mardi 3 juin 2014

Milan Kundera son parcours

Milan Kundera son parcours et son œuvre


1- La période stalinienne (1948-1956)  

Milan Kundera fait ses études secondaires dans sa ville natale de Brno. Puis en 1948, il n’a pas encore vingt ans quand il quitte la faculté de philosophie Charles à Prague pour s’orienter vers le cinéma. [1] Ses relations avec le communisme sont fluctuantes et il sera exclu du parti en 1950. [2] Il l’évoquera aussi dans Le Livre du rire et de l'oubli [3] en ces termes : « Moi aussi j'ai dansé dans la ronde. C'était en 1948, les communistes venaient de triompher dans mon pays, et moi je tenais par la main d'autres étudiants communistes... Puis un jour, j'ai dit quelque chose qu'il ne fallait pas, j'ai été exclu du parti et j'ai dû sortir de la ronde. »
Réintégré en 1956, il en sera à nouveau exclu en 1970.

Ses œuvres des années cinquante sont d’abord littéraires, peu marquées sur le plan politique, essentiellement deux recueils de poésie L'Homme, ce vaste jardin d’inspiration lyrique, qui se démarque du réalisme socialiste officiel et  Monologues en 1957 basé sur l'authenticité de l’expérience humaine. Il écrit également une pièce de théâtre Le Dernier Mai consacrée à Julius Fučík, un héros de la résistance communiste contre l'occupation de l'Allemagne nazie. 

Kundera en 1973

Kundera connaît une évolution radicale en 1967-68 à l’époque du "Printemps de Prague." [4] Il voit dans ce mouvement la réaction de l’esprit tchèque attaché à ses valeurs, réaction à un système qui veut imposer la culture soviétique, même si, sur le plan politique, il ne croit guère en ses chances de succès. Il jouera un rôle important dans la contestation des intellectuels tchèques, surtout à l’occasion du Congrès de l'Union des écrivains tchécoslovaques en juin 1967.

C’est dans ce contexte qu’il écrit un roman La Plaisanterie et un recueil de nouvelles Risibles amours où il dépeint la société tchèque au temps du stalinisme à travers les thèmes majeurs qui traversent son œuvre. Tout d’abord, l’impossibilité de cerner toute réalité et cette espèce d’incommunicabilité qui vicie les relations, même les plus intimes. Il aborde aussi le phénomène identitaire et la difficulté de saisir les événements dans leur totalité et leur signification. [5] 

L'INSOUTENABLE LÉGÈRETÉ DE L'ÊTRE
Jacques et son maître     Image du film
L'insoutenable légèreté de l'être

2- « L’après printemps de Prague » (1968-1975) 

Pour Milan Kundera, les lendemains de cette période de liberté d’expression sont difficiles. Il devient un paria, perd son poste d'enseignant à l'Institut des hautes études cinématographiques de Prague et ses livres sont interdits. Il vit alors de "petits boulots" et utilise ses talents de musiciens. Il en parle dans Le Livre du rire et de l'oubli, ironisant sur son travail de concepteur d’horoscopes. Cette situation ne l’empêche nullement de continuer à écrire, La vie est ailleurs par exemple où il règle ses comptes avec sa période communiste [6] ou La valse aux adieux. 

3- Depuis son installation en France

Début 1975, après qu’on lui eut retiré sa nationalité, avec sa femme Véra, Milan Kundera s’installe en France, d’abord à Rennes dans la Tour des horizons où il enseigne la littérature comparée puis à Paris. « Ce n'est pas l'écrivain qui tourne le dos à son pays. Mais c'est son pays qui met l'écrivain hors-la-loi, l'oblige à la clandestinité et le pousse au martyre » écrira Boris Livitnof dans son article la dérision et la pitié.

Il découvre stupéfait, la liberté et même l’amateurisme qui a souvent présidé à la traduction de ses œuvres, le style fleuri qui souvent y sévit, [7] ce qui l’oblige à revoir toutes les traductions de ses livres qui ont été édités avant sa venue en France.

Former President Vaclav Havel (left) and writer Milan Kundera sparred in print
Milan Kundera et le président Vaclav Havel

Bien qu’il ait déclaré ne plus vouloir écrire de roman, il publie en 1982 son livre le plus connu L’insoutenable légèreté de l’être. Il y réinvente le mythe nietzschéen de l’éternel retour. Comme l’homme n’a qu’une vie, il préfère la vivre avec légèreté, évacuant la responsabilité, ce que l’existence a de peu intéressant, la perspective de la mort. 

Milan Kundera va alors entamer ce qu’on appelle son « cycle français ». [8] Il a changé d’univers, quitté sa situation de dissident dans un pays communiste pour endosser un nouveau statut dans un nouveau pays, pays occidental dominé par la liberté aussi bien formelle qu’économique. Ce qui frappe l’écrivain, c’est la relation au temps, la rapidité des rythmes de vie et la pauvreté des relations humaines dans les sociétés occidentales. Il aborde ces sujets dans son premier roman "français" La Lenteur où il loue la sensualité d’une vie équilibrée, L’immortalité où il critique la dictature de l’image et le recours systématique à la facilité, L’Identité où l’amour est le seul rempart contre la dureté du monde moderne et L’Ignorance qui cible plutôt les paradoxes des relations humaines. La fête de l'insignifiance publiée en France en 2014 revient sur sa critique d’une époque qui, dit-il, « a perdu tout sens de l’humour ».

En 2008 éclate ce qu’on a appelé L'affaire Dvoracek, partie d’un  un procès-verbal d'interrogatoire daté du 14 mars 1950 selon lequel Milan Kundera aurait dénoncé un tchèque nommé Miroslav Dvoracek, lourdement condamné par la suite. Ce que Milan Kundera, bouleversé par ces "révélations," démentira énergiquement, soutenu par la majeure partie de la communauté littéraire internationale dont le grand romancier américain Philip Roth et plusieurs prix Nobel de littérature dont Gabriel García Márquez.

Milan Kundera a largement contribué à faire connaître en France de grands auteurs de l’Europe de l’Est méconnus dans notre pays, ce qu’il appelle lui-même le « grand roman d'Europe Centrale, » des écrivains qui l’ont influencé comme Hermann Broch avec Les Somnambules, Robert Musil avec L'Homme sans qualités ou Witold Gombrowicz avec Ferdydurke. Il a développé sa conception de l’écriture et le rôle de l’écrivain dans trois essais intitulés L'art du roman, Une rencontre et Les testaments trahis.

Milan Kundera a depuis plusieurs années, pris du recul par rapport à son œuvre, rejetant par exemple tous ses textes de jeunesse et de circonstance. De plus, il n'accorde plus d'entretiens, répondant parfois par écrit et contrôle strictement tout ce qui relève de sa biographie.


Photos de sa pièce
"Jacques et son maître"

4- « Non, je suis romancier » : interview au Point, mars 2009

« La seule chose que je désirais [...] profondément, avidement, c'était un regard lucide et désabusé. Je l'ai trouvé enfin dans l'art du roman. C'est pourquoi être romancier fut pour moi plus que pratiquer un "genre littéraire" parmi d'autres ; ce fut une attitude, une sagesse, une position ; une position excluant toute identification à une politique, à une religion, à une idéologie, à une morale, à une collectivité ; une non-identification consciente, opiniâtre, enragée, conçue non pas comme évasion ou passivité, mais comme résistance, défi, révolte. J'ai fini par avoir ces dialogues étranges : "Vous êtes communiste, monsieur Kundera ? - Non, je suis romancier." "Vous êtes dissident ? - Non, je suis romancier." "Vous êtes de gauche ou de droite ? - Ni l'un ni l'autre. Je suis romancier. »

 





 Double portrait 1976- 2009






5- Notes et références
[1] Il s'inscrit à l'école supérieure de cinéma de Prague, la FAMU
[2] Épisode repris dans son roman La Plaisanterie où son héros Ludvik est exclu du Parti pour avoir écrit « Vive Trostsky ! » sur une carte postale puis envoyé à Ostrava comme ouvrier mineur
[3] Chapitre 3. " Les anges " pages 78-79
[4] Voir son analyse dans la préface au roman de Josef Škvorecký, Miracle en Bohême
[5]  La manière dont certains faits peuvent se transformer pour devenir leur contraire
[6] La vie est ailleurs, prix Médicis étranger en 1973
[7] Quand il écrit simplement « le ciel était bleu » on trouve en traduction « sous un ciel de pervenche octobre hissait son pavois fastueux » ou encore « les arbres étaient colorés » devient « aux arbres foisonnait une polyphonie de tons » .
[8] Ses romans deviennent alors moins touffus, avec moins de pages et moins de personnages


Références bibliographiques* Martine Boyer-Weinmann, Lire Milan Kundera, éditions Armand Colin, 2009, (cf Présentation)
* Quelques vidéos de l'I.N.A.
 
Voir aussi mes articles :
* Milan Kundera, L'art du roman, sa conception de l'écriture
* Milan Kundera, Les testaments trahis, portée et esthétique du roman
* Milan Kundera, Une rencontre, pouvoir et postérité de l'artiste

*
Milan Kundera, La fête de l'insignifiance, La valse aux adieux
* Milan Kundera et Philip Roth

<<< Christian Broussas – Kundera - Feyzin, 3 juin 2014 - << © • cjb • © >>>

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