis aéroport Saint-Exupéry, du nom d'un autre lyonnais célèbre.
[2] Qu'on trouve aussi sous le titre "Le bois du templier pendu"
[3] Satolas qu'il rebaptisé dans ses livre Sabolas
[4] Onomatopée évoquant le bruit émis par ces immenses machines qui obligeaient à construire des appartements de 4 mètres de hauteur. (qui font maintenant la joie des amateurs de mezzanines)
[5] par opposition à la colline de Fourvière qu'on appelle "la colline qui prie".
[6] Voir à e propos mes fiches sur l'historien lyonnais Fernand Rude et sur le roman de Bernard Clavel intitulé "La Révolte à deux sous".
       <<<< Christian Broussas - Feyzin - 24 janvier 2013 - <<< © • cjb © >>>>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire