- L'art du roman, éditions Gallimard, collection Blanche, 200 pages, 1986, isbn 2-07-070815-2
« L'existence n'est pas ce qui s'est passé, l'existence est le champ des possibilités humaines, tout ce que l'homme peut devenir, tout ce dont il est capable.» - L’art du roman
L'Art du roman est un essai de Milan Kundera sur sa conception de l'écriture qu'il a essentiellement tirée de sa propre expérience. Si les textes présentés ont été écrits lors de circonstances précises,ils ont quand même été conçus pour être publiés en un 'livre-essai' comme un bilan de ses réflexions sur le sujet [1]. Il est le résultat d'interviews de Christian Salmon sur ses habitudes d'écrivain. Il a tenu aussi à y faire figurer un texte de réflexions sur un roman qui lui est particulièrement cher "Les somnambules" ainsi qu'un résumé de ses réflexions sur l'œuvre de Franz Kafka. Il termine par un dictionnaire-rappel des mots-clés qui parcourent ses romans et par le discours prononcé au printemps 1985 quand il a reçu le prix Jérusalem [2].
De Descartes, 'l'ego pensant', et son monde organisé, rationnel, on passe à Cervantès et un monde dominé par l'ambiguïté, 'ego imaginaire' qui s'incarnent dans des personnages. [3] Devant l'absence d'un système de valeurs cohérent, l'irrationnel s'est imposé rejoignant le rêve de l'unité des sociétés mais c'est la guerre qui assure cette unité. [4] Dans cette configuration, le roman semble devenir comme les mines de charbon, un genre épuisé et sans avenir. Or paradoxalement, si la fonction du roman est de nous projeter contre "l'oubli de l'être", il est plus indispensable que jamais. L'esprit du temps, c'est d'unifier et de mondialiser, celui du roman, la complexité. Le roman doit être œuvre à durer, à joindre passé et avenir, sinon il n'a pas de raison d'être.
Dans "L'insoutenable légèreté de l'être", il écrit : " Le roman n'est pas une confession de l'auteur, mais une exploration de ce qu'est la vie humaine dans le piège qu'est devenu le monde. " Sa conception du roman, c'est dans un personnage, une façon 'non psychologique de saisir son moi', c'est-à-dire " saisir l'essence de sa problématique existentielle. Saisir 'son code existentiel'. " [5] Il dit du personnage de Tereza qu'elle est saisie d'un vertige, être fasciné par sa propre faiblesse, être incapable d'y résister et s'y abandonner.
Saisir l'essence d'un personnage put passer par l'action ou l'introspection mais pur Kundera, c'est par la recherche de sa dimension existentielle. Il recourt donc peu aux descriptions, au passé de ses personnages, à leurs motivations. L'important est de dépasser les normes qui se sont instaurées peu à peu dans la confection du roman : décrire le héros et son passé, créer l'illusion que cette fiction est la réalité. La situation historique doit devenir en elle-même une situation humaine, existentielle.[6] Descartes disait de l'homme qu'il était " maître et possesseur de la nature " alors que 3 siècles plus tard, ce même homme s'est aperçu qu'il n'en était rien, que dans son infinie complexité, elle lui échappait de plus en plus. Comme pour le crime de Raskolnikov, " le roman n'examine pas la réalité mais l'existence. "
LES SOMNAMBULES
Dans cette trilogie, c'est la continuité du même thème, " celui de l'homme confronté au processus de dégradation des valeurs ", qui est développé ici. Joachim Pasenow est plutôt tourné vers les valeurs du passé. Pour Esch, ces valeurs se délitent; il tente pourtant de s'y raccrocher, quitte à basculer dans le fanatisme, quand les notions de bien et de mal s'estompent. Dans ce processus, Hugueneau est l'homme affranchi des valeurs, bourrreau d'un monde où la morale n'a plus cours.
Pour Broch, c'est un temps incertain entre le règne disparu de la foi irrationnelle et la prééminence de l'irrationnel dans un monde qui a perdu sa foi et ses valeurs. Ce qui intéresse Kundera dans l'œuvre de Broch, c'est " l'exploration du rôle que l'irrationnel joue dans nos décisions, dans notre vie. " Ses personnages réagissent aux symboles alors qu'ils croient agir sur la réalité.
L'ART DE LA COMPOSITION
L'essentiel pour l'écrivain est d'aller droit au but, de recourir à un style elliptique. Il est trop envahi par la technique, les moyens classiques de développer un thème autour d'un fond historique ou d'une biographie. Il faut plutôt utiliser les différents moyens littéraires disponibles (récit, poésie, essai...) à partir d'un thème fédérateur pour aboutir à une unité, une 'polyphonie'. L'unité est aussi définie par le récit et les thèmes et les thèmes imbriqués du récit. Un thème peut être traité de façon théorique et constitue alors une espèce de 'digression'.
Curieusement, les romans de Kundera comportent 7 parties (sauf La valse des adieux) ce qu'il constate et explique par par la structure interne de ses œuvres. Cette structure dans La Plaisanterie ou La vie est ailleurs par exemple, s'impose à lui comme une nécessité. [7] Ce qui frappe aussi est la référence à la structure musicale créant une polyphonie, symphonie avec ses différents tempos [8], tout changement de tempo impliquant un changement d'atmosphère émotionnelle. Composer un roman, " c'est juxtaposer différents espaces émotionnels et que c'est là, selon moi, l'art le plus subtil du romancier. " Son ambition : " Unir l'extrême gravité de la question et l'extrême légèreté de la forme. " [9]
QUELQUE PART LÀ-DERRIÈRE
Milan Kundera retrouve dans l'univers de Kafka les ressorts du régime communiste, telles qu'il a connu ses extravagances dans son pays. Chez Kafka, celui qui est puni ne connaît pas forcément les raisons de sa punition. Châtiment absurde et insupportable tel qu'il y faut une justification : " Le châtiment cherche la faute. " C'est le début d'un mécanisme d'auto culpabilisation où l'accusé finit par reconnaître sa culpabilité. l'absurde est un comique tragique, une dérision loin de la tragi-comédie classique. Si les états totalitaires illustrent l'univers kafkaïen dans la vie réelle, l'occident y est moins sensible parce qu'on y perd le sens du réel. À partir d'une expérience personnelle, Kundera a pu constater que les mécanismes de culpabilisation sont identiques dans la sphère privée. [10]
Dans la société totalitaire, sphères publique et privée se confondent et plus le pouvoir devient opaque, plus la vie des citoyens devient transparente. Grâce à l'aspect fantastique qu'il a pu déceler dans l'univers bureaucratique, Kafka transforme une histoire banale en 'mythe, en épopée'. Mais Kafka ,'a fait que voir " ce qui était là-derrière ", que découvrir une " possibilité humaine. "
Citations
- « Un amour excessif est un amour coupable. » - La valse aux adieux
- « Il y a des idées qui sont comme un attentat.» - L’insoutenable légèreté de l’être
- « Le roman doit détruire les certitudes.» et « Le romancier doit montrer le monde tel qu'il est : une énigme et un paradoxe.» - Extrait d'entretien avec Antoine de Gaudemar, février 1984
- « La valeur d'un hasard est égale à son degré d'improbabilité. » - L’immortalité
- « La culture, c'est la mémoire du peuple, la conscience collective de la continuité historique, le mode de penser et de vivre. » - Extrait du journal Le Monde, janvier 1979
- « La beauté est l'abolition de la chronologie et la révolte contre le temps. » - Le livre du rire et de l’oubli
- « Les destinées humaines sont entre elles soudées d'un ciment de sagesse. » - La plaisanterie
- « La religion et l'humour sont incompatibles.» - Les testaments trahis
- « Seule une très grande intelligence est capable d'insuffler un sens logique aux idées insensées. » L'identité
Bibliographie
- 1967 : La Plaisanterie (Žert), Gallimard - Folio n°638, 490 pages, ISBN 2-07-036638-3, voir Présentation
- 1981 : Jacques et son maître, hommage à Denis Diderot, créée à Paris en 1984 (Jakub a jeho pán : Pocta Denisu Diderotovi)
- 1984 : L'Insoutenable Légèreté de l'être (Nesnesitelná lehkost bytí), éditions Gallimard, 476 pages, réédition 1987, ISBN 207038165x
- 2003 : L'Ignorance, éditions Gallimard, 181 pages, voir Présentation
Notes et références
- Hermann Broch, "Les Somnambules", réédition chez Gallimard, collection L'imaginaire, 727 pages, 1990, ISN 9782070719716
- Jaroslav Hašek, "Le brave soldat Chvéïk", Gallimard, 1932, réédition Folio n° 676, 1975
- ↑ Voir aussi sur ce sujet : interview Kundera
- ↑ Discours repris le jour même par Jean Daniel dans Le Nouvel observateur.
- ↑ " L'homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernables car est en lui le désir... de juger avant de comprendre. Sur ce désir sont fondées religions et idéologies. Elles ne peuvent se concilier avec le roman que si elles traduisent son langage de relativité et d'ambiguïté dans leur discours apodictique et dogmatique.
- ↑ Voir les deux ouvrages qui constituent ses références : "Le brave soldat Chvéïk" de Jaroslav Hašek et Les somnambules" de Hermann Broch
- ↑ Par exemple, dans "L'insoutenable légèreté de l'être", le code de Tereza repose sur les mots-clés le corps, l'âme, le vertige, la faiblesse, l'idylle, le paradis...
- ↑ Par exemple, le personnage historique Dubcek n'est intéressant que parce qu'il montre sa faiblesse devant l'invasion soviétique, la faiblesse comme catégorie générale de l'existence.
- ↑ Voir page 111 'la géométrie'
- ↑ Voir La vie est ailleurs page 112
- ↑ Voir exemple de synthèse page 121
- ↑ Voir exemple de rapport mère-fils pages 135-137
* Milan Kundera, Les testaments trahis, sa conception de l'écriture
* Milan Kundera, La fête de l'insignifiance, La Valse aux adieux,
* Milan Kundera, Une rencontre, pouvoir et postérité de l'artiste
* Milan Kundera et Philip Roth
Liens externes
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