lundi 25 juin 2018

Daniel Pennac Mon frère


Référence : Daniel Pennac, Mon frère, éditions Gallimard, Collection Blanche, 144 pages, mars 2018

« J’ai perdu le bonheur de sa compagnie, la gratuité de son affection, la sérénité de ses jugements, la complicité de son humour, la paix. J’ai perdu ce qui restait de douceur au monde. Mais qui ai-je perdu ? » Daniel Pennac.

        

Présentation
J’avais écrit en 2014 une fiche sur ce sacré personnage de Bartleby, héros malgré lui d’Herman Melville, ou plutôt un anti-héros –c’est ce qui fait sa singularité- pour commenter le livre de Philippe Delerm intitulé Quelque chose en lui de Bartleby dont le personnage Arnold Spitzweig est le "frère" de Bartleby.

Daniel Pennac
revient avec ce curieux personnage qui, par son côté "lisse et sans prise" va à contre courant des idées dominantes, disant nonchalamment: « Je préfère pas », timide, restant en retrait. Il se demande s’il « faut exister en-dehors de soi ? », connaissant par avance la réponse. 


      

Ce grand frère, de cinq ans son aîné, il le connaît sans doute par leur jeunesse commune et une complicité sans pareille mais finalement le connaît-il vraiment. Ce livre-témoignage nous guide dans son univers intime et nous en dit aussi long sur ce frère disparu que sur l’auteur lui-même.

Cette période de sa vie marquée par ce deuil donna lieu non seulement à l’écriture de ce livre pour dire son désarroi et exorciser cette mort mais aussi à un one-man-show théâtral autour de Bartleby, le personnage d’Hermann Melville à qui par certains traits  son frère ressemblait.

      
                                                       
      Le couple Pennac

« Bernard est la personne que j’ai aimé le plus nettement, sans jamais d’arrière-pensée ou de ressentiment dans aucun domaine. » Interview Gallimard
.
Le déclencheur de ce livre : une Ferrari qui le double à vive allure sur l’autoroute. Le contraire de son frère pense-t-il, ce frère qui disait toujours « on ne va tout de même pas ajouter à l’entropie… » Et en juillet 2017, Pennac se réveille à cinq heures du matin, avec en tête le souvenir très précis de cette scène sur l’autoroute, « Je me suis immédiatement mis à l’écrire, et tout le reste du livre a suivi comme allant de soi. »
.
       

Que d'amour si difficile à formuler pour ce frère trop tôt disparu, dans quelques formules quand même lorsqu'il écrit par exemple « Je ne sais rien de mon frère mort si ce n’est que je l’ai aimé. Il me manque comme personne mais je ne sais pas qui j’ai perdu. »
 

Il y a entre eux une timidité dans les rapports, dans les échanges qui donne d'autant plus de valeur à leur relation, car « pour silencieux qu’il fût, c’est ce frère qui m’apprit à parler. Et d’ailleurs à lire, plus tard, les romans qu’il aimait. Donc à écrire [...] Nous ne parlions qu’autour de ce qu’il y avait à dire. Souvent en commentant les livres que nous lisions. La Littérature nous servait de camp retranché. »

Bartleby, ce personnage de Melville qui leur sert parfois de truchement, servira à Daniel pour renouer avec son frère Bernard au-delà de la mort, [1] dans le jeu théâtral dont il nous présente sa version dans ce livre [2]. « Melville lui-même, écrit-il, ne tira pas son Bartleby du néant. Un ami de jeunesse fort malade qui s’appelait Eli James Murdock Fly lui aurait servi de modèle ainsi que deux personnages de fiction : le Nemo de Dickens, copiste dans La maison d’Âpre-Vent et un clerc mélancolique d’un roman oublié d’un auteur lui-même oublié James Maitland ».


Notes et références 
[1] Son adaptation au théâtre du Bartleby de Melville est intriquée à ses souvenirs de Bernard à « un rythme qui s’est imposé de lui-même... Tout cela est tissé, absolument indémêlable… » Jouer le personnage de Bartleby, c’était « comme si je jouais avec lui, comme s’il était dans la salle. Parce qu’il était timide, il était très fier que je fasse du théâtre, que je m’expose sur scène. Parce qu’il était timide, il était très fier que je fasse du théâtre, que je m’expose sur scène. » 
[2] Sur la perception des spectateurs, il dit : « J’ai été très touché par le désarroi où le personnage de Bartleby laissait le public. Le public, que l’on peut considérer comme un individu collectif, a besoin d’explication, de finalité, de sens. Et Bartleby renvoie chacun des spectateurs à sa propre solitude ontologique. »

Voir aussi
* Un amour exemplaire --
* Mes fiches : Journal d'un corps et Mon frère --


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