mercredi 24 juin 2015

David Lodge Pensées secrètes

Référence : David Lodge, "Pensées secrètes", éditions Payot/Rivages, traduit par Suzanne Mayoud, 401 pages, 2001

« La littérature se nourrit du malheur. Elle a besoin de conflits, de déceptions, de transgressions. »  Pensées secrètes

David Lodge, né en 1935 à Brockley dans le sud de Londres, est un universitaire spécialiste de littérature et un écrivain britannique. Il a été marqué par les bombardements de Londres pendant la bataille d'Angleterre et découvre l'Allemagne pendant un voyage à Heidelberg en 1951.
Il séjourne aux États-Unis en 1965 avec sa famille, d'abord à Providence puis va jusqu'à San Francisco. Il va ensuite construire une œuvre à la fois théorique et fictionnelle au succès grandissant.
David Lodge connaît bien le monde universitaire. Spécialiste de littérature anglaise, il a enseigné pendant une vingtaine d’années à l’université de Birmingham, tout en écrivant de nombreux essais et romans.

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Pensées secrètes (Thinks...)                                       David Lodge                                                         
Ralph à Helen : « Vous admettez que nous avons des pensées intimes, secrètes, connues de nous seuls . » Pensées secrètes, page 128

Pensées secrètes raconte la rencontre puis la liaison entre deux universitaires, Helen Reed et Ralph Messenger. Le roman se déroule de février à juin 1997 dans l'université fictive de Gloucester et ses environs, notamment la ville de Cheltenham [1] près des Costwolds. [2]

Helen Reed, londonienne et catholique, a 40 ans et est mère de deux enfants. Elle se sent un peu déstabilisée, dépressive dans ce lieu inconnu où elle est venue donner des cours d'écriture, assez seule depuis le décès de son mari. Elle a exprimé le spleen qu'elle ressent depuis, dans son dernier roman The eyes of the storm.

Ralph Messenger à la cinquantaine et est aussi originaire de Londres. Contrairement à Helen, c'est un scientifique , professeur de sciences cognitives, sûr de son savoir et du devenir de sa discipline. Sa femme Caroline Messenger (Carrie) est une riche américaine qui a en son temps étudié l'histoire de l'art et qui vit une existence opulente entre sa vie mondaine et leurs enfants.

Plusieurs universitaires viennent compléter le tableau des personnages de ce roman. 
Douglas C. Douglass est, comme Ralph Messenger, professeur de sciences cognitives et sous-directeur du Centre que dirige Ralph, Jasper Richmond doyen de la faculté des Lettres dont l'enfant est autiste.
Colin Riverdale,  professeur d'anglais, est un catholique rigoriste qui refuse la contraception, Reginald Glover, professeur d'histoire, est un marxiste convaincu dont l'épouse Laetitia est attirée par l'écologie. Apparaît aussi une conférencière Robyn Penrose, qui n'est autre que le personnage principal de son roman Jeu de société paru en 1988. 


Quand Helen Reed arrive à l'université de Gloucester au début du second semestre pour faire un remplacement, doutant d'elle-même, elle a plutôt envie de retourner à Londres. Sa rencontre avec Ralph Messenger qui lui présente son centre de recherche et l'initie à la problématique scientifique de la conscience, qu'elle considère comme thème essentiel de la littérature moderne.
Elle va passer un dimanche dans leur maison de campagne des Messenger. Ils vivront une liaison courte (trois semaines) mais intense quand Helen apprendra son infortune ainsi que celle de Ralph.

Après le retour de sa femme Caroline des États-Unis, Ralph Messenger connaîtra une période très difficile marquée par la maladie (un kyste ou une tumeur au foie) et une affaire de pédophilie dans le centre de recherche qu'il dirige. Heureusement, sa tumeur se révèle bénigne mais son adjoint Douglas, impliqué dans le scandale, met fin à ses jours. 

Ralph va commettre un impair qu'Helen ne lui pardonnera pas : consulter sur l'ordinateur d'Helen son journal intime pour percer ses « pensées secrètes ». Elle repart alors chez elle à Londres, ayant réussi à faire le deuil de son mari. 


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David Lodge, la littérature et le concept de conscience

Pour David Lodge, la question centrale qui se pose ici est celle de la conscience, à travers deux approches a priori
antinomiques : la scientifique avec le cogniticien Ralph Messenger et la littérature avec la romancière Helen Reed. Il traite également de ce thème à travers plusieurs références littéraires.
 

Quand Helen s'aperçoit par hasard que Carrie (le femme de Ralph) a un amant, la scène lui rappelle tout de suite une histoire similaire qu'elle a lue jadis dans un roman d'Henry James Les ambassadeurs où, dans une auberge, son héros Strether rencontre par hasard Tchad et Marie, ne pouvant que constater la profondeur de leurs sentiments et son désarroi. 
Pendant le Congrès, un participant fait référence à la « conscience de soi », qui rappelle à Helen une lettre à Lewis Carroll sur l'évolution de cette notion selon le contexte. La liaison intense vécue entre Ralph et Helen rappelle aussi à cette dernière celle vécue par Sarah et Maurice dans La fin d'une liaison de Graham Green dont Helen dit que « c'est le livre idéal pour une adolescente catholique prenant conscience de sa sexualité. » (page 353-54)

Helen cite également un ouvrage important Le lecteur ordinaire (paru aussi sous le titre Le commun des lecteurs) de Virginia Woolf  dont ses étudiants lui offrirent  en fin d'année une édition d'origine datant de 1932.
A la fin, pour écrire sa contribution à la clôture du Congrès, Helen aborde la question du "comment la littérature rend compte de la conscience humaine", à travers un poème intitulé Le jardin écrit au XVIIe siècle par Andrew Marvell. Il y décrit les plaisirs sensuels d'un jardin idéal pour faire partager au lecteur son expérience à travers des références sensuelles particulièrement évocatrices (du genre de la "madeleine" de Proust), ce qu'il appelle les "qualia". Puis le poète fait appel à la nature subjective de la conscience capable d'imaginer ce qui relève du virtuel, du domaine de l'abstrait.


Contrairement à notre époque qui a plutôt une vue mécaniste de la conscience, sans doute influencée par la logique informatique, Marvell, homme du XVIIe siècle, pouvait imaginer la séparation entre le corps et l'esprit.
Restait une dernière dimension essentielle à prendre en compte : la dimension tragique de la conscience, les sentiments négatifs qui nous assaillent et influent sur nos comportements. (pages 372-76)
Car si comme l'a noté Darwin, le rire est un mécanisme essentiel de la relation positive de l'homme à ses congénères, pour Helen,
« les larmes sont une énigme ».

David Lodge
David Lodge dans sa maison de Birmingham

Des vies à écrire à L'art de la fiction

Dans l’avant-propos de son livre Des Vies à écrire, David Lodge a cette réflexion :
« Je mène de front la création et la pratique de la critique littéraire depuis plus de cinquante ans. Je me considère avant tout comme un romancier et, dans un second temps, comme un théoricien du roman. Mais en vieillissant, je me rends compte que j’éprouve une attirance et un intérêt croissants pour les écrits fondés sur les faits. C’est, je crois, une tendance répandue chez les lecteurs avec l’âge, mais cela semble aussi être une mode dans la culture littéraire contemporaine. Ces essais, chacun à leur façon, décrivent, évaluent, illustrent les diverses manières dont les vies de personnes réelles sont transposées à l’écrit : biographies, roman biographique, autobiographie, critique biographique,  journal, mémoires, confession, et combinaisons diverses de ces formes. » 

Dans L’art de la fiction, à propos d'Ulysse de James Joyce, il revient sur l’écriture, en particulier la technique du monologue intérieur :
« 
Le monologue intérieur est à vrai dire une technique qu’il est très difficile d’utiliser avec succès, car elle n’a que trop tendance à imposer à la narration un tempo d’une lenteur éprouvante et à écraser le lecteur sous une pléthore de détails futiles. Joyce évite ces pièges en partie grâce au génie qu’il manifeste dans son maniement des mots, qui fait de l’incident ou de l’objet les plus banals des choses fascinantes, comme si nous les découvrions pour la première fois ; mais il y parvient également en variant la structure grammaticale de son discours, combinant le monologue intérieur, le discours indirect libre et les descriptions narratives orthodoxes. »

     

Pensées secrètes : l'adaptation théâtrale

La version théâtrale du roman de David Lodge a été jouée en 2012 au théâtre Montparnasse avec une mise en scène de Christophe Lidon. David Lodge est l'auteur de plusieurs pièces de théâtre,  parmi lesquelles "La vérité toute nue" (2006) et "L'atelier d'écriture" (2008).

C’est l’actrice Isabelle Carré qui incarne Helen Reed, célèbre romancière venue donner des cours de littérature à l’université. C’est ainsi qu’elle fait la connaissance de Ralph Messenger joué par Samuel Labarthe, brillant professeur de sciences cognitives, arrogant et cynique. Un jeu de séduction se développe peu à peu entre eux, aiguisé par des échanges entre deux intellectuels si différents, entre la littéraire et le scientifique. 


Notes et références
[1] Cheltenham est une station thermale du comté de Gloucestershire près de Gloucester  située au bord des Cotswolds.
[2] Les Cotswolds sont une chaîne de collines du sud-ouest de l'Angleterre. 

<< Christian Broussas - D. Lodge - Feyzin, 25/06/2015 © • cjb • © >>



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