André Glucksmann,« le philosophe en colère » titrait le journal Le Monde.
Et effectivement, on l’a vu souvent exprimer dans les médias ses
colères, s’élever contre des situations qu’ils jugeaient détestables et
contraires à ses convictions.
La pensée allemande, Fitche, Hegel, Marx, Nietzsche
Né à Boulogne-Billancourt en 1937, il faisait le lien entre la génération des Sartre, Aron et Foucault et ceux qu’on a appelé "nouveaux philosophes" en rupture avec le marxisme dans les années 1970. Et auxquels on l’a souvent rattaché.
Il a grandi dans un milieu juif européen dont les parents, membres de l’Internationale communiste
se réfugièrent en France en 1933. Pendant l’Occupation, comme beaucoup
d’enfants juifs, il est recueilli et vit caché tandis que son père meurt
et sa mère s’engage dans la Résistance.
Le jeune homme obtiendra l’agrégation de philosophie en 1961,
évoluant dans l’univers communiste et participant à Mai 68, deviendra
cependant assistant de Raymond Aron et sera particulièrement
impressionné par la lecture d’Alexandre Soljenitsyne et son Archipel du Goulag. Il s’intéresse aussi de près aux problèmes géopolitiques débouchant sur un premier ouvrage intitulé Le Discours de la Guerre (L’Herne, 1967).
Avocat constant de l’interventionnisme
Glucksmann & Sartre à l'Elysée en 1979 André Glucksmann en 2008
Participant au journal La Cause du peuple, il défend la révolution culturelle chinoise avant de rompre avec le marxisme en publiant La Cuisinière et le Mangeur d’hommes (Seuil, 1975), qui connut un succès inattendu.
Il rejoint alors les "nouveaux philosophes", squattant les
plateaux de télévision, diffusant leurs idées en luttant contre les
thèses communistes, intervenant en faveur des réfugiés vietnamiens, les
boat people, fuyant le Vietnam communiste.
Pendant les guerres yougoslaves des années 1990, il soutient
l’intervention contre la Serbie, balançant entre des positions de
principe de gauche et la défense de l’atlantisme, de la politique
américaine. Il devient un fervent interventionniste au nom des
droits de l’homme aussi bien en Libye qu’en Syrie mais fustige Poutine
et sa politique.
On lui reprochera certains de ses positions en matière de géopolitique et d’avoir apporté son concours à Nicolas Sarkozy, soutenant « qu’il a posé le bon diagnostic sur le chômage ». Il s’expliquera dans un livre de souvenirs Une rage d’enfant (Plon, 2006).
A l'émission Apostrophes en 1985
À la recherche d’un nouvel humanisme
Son grand appartement parisien, rue Faubourg Poissonnière, vaste
bibliothèque meublée sur des brocantes, était toujours ouvert aux
dissidents, André et Fanfan sa compagne étaient toujours disponibles.
Ses origines juives et les épreuves subies dans son enfance, ont sans
doute beaucoup joué dans sa révolte contre les injustices et son désir
d’aider les autres.
Son enfance, c’est la France occupée, sous fausse identité : « L'illégalité
était mon ordinaire, on me confiait les clés de la maison où l'on
cachait des armes, mais aussi des réfugiés qui ne parlaient pas un mot
de français. Avant de partir à l'école, j'étais chargé de fermer la
porte. A cinq ans, j'avais donc des responsabilités et des obligations
importantes ». L’image essentielle, c’est celle de sa mère Martha qui tient tête à ses geôliers au camp de Bourg Lastic en Auvergne. Le chef du camp préféra s’en débarrasser en la virant avec ses trois enfants : « Martha m'avait administré la leçon de ma vie : refuser de taire le mal peut sauver... »
Placé dans une maison d'enfants juifs à la Libération, « ce que je n'avais pas souffert dans ma chair, je l'ai entendu de leurs bouches » [1] racontera-t-il. Inutile de chercher plus loin le titre de son récit autobiographique Rage d’enfant qu’il publiera bien plus tard. Pour lui, les camps de concentration, qu’ils soient nazis ou soviétiques, c’est pareil et « la
réalité d'un camp de concentration ne dépend aucunement de
l'inscription et du drapeau que l'on trouve sur ses grilles. Elle est
constituée exclusivement des souffrances que ressentent les hommes qui y
sont détenus. » [2] D’où La Cuisinière et le mangeur d'hommes
dénonçant la logique inévitable entre utopie marxiste et système
concentrationnaire. D’où aussi son attachement au peuple tchèchène.
Lucide et très bien renseigné sur la mentalité russe, ce qu’il
appelait « le nihilisme intrinsèque du pouvoir russe depuis trois
siècles. » Les écrivains russes, de l’époque tsariste comme Dostoïevski, Tolstoï, Tchekhov, autant que ceux de l’ère soviétique comme Pasternak, Soljenitsyne ou Chalamov, se sont toujours dressés contre le despotisme de leurs dirigeants. [3]
Son espoir résidait dans le fait que l'Ukraine et la Géorgie parviennent à suivre "la voie Havel",
celle que le futur président tchèque avait suivie, de résister dans son
pays, ce qui l’a incité à soutenir les mouvements démocratiques en Ukraine et en Géorgie. Et ce, malgré ce qu’il appelait « la sale guerre de la Russie dans le Caucase » qui a gangréné la région en contribuant à « l'émergence d'une autocratie post-idéologique, sans foi ni loi ». [4]
A ces mouvements de libération, il écrivait encore en mars 2014, malade déjà et ne pouvant se rendre en Ukraine : « Je suis Européen. Vous êtes Européens. Nous sommes unis contre les relents de totalitarisme rouge ou noir. »
En 2014, paraphrasant Malraux, il titrait : « L’Europe sera voltairienne ou ne sera pas », ouvrage dans lequel il remet en cause les systèmes de pensée statiques et sûrs d’avoir raison. Son ultime essai prône une « liberté cosmopolite » face à une Europe confrontée à des régressions identitaires et xénophobes.
Avec BHL à Apostrophes en 1977
Voir Autour des "Nouveaux philosophes":
* Badiou et BHL -- Houellebecq et BHL --
* Alain Finkielkraut -- Alain Finkielkraut, Et si l'amour durait --
Notes et références
[1] Elena Bonner, André Glucksmann, Le Roman du Juif
universel », propos recueillis et traduits par Galia Ackerman, Les
Editions du Rocher, Paris, 2011
[2] Les leçons de Soljenitsyne, entretien avec le philosophe André Glucksmann, dans Le Meilleur des Mondes, N° 9, 2008
[3] "Russie : moderniser ou civiliser ?" Entretien avec André Glucksmann, dans Politique Internationale, N°106, 2005
[4] Préface d'André Glucksmann au livre d'Anna Politkovskaïa, « Tchétchénie, le déshonneur russe », traduction Galia Ackerman, Buchet/Chastel, Paris, 2003
< • Christian Broussas • Glucksmann 2015 • ° © CJB ° • 13/11/2015 >
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