Référence : Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel, éditions des Équateurs/France inter, 148 pages, 2017
« Dantesque,
kafkaïen, sadique, machiavélique, c’est un douteux privilège que de
baptiser de son nom une angoisse collective. » Dans son dictionnaire des
idées reçues, Gustave Flaubert place Machiavélisme, « mot qu’on ne doit prononcer qu’en frémissant » avant Machiavel, « ne pas l’avoir lu mais le regarder comme un scélérat. » Mais le beau renouveau de la Renaissance, s’interroge Patrick Boucheron, n’est peut-être qu’une « mise en scène parodique d’un passé fantasmé ».
Le Prince en est un bon exemple, « on
s’accroche parfois à certains livres comme à des bouées. Quand tout
change autour de soi, ils surnagent, se signalent à notre intention pour
éviter le naufrage… Ils furent les alliés fidèles de ceux qui
cherchaient à comprendre leur dérive politique. »
En fin de compte, à qui s’adresse son essai ? Réponse chapitre 15 : « Mon intention est d’écrire chose utile à qui l’entend. »
Son intention est de décrire le plus exactement possible les situations
et laisser au lecteur le soin d’en tirer ses conclusions. Pour parler
des puissants, il utilise la fable du Renard et du Lion : tantôt l’un, tantôt l’autre, "ils savent faire la bête", « car
le lin ne se défend pas des pièges, le renard ne se défend pas des
loups. Il faut donc être renard pour connaître les pièges et lion pour
effrayer les loups. »
Sa méthode s’apparente au travail de l’ingénieur, tel qu’il a pu voir à l’œuvre un Léonard de Vinci ou l’endiguement de l’Arno qui débordait et menaçait de noyer Florence : retenir, contraindre, soulager… bref gouverner en y mettant toute « la vertu politique » nécessaire.
Si la parution du Prince lui apporte une certaine notoriété, elle ne lui permet pas de rentrer en grâce auprès de Julien de Médicis, les Médicis qui dirigent de nouveau Florence sous la houlette du pape Léon X. Il obtient au moins le succès au théâtre avec sa pièce "La mandragore", [1]
satire où sous des dehors de comédie reposant sur la dissimulation, des
faux-semblants et les apparences, se retrouvent les thèmes du Prince, la faillite des puissants et l’abaissement de Florence.
Sur l’art de gouverner, Machiavel
sépare la science de l’État que maîtrisent le prince et ses
conseillers, leur connaissance des passions sociales qui remuent le
peuple et la réalité de leur pouvoir que comprennent ceux qui le
subissent, car « le peuple connaît ce qui l’opprime. »
C’est dans son Discours sur la première décade de Tite-Live qu’il développe ce genre d’idées. [2] Il
essayait ainsi de corriger le présent par l’intelligence du passé,
persuadé que le peuple peut se gouverner lui-même, rendant possible
l’instauration de la République. Il sait au moins ce qu’il ne veut pas : se laisser dominer. [3]
Un été avec Montaigne Un été avec Proust Un été avec Baudelaire
« Gouverner, écrit-il, c’est agir dans l’aveuglement de l’indétermination des temps. » Autrement dit, quand on agit, la fin n’est jamais connue et on ne peut ainsi jamais justifier des moyens utilisés.
Il développe L’art de la guerre dans son seul essai anthume, [4] où
pour lui la violence est au cœur des choix politiques. Constat amer qui
s’avère pourtant stratégique. Dans ce cadre, la paix se définit comme
une violence en puissance qui doit rester une menace n’ayant nul besoin
de s’exercer, ce qu’on appellerait au XXème siècle la dissuasion.
En 1520, l’Académie de Florence lui confie le soin d’écrire une Histoire de Florence. Tâche bien risquée pour un homme pris entre historiographie et contestation. Il lui faut ruser, [5] élever le débat, présenter les forces en présence à l’intérieur de la cité et leur impact sur l’avenir de Florence. [6]
Notes et références
[1] Voir
aussi sa pièce Clizia écrite en 1525, qui met en scène les amours d’un
homme d’un âge avec des jeunes filles qui n’ont pas froid aux yeux.
[2] Extrait de la dédicace au Prince :
« Comme
ceux qui dessinent les paysages se placent en bas de la plaine pour
considérer la nature des montagnes et des lieux élevés et, pour
considérer des lieux bas, se placent en haut des montagnes, de même pour
bien connaître la nature du peuple, il fut être prince et pour bien
connaître celle des princes, il faut être du peuple. »
[3] Extrait du Prince, chapitre 8 :
« Dans
toute cité, on trouve deux humeurs différentes, et cela vient de ce que
le peuple désir ne pas être commandé ni opprimé par les Grands ; et de
ce que les Grands désirent commander et opprimer le peuple. »
[4] L’Art de la guerre s’achève sur cette note :
« Nos
princes pensaient qu’il leur suffisait d’imaginer dans leur cabinet une
brillante réponse, d’écrire une belle lettre, de montrer dans leurs
paroles de la subtilité et de l’à-propos, de savoir ourdir une ruse, de
s’orner d’or et de joyaux, de dormir et de manger plus richement que les
autres… »
[5] Extrait d’une lettre à son ami Guichardin de 1521 :
« Depuis quelque temps, je ne dis jamais ce que je pense, ni ne pense
jamais ce que je dis et, si je dis parfois la vérité, je la cache parmi
tant de mensonges qu’il est difficile de la découvrir. »
[6] Témoin sa relation de la révolte ouvrière des Ciompi en 1378 où il donne la parole à un émeutier.
Voir aussi ma fiche Un été avec Baudelaire --
<< • Christian Broussas –Machiavel - 21/08/2017 • © cjb © • >>
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire