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Quelques exemples contemporains
Pourquoi diable certains romanciers publient-ils sous un pseudonyme ? Depuis l'affaire Romain Gary, "double prix Goncourt" , il semble qu'il ait fait des émules parmi ses
confrères écrivains. "L'affaire Romain Gary" avait fait du bruit quand on eut la certitude que le prix Goncourt 1975 n'était autre que l'écrivain déjà couronné en 1956
pour son roman Les Racines du ciel. Double prix Goncourt, une première pour la vénérable institution. Après sa disparition, on apprit que, sous le pseudonyme d'Émile
Ajar, il fut aussi l'auteur de quatre romans, y compris La Vie devant soi, le Goncourt primé en 1975, dont la paternité avait été attribuée à un proche parent,
Paul Pavlowitch, son petit cousin.Deux écrivains assez connus parmi leurs contemporains, Yasmina Khadra et le prix Goncourt Andreï Makine ont sauté le pas et expliqué leur choix. Mais ils ne sont pas les seuls et l'on peut aussi citer d'autres romanciers comme "Jack-Alain Léger", "Philippe Labro", "François Nourissier" et le prix Goncourt "Jacques-Pierre Amette".
On ne peut pas dire que Frenchy, écrit par un certain Benjamin Cros et paru chez Fayard à la rentrée littéraire en 2004, ait fait un tabac. Opération secrète fomentée en douce par Yasmina Khadra puisque même son éditeur habituel Julliard l'ignorait. Alors pourquoi un tel besoin chez un romancier à succès auteur entre autres de L'Attantat ou des Hirondelles de Kaboul. Il faut dire que Yasmina Khadra n'aime pas les jurys et la critique, clamant haut et fort que « toutes les institutions littéraires se sont liguées contre moi. Ça n'a pas de sens, ces aberrations parisianistes. »
Pour Andreï Makine, c'est autre chose. En 2001, un auteur inconnu Gabriel Osmonde, publie un roman remarquable et remarqué Le Voyage d'une femme qui ne voulait pas mourir. Chez Albin Michel, son éditeur, personne ne le connaît paraît-il, mais il continue à publier, Les 20 000 Femmes dans la vie d'un homme puis en 2006 L'Œuvre de l'amour, cette fois aux éditions Pygmalion.
Mais en janvier 2009, à l'université d'Amsterdam, contre toute attente, il décide enfin de se dévoiler lors d'un collectif consacré à son œuvre. Peut-être la présence de la meilleure spécialiste de l'œuvre d'Andreï Makine, Murielle Lucie Clément a-t-elle influencé sa décision, le sujet « "Andreï Makine et Gabriel Osmonde" : passerelles » s'y prêtant d'ailleurs admirablement.
Makine © Jerry Bauer/Opale Y. Khadra
Murielle Lucie Clément, qui connaît même sa thèse en russe intitulée "L'Enfance dans le roman français", affirme : « Je suis intimement persuadée que Gabriel Osmonde a lu TOUT Makine et qu'Andreï Makine connaît les livres de Gabriel Osmonde. Ils ont beaucoup en commun, et il existe de nombreuses passerelles de l'un vers l'autre et vice versa. » On ne saurait être plus claire mais elle n'affirmait rien et se refusait à franchir le pas. Pour conforter ses dires, elle s'est penché sur "l'intertextualité" entre les deux romanciers, citant des exemples particulièrement significatifs.
Le mystère s'épaissit quand un homme se faisant passer pour Gabriel Osmonde, aurait été vaguement aperçu pendant le colloque et, selon certaines rumeurs, habiterait le Canada. Comme en clin d'œil, Makine avait écrit en 2007 une pièce de théâtre intitulée justement Le Monde selon Gabriel. Pour lui, la critique devrait juger sans tenir compte de l'écrivain, du son passé, de sa notoriété, expliquant que « Si je me protège ainsi, c'est parce que je crois que l'on détruit une œuvre en l'accolant à une biographie (de l'auteur). »
En 1983, une jeune fille prénommée Stéphanie publie son journal intime intitulé Des cornichons au chocolat. Une autobiographie origine où "Stéphanie" se confie à son chat "Garfunkel", un style alerte qui séduit, écrit-on à l'époque. Et en plus un franc succès : vite publié en édition de poche et traduit en une vingtaine de langues. Mais n n'en sait pas plus sur la jeune écrivaine. Mais lors de sa réédition chez Lattès en 2007, apparaît sur la couverture le nom de l'auteur : Philippe Labro, l'auteur de l'étudiant étranger qui lève enfin le voile sur le véritable auteur du livre.
JA Léger Labro
Pour Paul Smaïl, c'est le vécu, l'autobiographie qui sert de vecteur à son premier roman Vivre me tue qui intéresse et surprend par ses accents de vérité. L'auteur serait un "Beur" diplômé et féru de littérature mais déclassé, travaillant la nuit dans un hôtel mal fréquenté. Ça sent un peu le film Tchao Pantin mais pourquoi pas ! mais la description de la banlieue est d'un réalisme saisissant. Puis en 2001, paraît chez Denoël un second roman de la même eau, Ali le magnifique.
En fait, on apprendra que sous les traits de Paul Smaïl se cache l'écrivain Jack-Alain Léger. De la même façon que "Makine", Jack-Alain Léger voudrait qu'on juge un livre pour ce qu'il est et non à la lumière de la connaissance de l'auteur, ce qui biaise le jugement. Mais il aime tellement porter des masques et se cacher derrière des pseudonymes tels que Melmoth, Dashiell Hedayat et autre Eve Saint-Roche...
« Je me suis autorisé une petite coquetterie », confesse aujourd'hui Jacques-Pierre Amette, prix Goncourt pour son roman La maîtresse de Brecht. Lui aussi voulait savoir "ce que les gens pensait de lui". Il désirait selon ses propres termes, « se refaire une identité, » éprouver la liberté de l'écrivain inconnu, tout neuf, sur lequel les critiques portent un regard neuf. Il pouvait ainsi interpréter un autre personnage, "être un autre" pouvant changer de registre.
François Nourissier
En 1955, un "jeune écrivain" France Norrit (ce qui évoque tout de même un double féminin de François Nourissier) publie aux éditions de Paris un roman intitulé Seize ans. Texte audacieux pour l'époque, fait-on remarquer, avec de beaux accents littéraires d'une jeune écrivaine...
Presque un demi-siècle plus tard, François Nourissier confiera dans une interview au Figaro Magazine : « Pendant dix ans, j'ai cherché à m'amuser, à l'inverse de mes amis qui travaillaient le genre noble. »
Nourissier © JC Marmara JP. Amette
<<<<<< Christian Broussas – Feyzin, 16 janvier 2013 - <<<<< © • cjb • © >>>>>>
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