<<< Henri Béraud (1885-1958) ou le journalisme en littérature >>>
S'il en est un dont le cœur n'a jamais quitté son terroir, c'est bien l'écrivain Henri Béraud. De son ami, cet autre écrivain lyonnais Gabriel Chevallier disait qu'il avait « la dent dure du Canut et les puissants poumons du Dauphinois.» Une dent dure qui allait lui coûter cher à la Libération.
En 1928, Henri Béraud publiait le premier volume de ses souvenirs intitulé "La Gerbe d'or". Un beau nom La Gerbe d'or, que son père avait choisi comme enseigne pour sa boulangerie située au cœur de la Presqu'île au 8 rue Ferrandière, entre les Terreaux et Bellecour'. Il disait qu'on n'est pas d'une ville -surtout une grande ville- mais d'un clocher. « Mon pays, c'est Lyon, mais mon village c'est Saint-Nizier, le sombre et sinueux lacis des rues qui serpentent entre les flèches de ma vieille église et la fontaine des Jacobins. » Il se souvient avec tendresse des immigrés italiens qui mettaient tant de couleurs et de chaleur dans les vieilles rues étroites du quartier. Il aimait aussi rappeler ses origines paysannes, ces villages du bas-dauphiné, Satolas et Hières-sur-Amby près de Crémieu où vivaient encore ses grands-parents, dont il tracerait l'histoire dans sa trilogie La conquête du pain.
L'église Saint-Nizier, sa "chère" église
L'apprentissage scolaire chez les frères des écoles chrétiennes -sa mère y tenait- fut difficile pour cet enfant turbulent qui ne pensait qu'à courir les rues avec ses copains, « la rue montre la vérité vraie... » Très souvent, il partait livrer les bourgeois du quartier d'Ainay, qu'il juge sans aménité, « enfants de la banque et de la soie qui s'en allaient en silence vers les rues austères et sans boutiques de Perrache. [1] Ils sillonnaient la Presqu'île jusqu'au quai Saint-Antoine, dans les gravas du quartier Grôlée, derrière la vieille église Saint-Bonaventure, alors en pleine reconstruction, et jusqu'au Rhône sur les îles de gravier, aujourd'hui disparues. »
Quand il fréquenta l'école de La Salle au-dessus du Jardin des Plantes sur les Pentes de la Croix-Rousse, il découvrit le lacis des traboules qui s'insinuaient entre les immeubles, Le Griffon des Soyeux tout près des Terreaux, le quartier des Canuts où « les battants des métiers à tisser claquaient du haut en bas des maisons. En bas, dans 'la plaine', sous les arcs légers des ponts, le Rhône et la Saône frissonnaient, pareils à de la soie. »
Sa vie d'adolescent qu'il évoque dans le second tome de ses Mémoires « Qu'as-tu fait de ta jeunesse ? » c'est son apprentissage dans un atelier de "dessinandier" [2] rue Royale derrière la place des Terreaux, entre les places Tolozan et Croix-Paquet. Le nouveau groupe parle littérature et se réunit dans l'arrière salle de la brasserie Kléber place de la comédie. Il a trouvé sa voie et va bientôt lancer une revue qu'il intitule "La Houle". Avec ses copains Charles Dullin et Albert Londres, qui ne tarderont pas à s'illustrer dans le théâtre et le journalisme, il crée une petite académie Le-Pot-au-Feu et publie en 1903 "Poèmes ambulants" dans le style symboliste alors en vogue. Il fréquente les tavernes de la rue Bellecordière, surtout "la Ratière" [3] située entre Bellecour et l'Hôtel-Dieu.
La rue Ferrandière où il est né
Les journalistes du Progrès de Lyon qu'il y rencontre lui permettent de placer des articles sur l'art et la peinture, réunis en 1909 et publiés sous le titre L'école moderne de peinture lyonnaise. [4] Jusqu'à la Première guerre mondiale, Henri Béraud et son équipe d'iconoclastes vont pourfendre la pusillanimité bourgeoise, les "Soyeux" qualifiés de "béotiens" et de "philistins" et l'un de ses membres éminents Gabriel Chevallier, écrira : « Henri Béraud, ce hardi garçon avait pris la tête de notre croisade contre la bêtise, l'ignorance et la veulerie d'une bourgeoisie qui ne pensait qu'à ses sous et que nous chargions de tous les crimes contre l'esprit. »
Dans ses chroniques, il décrit « sa ville », mosaïque de quartiers fort différents qu’il décrit ainsi : « Sur le plateau de la croix-Rousse, c’est l’architecture roide et claire des grandes maisons de Canuts, hautes fenêtres, escaliers larges, pièces carrelées. A Perrache, c’est la bâtisse d’aspect monacal… où l’on sent une odeur humide et des effluves d’encens. A Saint-Jean, les ruelles, les maisons "encorbellées", les frontons, ogives, niches et cadettes. A La Guille, l’âme faubourienne, le rue encore paysanne, les auberges logeant à pied et à cheval. »
Comme ses activités de journaliste ne nourrissent guère son homme, il s’établit comme antiquaire rue du plat, rageant contre la ladrerie des bourgeois, puis il crée sa propre revue, L’Ours. Il fustige toujours de préférence la bourgeoisie, celle de la Presqu’île bien sûr, mais aussi celle des « "nouveaux riches" », industriels et homme d’affaires établis dans le quartier des Brotteaux, qui se font construire d’opulentes villas sur le boulevard du Nord [5] donnant directement sur le parc de La Tête d’or . La guerre menace et Henri Béraud va bientôt être mobilisé pour se lancer dans « "la grande boucherie" » et avec nostalgie, il écrira son sentiment de l’absence : « Dès que j’ai perdu de vue la statue de Louis XIV (sur la place Bellecour), je ne suis plus moi-même. Avec une âme de nomade, je vis dans l’inertie casanière d’un percepteur de province. »
En arrière-plan, la boulangerie de la rue Ferrandière
Repères bibliographiques
Louise Labé, Maurice Scève
Bernard Clavel STENDHAL à Lyon,
Jean-Jacques ROUSSEAU à Lyon
Références
[1] Croix de guerre 14-18 et chevalier de la Légion d'Honneur.
[2] « On enseignait dans ma jeunesse — lorsque nous étions au front — que la guerre était moralisatrice, purificatrice et rédemptrice. On a vu quels prolongements ont eu ces turlutaines : mercantis, trafiquants, marché noir, délations, trahisons, fusillades, tortures; et famine, tuberculose, typhus, terreur, sadisme. »
[3] Gabriel CHEVALLIER a 19 ans en 1914, quand la guerre éclate. Il s’engage dès le premier jour. Simple soldat dans l’infanterie, il est blessé après un an de guerre, pendant la bataille d’Artois. Après un séjour à l’hôpital il retrouve les tranchées. Il y reste jusqu’à la fin de la guerre, au Chemin des Dames et dans les Vosges.
[4] Il exerça divers métiers tels que retoucheur de photographie, voyageur de commerce, journaliste, dessinateur, affichiste, professeur de dessin…
[5] Le groupe des Zignards comprenait aussi Jacques Martin, Adrien Bas, Charles Sémard, Philippe Pourchet...
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<< cf sa saga La conquête du pain >
S'il en est un dont le cœur n'a jamais quitté son terroir, c'est bien l'écrivain Henri Béraud. De son ami, cet autre écrivain lyonnais Gabriel Chevallier disait qu'il avait « la dent dure du Canut et les puissants poumons du Dauphinois.» Une dent dure qui allait lui coûter cher à la Libération.
En 1928, Henri Béraud publiait le premier volume de ses souvenirs intitulé "La Gerbe d'or". Un beau nom La Gerbe d'or, que son père avait choisi comme enseigne pour sa boulangerie située au cœur de la Presqu'île au 8 rue Ferrandière, entre les Terreaux et Bellecour'. Il disait qu'on n'est pas d'une ville -surtout une grande ville- mais d'un clocher. « Mon pays, c'est Lyon, mais mon village c'est Saint-Nizier, le sombre et sinueux lacis des rues qui serpentent entre les flèches de ma vieille église et la fontaine des Jacobins. » Il se souvient avec tendresse des immigrés italiens qui mettaient tant de couleurs et de chaleur dans les vieilles rues étroites du quartier. Il aimait aussi rappeler ses origines paysannes, ces villages du bas-dauphiné, Satolas et Hières-sur-Amby près de Crémieu où vivaient encore ses grands-parents, dont il tracerait l'histoire dans sa trilogie La conquête du pain.
L'église Saint-Nizier, sa "chère" église
L'apprentissage scolaire chez les frères des écoles chrétiennes -sa mère y tenait- fut difficile pour cet enfant turbulent qui ne pensait qu'à courir les rues avec ses copains, « la rue montre la vérité vraie... » Très souvent, il partait livrer les bourgeois du quartier d'Ainay, qu'il juge sans aménité, « enfants de la banque et de la soie qui s'en allaient en silence vers les rues austères et sans boutiques de Perrache. [1] Ils sillonnaient la Presqu'île jusqu'au quai Saint-Antoine, dans les gravas du quartier Grôlée, derrière la vieille église Saint-Bonaventure, alors en pleine reconstruction, et jusqu'au Rhône sur les îles de gravier, aujourd'hui disparues. »
Quand il fréquenta l'école de La Salle au-dessus du Jardin des Plantes sur les Pentes de la Croix-Rousse, il découvrit le lacis des traboules qui s'insinuaient entre les immeubles, Le Griffon des Soyeux tout près des Terreaux, le quartier des Canuts où « les battants des métiers à tisser claquaient du haut en bas des maisons. En bas, dans 'la plaine', sous les arcs légers des ponts, le Rhône et la Saône frissonnaient, pareils à de la soie. »
Sa vie d'adolescent qu'il évoque dans le second tome de ses Mémoires « Qu'as-tu fait de ta jeunesse ? » c'est son apprentissage dans un atelier de "dessinandier" [2] rue Royale derrière la place des Terreaux, entre les places Tolozan et Croix-Paquet. Le nouveau groupe parle littérature et se réunit dans l'arrière salle de la brasserie Kléber place de la comédie. Il a trouvé sa voie et va bientôt lancer une revue qu'il intitule "La Houle". Avec ses copains Charles Dullin et Albert Londres, qui ne tarderont pas à s'illustrer dans le théâtre et le journalisme, il crée une petite académie Le-Pot-au-Feu et publie en 1903 "Poèmes ambulants" dans le style symboliste alors en vogue. Il fréquente les tavernes de la rue Bellecordière, surtout "la Ratière" [3] située entre Bellecour et l'Hôtel-Dieu.
La rue Ferrandière où il est né
Les journalistes du Progrès de Lyon qu'il y rencontre lui permettent de placer des articles sur l'art et la peinture, réunis en 1909 et publiés sous le titre L'école moderne de peinture lyonnaise. [4] Jusqu'à la Première guerre mondiale, Henri Béraud et son équipe d'iconoclastes vont pourfendre la pusillanimité bourgeoise, les "Soyeux" qualifiés de "béotiens" et de "philistins" et l'un de ses membres éminents Gabriel Chevallier, écrira : « Henri Béraud, ce hardi garçon avait pris la tête de notre croisade contre la bêtise, l'ignorance et la veulerie d'une bourgeoisie qui ne pensait qu'à ses sous et que nous chargions de tous les crimes contre l'esprit. »
Dans ses chroniques, il décrit « sa ville », mosaïque de quartiers fort différents qu’il décrit ainsi : « Sur le plateau de la croix-Rousse, c’est l’architecture roide et claire des grandes maisons de Canuts, hautes fenêtres, escaliers larges, pièces carrelées. A Perrache, c’est la bâtisse d’aspect monacal… où l’on sent une odeur humide et des effluves d’encens. A Saint-Jean, les ruelles, les maisons "encorbellées", les frontons, ogives, niches et cadettes. A La Guille, l’âme faubourienne, le rue encore paysanne, les auberges logeant à pied et à cheval. »
Comme ses activités de journaliste ne nourrissent guère son homme, il s’établit comme antiquaire rue du plat, rageant contre la ladrerie des bourgeois, puis il crée sa propre revue, L’Ours. Il fustige toujours de préférence la bourgeoisie, celle de la Presqu’île bien sûr, mais aussi celle des « "nouveaux riches" », industriels et homme d’affaires établis dans le quartier des Brotteaux, qui se font construire d’opulentes villas sur le boulevard du Nord [5] donnant directement sur le parc de La Tête d’or . La guerre menace et Henri Béraud va bientôt être mobilisé pour se lancer dans « "la grande boucherie" » et avec nostalgie, il écrira son sentiment de l’absence : « Dès que j’ai perdu de vue la statue de Louis XIV (sur la place Bellecour), je ne suis plus moi-même. Avec une âme de nomade, je vis dans l’inertie casanière d’un percepteur de province. »
En arrière-plan, la boulangerie de la rue Ferrandière
Repères bibliographiques
- "La conquête du pain", tome I Le bois du templier pendu, tome II Les lurons de Sabolas, tome III Ciel se suie, Les éditions de France, 1926-1933
- "Souvenirs", tome I La Gerbe d’or, tome II Qu’as-tu fait de ta jeunesse ?, tome III Les derniers beaux jours, Les éditions de France, 1928, Plon 1953
- "Lyon d’hier et d’aujourd’hui" – Chroniques lyonnaises
Louise Labé, Maurice Scève
Bernard Clavel STENDHAL à Lyon,
Jean-Jacques ROUSSEAU à Lyon
Références
[1] Croix de guerre 14-18 et chevalier de la Légion d'Honneur.
[2] « On enseignait dans ma jeunesse — lorsque nous étions au front — que la guerre était moralisatrice, purificatrice et rédemptrice. On a vu quels prolongements ont eu ces turlutaines : mercantis, trafiquants, marché noir, délations, trahisons, fusillades, tortures; et famine, tuberculose, typhus, terreur, sadisme. »
[3] Gabriel CHEVALLIER a 19 ans en 1914, quand la guerre éclate. Il s’engage dès le premier jour. Simple soldat dans l’infanterie, il est blessé après un an de guerre, pendant la bataille d’Artois. Après un séjour à l’hôpital il retrouve les tranchées. Il y reste jusqu’à la fin de la guerre, au Chemin des Dames et dans les Vosges.
[4] Il exerça divers métiers tels que retoucheur de photographie, voyageur de commerce, journaliste, dessinateur, affichiste, professeur de dessin…
[5] Le groupe des Zignards comprenait aussi Jacques Martin, Adrien Bas, Charles Sémard, Philippe Pourchet...
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