Alain (1868 - 1951), un « Platon » contemporain
Pour célébrer les 150 ans de sa naissance

« Si la philosophie sert à quelque chose, c'est lorsqu'elle nous aide à diminuer la part du malheur humain dont nous sommes nous-mêmes la cause. »

    
                                        Alain enseignant la philosophie
Alain dites-vous, ah oui, ce philosophe pour « classes terminales » persiflaient certains –mais Jean-Jacques Brochier n’a-t-il pas dit la même chose d’Albert Camus- réduit le plus souvent à un philosophe du bonheur, sans grande référence théorique.

Une espèce de franc-tireur de la philo. 

On ne se penche plus guère sur ses écrits politiques, partant du constat que c’est la partie de son œuvre qui a le moins bien résisté au temps. C’est dommage car c’est précisément sa conception du rôle central de l’individu, ses droits personnels, sa conception de la démocratie libérale d’autant plus intéressante qu’elle connaît actuellement un regain d'actualité avec la mondialisation.

                 

Vous avez dit « indignation » ?
« Penser, c’est dire non »

Sa jeunesse à Mortagne-au-Perche lui laissera toujours la nostalgie de la vie champêtre à opposer à une vie urbaine assez déshumanisante. Ce fils de vétérinaire fit de brillantes études, intégrant la prestigieuse École Normale Supérieure de la rue d’Ulm avant d’être reçu à l’agrégation de philosophie en 1892. Il trouve sa vocation dans l’enseignement  qui le conduira jusqu’au lycée Henri IV, poste qu’il  occupera jusqu’à sa retraite en 1933.

Enseigner était vraiment sa vocation ; il connaît un tel succès que même le ministre se déplacera pour aller dans sa classe écouter son dernier cours. Il renonce à la rédaction d’une thèse pour se consacrer à écrire des "billets d’humeur" qu’il appellera ses "propos". C’est son engouement pour la politique qui l’amènera à rédiger des chroniques pour de petites publications radicales, à Lorient puis à Rouen : « Ma passion, c’est la politique, en ce sens que je ne supporte pas la tyrannie, et ce qui m’a fait écrire, c’est cette passion politique. » 

C’est à cette époque qu’Émile Chartier prend le pseudonyme d’Alain et qu’il s’implique, prenant la défense du capitaine Dreyfus. Puis il s’engagera dans les universités populaires, estimant qu’il devait prendre la défense des petites gens, des plus faibles contre les puissants et les riches.

C’est dans ce qu’il appelle « la pensée véritable » qu’il a retrouvé « une émotion, une indignation, une révolte. […] C’est dans ce sentiment de reconnaissance que je signerai toujours mes productions les plus élaborées, de mon nom de pamphlétaire qui est Alain. » (Les Nouvelles littéraires, 18 février 1928)

Alain s’est toujours défini comme un homme de gauche, un véritable républicain, il s’est toujours tenu à distance des structures politiques qui gênaient ses conceptions individualistes.


                
L'essai de Michel Onfray              Sa maison du Vézinet


Le militant pacifiste
Malgré son engagement en 1914, il restera toute sa vie un antimilitarisme convaincu qui milite pour la paix, qui en 1927 signe la pétition contre la loi sur l’organisation générale de la nation pour le temps de guerre, qui nie toute indépendance  intellectuelle et toute liberté d’opinion.


En 1934, il est cofondateur du Comité de vigilance des intellectuels antifascistes. Malgré de graves crises de rhumatismes et une attaque cérébrale, il participe en 1936 aux travaux du Comité de Vigilance, milite beaucoup pour la paix, publie deux volumes de Propos qu'il intitule Convulsions de la Force et Échec de la Force et soutient le pacifisme de Giono.

Anti fasciste convaincu, il a sous estimer la puissance du nazisme et signe en septembre 1939 le tract « Paix immédiate » du militant anarchiste Louis Lecoin.



   
Alain en militaire


La publication récente de son Journal a jeté une ombre sur sa mémoire. Il y confesse son admiration pour l'animal politique que fut Hitler, lui le pacifiste impénitent qui avait connu l'horreur des tranchées, et avoue avec repentance,  « Je voudrais bien, pour ma part, être débarrassé de l’antisémitisme, mais je n’y arrive point », ce que Michel Onfray dans l'essai qu'il lui a consacré, ne manque pas de souligner, écrivant avec une certaine ironie que « le pacifisme n’est défendable que tant que la guerre n’est pas nécessaire », la solitude et la maladie qui marquèrent la dernière partie de sa vie, ce qu’il appelle « le solstice d’hiver d’Alain, sa nuit la plus longue ». [1]

Les propos : "Amitiés" (27 décembre 1907)
« Il y a de merveilleuses joies dans l'amitié. On le comprend sans peine si l'on remarque que la joie est contagieuse. Il suffit que ma présence procure à mon ami un peu de vraie joie pour que le spectacle de cette joie me fasse éprouver à mon tour une joie ; ainsi la joie que chacun donne lui est rendue ; en même temps des trésors de joie sont mis en liberté, et tous deux se disent : j'avais en moi du bonheur dont je ne faisais rien. 
Mais l'humeur dit aussi l'état de notre corps et nous ne comprenons pas assez, qu'exception faite des moments où un grand malheur nous terrasse, c'est en définitive notre corps qui nous fait triste ou joyeux. L'humeur n'est ainsi que l'addition des multiples dérèglements qui sont en nous. Le plus souvent, plutôt que de commander à notre corps, nous l'écoutons dans ses moindres misères et nous nous condamnons à nous plaindre. »
Notes et références
[1]
Michel Onfray, Solstice d'hiver : Alain, les juifs, Hitler et l'Occupation, éditions de l'observatoire, mars 2018
Voir aussi
* André Maurois, Alain, Editions Domat, 150 pages, 1950
* Jérôme Perrier, Alain ou la démocratie de l'individu, éditions Les Belles Lettres, 448 pages, 2017
* Mes fiches : Auguste Conte et le positivisme --
Sarah Bakewell, Sur Montaigne --

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