mercredi 27 juin 2018

Lyon et les usines Berliet

Berliet sans Berliet

Il y a quelque 70 ans, l’entreprise de construction automobile Berliet de Lyon faisait une surprenante expérience… [1]

Référence : Marc Ameil, Berliet sans Berliet. Extrait du mémoire de maîtrise d’Histoire intitulé La CGT lyonnaise, 1944-1948. Lyon II, 1974

  Marc Ameil 

Situation paradoxale des usines Berliet au lendemain de la guerre, qui lui a permis de vivre une expérience particulière. Les usines Berliet, une institution à Lyon depuis leur création en 1899, symbole de l’expansion de l’automobile puis des camions quand l’entreprise évolua vers ce type de production.

Mais voilà, en septembre 1944, le patron historique, accusé de collaboration, est écarté et l’entreprise mise sous séquestre. [2] C’est l’occasion d’une expérience unique à l’époque,  d’autogestion qui permet aux quelque 7000 salariés (dont près de 80 % d’ouvriers) présider à son avenir avec l’aide de la CGT et ceci, sans ingérence politique au départ.

 Avec les représentants du personnel, des comités se réunissent chaque mois pour examiner les suggestions du personnel sur tous les aspects de la vie de l’entreprise.
Le mot d’ordre est alors la reconstruction : chacun a à cœur de participer au redémarrage des activités. Cet essor économique entre 1944 et 1946 permet aux salariés de recevoir une prime correspondant aux bénéfices qui leur sont affectés.

     
« On est en train de remettre les lettres en place »


L’entreprise n’a pas seulement un but économique mais vise aussi un but social, prenant en compte la santé et la sécurité avec l’organisation de visites médicales, l’implantation d’une cantine et d’activités sportives. La cité Berliet permet de loger les personnes à proximité de l’usine de Vénissieux.

À l’heure de la reconstruction, on s’attèle à remettre en marche l’outil de production, se traduisant par un redémarrage de la production entre 1944 et 1946. Il permet d’octroyer des primes avant de réviser les grilles salariales.

Les problèmes vinrent d’abord des pouvoirs publics qui abandonnèrent le projet de nationalisation, obligèrent la nouvelle direction à payer les 143 millions de francs d’amende dus par les anciens patrons Berliet. Mais il faut dire aussi que tout le personnel n’était pas à même de participer à cette évolution, la motivation n’étant pas forcément au rendez-vous.
L’entreprise était endettée, la production stagnait et la grande grève de la fin 1947 signait la fin de l’expérience. Finalement, la direction autant que les politiques sabotèrent l’expérience qui ne s’inscrivait ni dans la logique d’un libéralisme renaissant [3] ni dans un projet plus global de lutte anti capitaliste.

L’expérience ne survécut pas aux premiers soubresauts de la "guerre froide" et, comble d’ironie, l’entreprise fut finalement restituée à ses anciens propriétaires, pourtant condamnés pour faits de collaboration. Par arrêt du 22 juillet 1949, le Conseil d'État saisi par la famille Berliet, annule l'arrêté du 1er août 1946 qui avait nommé Marcel Mosnier administrateur provisoire. Un nouvel arrêt du Conseil d'État du 28 décembre 1949 casse l'arrêté nommant Henri Ansay administrateur provisoire, mettant fin à l'action judiciaire.

    
     De la Berliet 24 HP 1905 à la Berliet Dauphine 1939

 
Notes et références
[1] Les automobiles Berliet passent sous contrôle de Renault en 1974, devient RVI (Renault véhicules industriels) en 1978 et cédé au groupe Volvo en 2000 devenant Renault Trucks. [2] Le 3 septembre 1944, Marius Berliet est arrêté, les FTP réquisitionnent les usines Berliet, le Commissaire de la République à Lyon, Yves Farges, s'appuyant sur la loi du 10 septembre 1940, place l'entreprise sous séquestre le 5 septembre et fait arrêter les quatre fils Berliet le 13 septembre 1944.
[3] Par exemple, le général de Gaulle déclara qu’il « ne voyait aucune raison […] pour que le régime absurde qualifié d’expérience Berliet continue pour cette usine. »


      
Un des logos Berliet                      Camion Berliet GLR


Voir aussi
Revue française de science politique, Les forces politiques en France, 1975, Marc Ameil, La CGT lyonnaise 1944-1948
Monique Chapelle - Berliet - Éditions Le Télégramme, 2005
Louis Muron " Marius Berliet, 1866-1949", Éditions Lugdunum, 1995
Marcel Peyrenet, Nous prendrons les usines : Berliet : la gestion ouvrière (1944-1949)


<< Christian Broussas – Berliet - 26/06/2018 <> © • cjb • © >>

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire