mardi 25 octobre 2016

Marc Lambron Une saison sur la terre

Référence : Marc Lambron Une saison sur la terre, éditions Gallimard

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« La lumière des saisons échappe à l’histoire des hommes. »
page 335


Ça commence par le mariage d’une cousine illustré d’une citation de Samuel Johnson « Tout mariage marque le triomphe de l’espoir sur l’expérience. » Le miracle du hasard fait qu’il y rencontre Marianne une amie de jeunesse, depuis perdue de vue. Cette même Marianne dont il s’était servie pour camper Karine, l’une des deux héroïnes de son dernier roman intitulé Les menteurs.

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« Serait-il possible se demande-t-il, que les livres fassent revenir à peine édités, les visages qui les inspirent ? » Cette rencontre augurait d’une « curieuse saison » écrit-il. Une saison pourrait bien en contenir d’autres.
 Lyon sa ville natale et l’opulent quartier des Brotteaux. Le temps où Fouché fit mitrailler les insurgés lyonnais en 1793, à l’écart du centre ville, était bien loin. Le parc de la Tête d’Or à côté, son terrain de jeu. À travers Jules Verne et quelques autres, il découvre le pouvoir libérateur de la littérature. Au-delà des contingences de la vie, il existe toujours un auteur pour vous « tendre les clés de la porte. » Et pour lui, « les livres sont l’autoportrait d’une enfance. »

 Dans la France des années 60, comme le pressentait Georges Pérec, « les signes remplacent les choses et les mots deviennent le réel. » Le verbe ne transpose pas seulement le réel, il sert aussi à vendre ; la publicité investit aussi bien les médias que l’espace urbain. En ce qui le concerne,  le rapport à la religion fut central et, même après l’éloignement, a laissé en lui des traces profondes, ne serait-ce que « parce que le récit biblique est doté d’un pouvoir de fable qui traverse les âges. » Sa vocation d’écrivain n’y est pas étrangère, « les livres allaient prendre dans ma vie la place d’un Dieu qui ne répondait plus. »

      

Automne 2004, au mythique Abbey Road à Londres

« Cette saison-là, j’eus le sentiment d’être graduellement enveloppé par les présences du passé. Un automne peut en cacher un autre. » page 287

Les circonstances le conduisirent à Londres où il interviewe l’une de ses idoles de sa jeunesse, le guitariste Éric Clapton. Outre ses qualités de musicien qui en font l’un des meilleurs de sa génération, il lui reconnaît beaucoup de qualités humaines. Malgré les démons de l’alcool et de la drogue, il lui prête une grande humilité, en l’occurrence dans sa relation avec Scotty Moore l’ex guitariste d’Elvis Presley ou ce perfectionnisme intransigeant qui lui fait atteindre des sommets. « Depuis plusieurs décennies déjà, nous confie-t-il, j’avais aimé cet homme. Sa musique, sa forfaiture, son honnêteté me fascinaient. Au milieu d’un carrousel de limousines et de groupies, Clapton avait pu illustrer la parabole biblique des talents. »

« Lieu commun : L’adolescence, c’est souvent l’odyssée miniature d’une conscience malheureuse. » Son adolescence, c’est aussi Proust et Un amour de Swann où il découvre « une littérature de climat. » Des tempéraments qu’il ne comprend pas : comment définir les relations entre Swann et Odette qui sont de nature si différente, que représentent tous ces oisifs qui passent leur temps à cancaner ? Il en rencontrera, précise-t-il, bien d’autres par la suite. Préscience proustienne.
Pour les filles, c’était plus simple mais tout aussi incompréhensible : « elles restaient des licornes lyriquement surinvesties. »

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Retour à Abbey Road en 2004.
Cette fois, c’est une autre idole vieillissante qu’il rencontre : David Gilmour le guitariste du groupe Pink Floyds. Sur scène ou en studio, c’est toujours top, « la voix toujours en place, suave, hypnotique, il a pris un solo tout en gradations avec des montées chromatiques et des effets de réverbération qu’instillaient au milieu d’une ballade, le lyrisme à la fois aérien et mordant qui reste sa signature. » 
On ne saurait mieux dire.

Il décrit ainsi ce qu’il appelle "la texture sonore du groupe" : « une batterie tout en scintillements de cymbales, le continuum d’une basse au rythme d’horloge, des nappes d’orgue montant en volutes, la guitare de Gilmour lâchant des arpèges étoilés. »
Conclusion : « Ces personnages avaient écrit la bande sonore de nos vies. »


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Une vie de jeune homme
« Marianne avait ce pouvoir-là, mesmérisant. (de capter votre attention) Je l’associais à la saison des cerises, à l’ombre de l’été. » page 272  

Mai 1973, Marc Lambron passe les épreuves du Concours général. C’est dans la salle du lycée Ampère (où est passé Baudelaire) où il planche sur un poème de Mauriac qu’il est saisi par la vue d’une silhouette d’où émane « une impression d’évidence, de liberté sur pied » : c’est Marianne. Pour lui, « l’empreinte intérieure d’une brûlure au fer rouge ».
Sa réussite au Concours le conduit en Italie, au bord du lac de Garde où planent pêle-mêle les fantômes de Goethe et de Mussolini, puis dans une grande balade à travers la Vénétie. Pour lui, c’est un séjour « à l’intérieur d’une carte postale. »

Chaque ville, que ce soit Vérone, Vicence, Padou ou Venise, apparaît comme un décor voulu par les potentats de l’époque. On y perçoit aussi le passage à la société marchande, « d’une rente latifundiaire à une prospérité maritime ».

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Abbey Road 2004
Mark Knopfler
de Dire Straits n’entre pas vraiment dans son panthéon. Excellent technicien, sans plus. Par contre, les Pink Floyd sont selon lui hors concours. Mais tout ceci est bien loin d’aujourd’hui.Avec le rock, on a connu une rupture musicale entre les générations et « la faculté de transporter vers le paysage mental d’une autre génération aura été dissymétriquement distribuée », c’est-à-dire arrivera à saisir une mentalité différente.


Rupture qui signifie conflit de génération. Le rock est un marqueur d’identité de la génération du "baby-boom", il s’est substitué à "une guerre qui n’a pas eu lieu".  Cette fois, il rencontre Bill Wyman le bassiste des Stones venu accompagner Scotty Moore. Il côtoie aussi Ron Wood, autre Stones, un « air de pivert ébouriffé tombé du nid », pas un magicien du son mais le plus compatible dans ce groupe à fortes personnalités.
Le rock parlait de « l’adolescence triomphante, de rêves de rupture, de l’électricité qui manque à nos vie. » Des entrées sur scène inoubliables comme celle des Rolling Stones en 1976. Ceci tenait du fait générationnel, des stars-héroïnes, à la fois mise en scène et mise en danger.

   
Réception à l'Académie française


Retour dans les années 70
 «  Marianne était peut-être une fille de l’automne. De ces visages qui reviennent avec la pluie et se superposent aux saisons incertaines. » page 315

Septembre 1973, début de la mixité en Terminale, dont la belle Marianne qui réapparaît ainsi dans sa vie.  L’année suivante, il entre en hypokhâgne au lycée du Parc à Lyon. Année aventureuse pour des vacances en Italie, quelques fortes impressions au festival d’Avignon, année-tendresse avec Claire, « peau très blanche, longs cheveux noirs, robe gitane, sandales de cuir », Claudette plus énigmatique… puis la Turquie et Marie-Christine. « Si je songe à cet été 1974, c’est un goût de peau brunie, l’éblouissement du jeu et de la vivacité ».

Ainsi, il revoit Marianne qui elle, est en khâgne ; un gouffre entre eux. Curieux mélange que ce microcosme d’étudiants toujours sur les nerfs vu l’enjeu du concours. Marianne lui occupe l’esprit. Il l’a définit comme une femme libre, « tout en elle évoquait l’échappée scintillante. J’ai croisé Marianne dans sa saison pyrotechnique maximale. » Il l’a voyait aussi comme « un invisible incarné », sur un piédestal, d’où sa froideur envers elle, le fait qu’il la repousse.
Amour platonique. Dans un carnet, il notera : « Marianne est une fiction. »

  

Dans un premier temps, il regarde plutôt vers son passé, retourne en Bresse, renoue avec ses balades retrouve avec plaisir « la ferme où Roger Vailland se cachait pendant la guerre. » Mais il prend également du champ, part à Rome avec rois camarades qui depuis on fait leur petit bonhomme de chemin. « En écrivant Les Menteurs, précise-t-il, je songeais à eux pour façonner  cette image de synthèse qu’est le personnage de Claire, universitaire désespérée et intraitable, maintenant contre toues les arrogances de l’amnésie contemporaine, le fil du sens, de la langue, des généalogies. »

À l’automne, carte postale de Marianne avec au recto Bernadette Soubirous accompagnée d’un mot énigmatique. Le temps semblait avoir coulé sur elle sans à-coups. Le monde de leur jeunesse était loin, « inexplicable ».
Pourquoi répondre à Marianne ?

 Oh, Marianne, fille de l’automne, « un être qui s’était accommodée de son propre secret. » À cause de ce qu’on peut considérer comme un manque d’ambition, elle s’était épargné bien des blessures. Finalement dit-il, il n’a écrit que « des romans orphiques » avec des femmes-fleurs : les deux sœurs de Étrangers dans la nuit n’ont pas d’enfants et la Karine des Menteurs non plus, une starlette à la dérive… « Peut-être, conclut-il, nos vies sont-elles des hymnes à la perte ? »

La fin d’une saison qui approche
« On vieillit quand on devient susceptible d’inspirer de la nostalgie aux autres, et d’abord à ses propres enfants. »

Il rêve, non d’un temps d’horloge, mais « d’épiphanies ». Il fallait « réduire la part de comédie » comme disait Malraux, mais le temps n’y pourvoirait-il pas ? Lors d’une soirée, il assiste à un concert de faux Rolling Stones alors qu’il venait d’interviewer deux des "vrais" Rolling Stones : l’automne confondait ainsi « les époques et les identités. »Pour lui, revenir que le passé « est un loisir né du loisir ou du chagrin. » Pou lui, l’enfance détermine l’essentiel.

Week-end à Ermenonville : Rousseau incontournable. Le lieu s’y prête et tout lui rappelle le philosophe. Nerval aussi s’y est baladé, qu’il a relaté dans Sylvie, « les eaux paisibles… la cascade qui gémit dans les roches. »Tour ce qu’on pouvait voir alors, on peut toujours le voir, pratiquement dans le même état.

  
Marc Lambron à Lyon, rue Garibaldi, avec sa mère


Retour à la vie lyonnaise
« Lyon est en moi comme un venin doux, une poche d’imaginaire. » Toujours présente. Les Brotteaux, quartier « où on n’avait rien construit de très visible depuis 30 ans. » Il continue à rêver de Marianne. Si le Parc de la Tête d’Or n’a guère changé lui aussi, qu’en est-il de ceux qui l’y accompagnaient dans sa jeunesse ? La littérature, qui l’a extrait de Lyon, l’y a aussi ramené. 

« Faites un livre sur votre vie à Lyon. Vous devez vraiment le faire » lui avait dit un jour Patrick Modiano lors d’une rencontre impromptue.
Avec cet ouvrage, voilà au moins une page de tournée.

Voir aussi
*
Ma fiche sur son ouvrage Etrangers dans la nuit --
* Les menteurs -- 1941 --


Christian Broussas, Lambron 2 - Carnon 10/10/2016 • © cjb © • >

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