Sophie Coignard, Romain Gubert, "Enquête sur le coffre-fort des Français", éditions du Seuil, 2016
Les auteurs
On dit que la Caisse des Dépôts et Consignation -la CDC- est un état dans l’État. Une délicatesse pour signifier qu’elle est à la fois LA puissance financière et en même temps, sous la coupe du ministère de l’économie et des finances et des plus hauts personnages politiques.
La CDC s’occupent de multiples tâches, et non des moindres. Elle veille sur l'épargne des Français et est même leur premier assureur, finance une partie des retraites, le développement des collectivités locales et le logement social.
Tout cela fait déjà beaucoup mais elle est aussi propriétaire de stations de ski comme La Plagne, Les Arcs, Tignes, du Futuroscope, du parc Astérix, de la salle Pleyel, des restaurants Quick ou encore du fort onéreux Théâtre des Champs-Elysées. On la trouve un peu partout.
Bien sûr, elle est très, très riche, c’est son pouvoir, un immense pouvoir. Derrière l’orgueilleux décor ultra moderne de sa façade de la rue de Lille, le jeu d’ombres chinoises peut se mettre en place. Dans les lambris de la république, sans ostentation. Sa communication, très au point, a fait son œuvre autour de thèmes aussi alléchants et consensuels que la promotion de la femme, l'aide aux P.M.E et P.M.I. ou encore le développement durable.
Mais l’envers du décor, c’est l'Élysée qui peut y puiser à l’envi pour aider tel ami un peu gêné comme Luc Besson, François de La Brosse, Henri Proglio ou François Sarkozy. Autant d’obligés à qui on peut le rappeler à l’occasion… Rien n’est gratuit.
Avec Sophie Coignard et Romain Gubert, il fallait s’attendre à une enquête pleine de surprises… instructive et édifiante. Beaucoup d’interventions qui devraient sortir du cadre des activités de la CDC, comme les activités artistiques ou les "amitiés de la première dame" ou même certains rapprochements industriels.
Encore plus étonnant : la CDC a été accusée de fournir un soutien logistique aux djihadistes en Syrie. Ils gèrent des dizaines de milliards mais ne s’oublient pas au passage : notes de frais à rallonge, voitures de fonction, salaires incroyables complétés de nombreuses primes et parfois d’honoraires impressionnants... Et quand ce n'est pas directement eux, ce sont les amis du régime qui en profitent.
La Caisse des dépôts a même eu les honneurs du magazine allemand Spiegel, ce dont elle se serait bien passée : le 4 décembre 2015, Pierre-René Lemas est de fort méchante humeur. Il vient de lire cet article qui accuse sa banque… d’aider Daech. Rien que ça ! Une histoire de soutien logistique (indirect quand même) via Eutelsat, une entreprise qui s’occupe de transmissions satellites dont elle possède un bon quart du capital.
On apprend que les têtes pensantes de l’État islamique utilisent les services d’Eutelsat (entre autres) pour leurs communications en passant par des intermédiaires, revendeurs de matériel installés en Turquie, juste de l’autre côté de la frontière syrienne.
Le Spiegel précise en particulier que « si elles le voulaient, les compagnies de téléphone satellitaires pourraient couper à tout moment les services utilisés par Daech » et ceci est d’autant plus « inconfortable pour le gouvernement français qui détient un quart de l’opérateur à travers la Caisse des dépôts, un établissement public ».
Et ce n’est pas la première fois que ce problème se pose.
En 2011, elle avait déjà été impliquée pour ses participations financières dans des entreprises accusées de faire des affaires juteuses avec des dictatures. [1]
Dans le même temps, la Caisse des dépôts avait été chargée de récupérer quelque 400 millions de dollars de la Fondation Kadhafi pour les répartir entre les victimes de l’attentat contre le vol UTA de septembre 1989 qui avait coûté la vie à 54 Français.
Revenons au fonctionnement interne et à ce qu’on appelle là-bas pudiquement les « énarques sur étagère ». Curieuses expression pour désigner ces hauts fonctionnaires (jusqu’à une cinquantaine de personnes !) grassement payés pour ne rien faire parce que, justement, on ne sait pas quoi en faire, étant sans affectation, ambassadeurs ou préfets par exemple, sans poste correspondant à leur niveau ou "politiquement incompatibles".
« Atmosphère étouffante » dit l’un d’eux qui a été mis au placard pour avoir dans un rapport critiqué la stratégie de l’institution dans son domaine. Dans ces conditions, pas question lui avait dit son responsable, de devenir un jour sous-directeur, objectif ultime pour beaucoup semble-t-il, de l’ascension sociale.
Une ambiance et des pratiques pas vraiment motivantes.
Par contre ajoute-t-il, « beaucoup de personnes restent quand même à la Caisse des dépôts parce que c’est un des territoires de l’État où l’on gagne bien sa vie, sans compter les avantages en tout genre... »
Propos bien sûr très officieux dans ce milieu ouaté où un simple éternuement risque de faire trembler la maison.
Notes et références
[1] Par exemple le FSI (Fonds stratégique d’investissement), filiale de la CDC, actionnaire de Qosmos et Amesys qui vendaient des programmes de surveillance des opposants à la Syrie de Bachar el-Assad, ainsi qu’à la Libye de Mouammar Kadhafi.
Voir aussi
* Revue Challenges : Le fonctionnement anachronique de la-CDC --
* Ma fiche de présentation de L'oligarchie des incapables --
* Ma fiche sur Philippe Pascot, Pilleurs d'État --
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