Le discours frontiste classique seriné par Jean-Marie Le Pen depuis les années soixante et depuis,  repeint en bleu marine, est beaucoup plus subtil et demande, au-delà des apparences et des techniques dialectiques utilisées, pour apparaître sous ses véritables traits, un travail de décryptage. La technique du Front national consiste d’abord à récupérer certains mots-clés reconnus comme positifs par le public, pour se les approprier et du même coup, passer pour un parti « présentable ».

  "Dédiaboliser" l'image du FN

Le thème de laïcité, historiquement considéré comme « de gauche », est utilisé contre les populations d’origine immigrée, investissant tous les domaines sauf la sphère privée qui serait le seul où la religion aurait droit de cité. Donc,  plus aucun signe religieux dans l’espace public quel qu’il soit, plus de dérogations dans l’école, à l’hôpital ou bien sûr dans la rue.

Le pseudo complot dont se plaint le Front national n’est plus dirigé, comme du temps du père, par « la franc-maçonnerie ou l’internationale juive » mais une nébuleuse qu’elle nomme par exemple « le système UMPS » ou « le système mondialiste », dirigée par des organismes européens ou internationaux que le public a souvent du mal à bien identifier comme La Banque européenne, le Fond monétaire international ou l’Union européenne sa cible privilégiée.

La notion de « peuple » qui revient souvent dans son discours, est très ambigu, aussi bien dans sa définition que dans son contenu. Cette confusion, entretenue à dessein, lui permet des mélanges arbitraires : le peuple considéré comme symbole de la légitimité démocratique, de la majorité silencieuse et des « français de souche ». Peuple devient ainsi synonyme de « vrai français » capable de remonter jusqu’à ses ancêtres les gaulois comme les « vrais nobles » doivent justifier de quartiers de noblesse avérés pour être reconnus comme tels.

Le terme « République » dont les frontistes se gargarisent, fait référence à une république indéfinie –qui ne peut être la Vème république puisque son programme actuel suppose pas moins de onze révisions constitutionnelles- repose sur la notion de « priorité nationale » qui n’a pas vraiment de contenu mais dont on voit bien ce qu’il signifie et qu’il s’oppose de facto aux règles européennes. Il s'agit plutôt d'un discours incantatoire sans rapport direct avec la réalité, destiné par sa répétition à ancrer des slogans dans l'imaginaire collectif de ce "fameux" peuple dont le Front national se gargarise.

Reste le thème de l’immigration qui reste le fond de commerce du Front national et dont on se souvient du slogan sans nuances « Un million de chômeurs, c’est un million d’immigrés en trop ». Raisonnement économique aberrant mais qui a l’intérêt de susciter la peur, de faire croire que les étrangers viennent « manger le pain des Français », et l’on sait ce que représente le pain dans l’imaginaire collectif des Français. Pour le grand public et les médias, Marine le Pen parle de « politique dissuasive » et mélange volontiers immigration légale et clandestine. Reste à savoir comment dissuader l'immigration clandestine d'espérer de meilleures conditions de vie en prenant le risque de quitter leur pays d'origine.



Par contre, dans ses meetings et devant les militants, elle évoque le thème plus xénophobe de « grand remplacement » et de nouveau manie la peur, parlant plus volontiers de « submersion démographique, » image qui évoque un raz-de-marée noyant le dernier carré des "français de souche". Pour renforcer le sentiment de peur, elle nous promet un avenir compromis par  la recrudescence des conflits ethniques et des émeutes dans les banlieues. Les associations de mots sont à cet égard significatives, « immigration » résonnant très souvent avec des termes associés comme « massive », « danger », « problème », « insécurité » et « chômage ». [1]

Revenons sur cette « priorité nationale », autre thème majeur avec l’immigration, des frontistes. Marine Le Pen assurait récemment dans un meeting dans l’Yonne, que c’est ce que son père appelait la « préférence nationale » [2] et qu’elle représentait la « seule discrimination légale et morale, » la loi ne faisant d‘ailleurs pas forcément bon ménage avec la morale. 

Derrière ce jargon, se cache le fait de trouver un moyen pour avantager les Français aux dépens des étrangers, ce qui devient compliqué avec les textes aussi bien français qu’européens. Il s'agirait en fait d'une rupture avec les principes et les pratiques juridiques françaises. 

Là encore, Marine Le Pen prend des gants : les Français deviendraient prioritaires pour le logement « à situation égale » pour le logement et à « compétences égales » pour l’emploi. Recourir à des expressions aussi ambiguës, c’est prendre le risque de multiplier les litiges. (Front National, projet pour 2012)

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Les femen manifestant lors d'une réunion FN le 1er mai 2015

Quant aux allocations familiales, elles seraient réservées « aux familles dont un parent au moins est Français ou Européen ». Toujours selon Marine Le Pen, cette différence de traitement devrait s’appuyer sur « l'appartenance ou la non-appartenance à la nationalité » fondée sur « la seule discrimination légale et morale », concept de base dans le jargon frontiste. On peut discourir à l'infini sur la morale en matière politique, mais on peut en revanche se demander comment dépasser cette contradiction dans les termes mêmes entre ce qui est "légal" et cette "discrimination" qui dans son principe même est illégale. 

Même en admettant qu’un référendum puisse régler la question sur le plan français, on ne voit pas comment cette contorsion  juridique pourrait passer le barrage européen. 
Mais il est vrai que le Front national préconise aussi de se retirer de l’Union européenne, d’en revenir aux bonnes frontières et au bon vieux franc. C’est bien ce qu’on appelle une véritable politique réactionnaire, c’est-à-dire orientée vers le retour au passé. 



Une bataille avant tout sémantique

Marine Le Pen a annoncé en octobre 2013 sa volonté de poursuivre en justice toute personne affirmant que le Front National est un parti d'extrême-droite, ce qu'elle trouve particulièrement péjoratif « aux relents nauséabonds. »
Le hic, c’est que le Front National entretient des rapports étroits avec d’autres partis d’extrême-droite. Le journal Le Monde a révélé la visite de Marion Maréchal-Le Pen au parti xénophobe flamand Vlaams Belang et ses liens avec les responsables de mouvements skin... qui ne passent pas pour être des enfants de chœur tandis que Marine Le Pen collabore pour les élections européennes avec Geert Wilders, leader du Parti de la liberté, parti xénophobe et d’extrême droite.

On peut dire que ce Front National "new-look" n'existe qu’à travers des apparences. Son discours sue la peur et la violence avec des thèmes tels que la peur de l'avenir, la peur de l’autre et de l'insécurité, la peur des évolutions socio- économiques, les conflits sociaux, ainsi qu'une situation économique instable, banalise la défiance et le rejet de l'autre et promet ainsi bien d’autres fractures sociales. Dans cette bataille sémantique, Michel Winock  dans son essai intitulé Nationalisme, antisémitisme et fascisme en France (Seuil, 2004) a retenu plusieurs mots-clés chers au Front National comme « la peur du métissage génétique et l'effondrement démographique » ou  l’idée passéiste d’un âge d'or disparu.

Marine Le Pen
a tendance à se référer au thème de l'apocalypse (elle compare par exemple la trajectoire de la France au chaos) pour évoquer la situation socio-économique du pays, parlant de « délitement, de décadence, de dégradation ou de destruction. » Ça rejoint l’appétence de son père pour des mots comme « barbarie, anarchie ou fléaux. » Finalement, le frontiste Bruno Gollnisch a bien résumé l’enjeu de cette lutte idéologique dans cette phrase tirée d’une interview d'octobre 1996 : « Les luttes politiques sont des luttes sémantiques : celui qui impose à l'autre son vocabulaire lui impose ses valeurs. »


 
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Complément : Les Le Pen et leur patrimoine

La Haute Autorité pour la transparence de la vie publique a transmis au parquet financier les déclarations de patrimoine établies en 2014 par Jean-Marie et Marine Le Pen qu'elle juge sous-évaluées. Comme tous les députés européens, ils ont dû fournir leur déclaration de patrimoine à la commission de contrôle.

Selon la Haute Autorité « Il existe un doute sérieux quant à l’exhaustivité, l’exactitude et la sincérité de leurs déclarations, du fait de la sous-évaluation manifeste de certains actifs immobiliers détenus en commun par M. Jean-Marie Le Pen et Mme Marine Le Pen et, par ailleurs, de l’omission de biens mobiliers par M. Jean-Marie Le Pen. »

Sous-évaluation de leurs actifs respectifs pour les deux tiers de leur valeur, soit plus d’un million d’euros pour Jean-Marie Le Pen et plusieurs centaines de milliers d’euros pour sa fille, qui constitue une infraction passible de 45.000 euros d’amende, trois ans de prison et dix ans d’inéligibilité par application de la loi pour « la transparence de la vie publique » adoptée après l’affaire Cahuzac. Ce texte oblige les ministres, les parlementaires et certains élus locaux à déclarer leur patrimoine, acte de publicité qui a aussi pour vertu de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts.

Cette décision portant sur leurs deux patrimoines s’explique par le fait que certains éléments de leur patrimoine immobilier sont communs. On reproche aussi à Jean-Marie Le Pen d’avoir omis de déclarer un compte en Suisse et des lingots d’or, suite à une note de signalement de la cellule antiblanchiment (Tracfin) du ministère des finances.
C’est en application de l’article 40 du code de procédure pénale que la Haute Autorité  a décidé de transmettre ces faits pouvant constituer des infractions pénales au procureur de la République financier. Marine Le Pen a annoncé son intention de contester cette décision devant le Conseil d’État.

Notes et références
[1] Voir"Marine Le Pen prise aux mots", de Cécile Alduy, professeur de littérature française à l’université de Stanford et Stéphane Wahnich, professeur en communication politique à Paris-Est-Créteil.
[2] Ce changement de vocable serait dû selon Marine Le Pen au fait que le premier concept avait été « dénaturé, volontairement ou involontairement » en une « préférence ethnique, raciale ou religieuse » par ses adversaires politiques et les médias.

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