jeudi 18 décembre 2014

Gilles Deleuze et Michel Foucault

La French Theory entre Gilles Deleuze et Michel Foucault
Référence : Gilles Deleuze, "Foucault", Paris, Les éditions de Minuit, 143 p., 1986

« Un jour, peut-être, le siècle sera deleuzien. » Michel Foucault

         
Michel Foucault et Gilles Deleuze


Quand Michel Foucault rencontre Gilles Deleuze, il est tout de suite séduit par sa manière d'enseigner et le pressent pour enseigner à l'université de Vincennes créée après mai 68 où, là aussi, ses cours et la pédagogie qu'il met en œuvre rencontrent un succès particulièrement éclatant. Foucault disait de lui qu'il représentait « l'expression la plus pure de la pensée de la différence. »

Contrairement à son ami Foucault auquel il consacre un ouvrage en 1986,  il se veut à la fois « créateur de concepts » et ancré dans la réalité. D'un autre côté, Deleuze reconnaît volontiers l'influence de Foucault dans sa réflexion qui le conduit voir une évolution en trois étapes fondamentales, d'abord les sociétés de souveraineté où l'individu n'est pas libre, ensuite les sociétés  disciplinaires et industrialisées pour aboutir à l'époque actuelle des sociétés de contrôle. [1]





Deleuze (à gauche) Sartre (au milieu) et Foucault



Foucault avec Deleuze : Le retour éternel du vrai

L'ouvrage que Deleuze a consacré à Foucault est composé de 6 textes écrits à deux périodes différentes.
Les deux premiers qui s'intitulent « Un nouvel archiviste » et « Un nouveau cartographe » sont des comptes-rendus de deux œuvres de de Foucault, l'Archéologie du savoir et Surveiller et punir, réunis ici sous le titre  De l'archive au diagramme. Ils permettent de suivre la démarche de Foucault dans les années 1970, passé du thème de savoir à celui du pouvoir, qui est aussi une réponse en écho au premier thème.

Les trois textes suivants, postérieurs à la mort de Foucault, ont été publiés sous le titre « Topologie : penser autrement » et se veulent une tentative de rétrospection globale de l'œuvre de Foucault. Les deux premiers essais « Les strates ou formations historiques : le visible et l'énonçable (savoir) » et «  les stratégies ou le non-stratifié : la pensée du dehors (pouvoir) », reviennent comme les deux précédents sur cette césure mais de façon différente, privilégiant l'étude des savoirs et des rapports de pouvoirs, lui permettant de faire une analyse du sujet dont traitent les deux derniers livres de Foucault, L'Usage des plaisirs et Le souci de soi



Le texte suivant intitulé « Les plissements ou le dedans de la pensée (subjectivation) », reprend en l'explicitant cette analyse du sujet posant le problème de son intériorité, de la subjectivité de l'individu. On trouve également en annexe un complément sur « La mort de l'homme et le surhomme », qui ouvre sur un nouveau profil de l'homme qu'il appelle « ni Dieu ni homme », espérant simplement qu'il ne sera pas pire qu'avant.

Sa démarche permet de repérer quatre groupes de textes : 1) L'Histoire de la folie et Naissance de la clinique, 2) Les mots et les choses et l'Archéologie du savoir, 3) Surveiller et punir et La volonté de savoir, 4) L'Usage des plaisirs et Le Souci de soi. Elle nous plonge dans l'unicité de la pensée de Foucault qui aborde, à travers une logique interne,  successivement l'expérience, le savoir, le pouvoir et le sujet. Cette présence du multiple procède d'une ouverture qui implique une autre éthique.


La French Theory : Jacques Derrida, Roland Barthes, Jacques Lacan,
                            Michel Foucault, Gilles Deleuze, Jean-François Lyotard

Deleuze et Foucault : grandeurs et misères d’après Daniel ben Saïd

« Deleuze et Foucault nous manquent. Ils manquent à penser le moment d’incertitude dans lequel le monde est engagé depuis deux décennies, et dont ils furent, dans une certaine mesure, les annonciateurs. » Dans les années soixante-dix, ils prévoient l’effacement de l’idée de modernité. C’est en ce sens, proches de nous et nous irritant aussi, qu’ils nous touchent. A leur manière, ils ont tous les deux perçu, traduit en la révélant, cette crise majeure naissante. En quelque sorte, une espèce de malentendu qui explique leur succès et leur actualité. 

Après cette « impatience de la liberté » dont parlait Foucault, se profile une certaine humilité devant l’étiolement de l’idéologie, de la capacité à concevoir un autre avenir.
(Michel Foucault, Dits et écrits II, 1976-1988, Quarto Gallimard, Paris août 2001, p. 1397.)

Sur cette capacité à concevoir autre chose, Foucault est très réaliste, « je crois qu’il faut avoir la modestie de se dire que […] le moment où l’on vit n’est pas ce moment unique, fondamental ou irruptif de l’histoire, à partir de quoi tout s’achève et tout recommence. » (Michel Foucault, op. cit., p. 1267) Dès 1977, Deleuze est celui qui a saisi avec lucidité la nouvelle philosophie naissante comme réaction, écrivant « le seuil habituel de la connerie monte […]. Haine de 68, rancœur de 68 […]. La révolution doit être déclarée impossible, uniformément et en tout temps ». (Gilles Deleuze, Deux régimes de fous, Paris, Minuit, 2005, p. 131.)

« Je ne veux absolument pas, insiste encore Foucault, jouer le rôle de celui qui prescrit des solutions. Je considère que le rôle de l’intellectuel aujourd’hui n’est pas de faire la loi, de proposer des solutions, de prophétiser, car, dans cette fonction, il ne peut que contribuer au fonctionnement d’une situation de pouvoir déterminée […]. Je refuse le fonctionnement de l’intellectuel comme le double et en même temps l’alibi du parti politique. »

Foucault a bien perçu ce changement dans l’air du temps : « depuis cent vingt ans […] c’est la première fois qu’il n’y a plus sur la terre un seul point d’où pourrait jaillir la lumière d’une espérance. Il n’existe plus d’orientation ». (Michel Foucault, Dits et Écrits, II p 397) Un désenchantement qui est dû à la disparition des utopies –des communistes aux maoïstes, de la Yougoslavie à l’autogestion- qui n’ont connu aucuns modèles de remplacement. Plus de modèle de référence pour servir d’objectif à long terme, pour maintenir l’illusion des "lendemains qui chantent".

Foucault est d’autant plus sceptique sur l’avenir de la révolution qu’il vit douloureusement la contre révolution iranienne, soulignant la spécificité de l’Islam qui n’est pas seulement une religion mais « un mode de vie, une appartenance à une histoire et une civilisation, qui risque de constituer une gigantesque poudrière ». (Michel Foucault, Dits et Écrits, II p 761)

Notes et références
 
[1] Voir sa démarche dans son texte Post-scriptum sur les sociétés de contrôle

* Deleuze et Foucault : Entre pouvoir et territoire
* "Foucault" par Gilles Deleuze : Présentation
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