Hyperréalité et imagination


On sait bien que dans la société de consommation [1] les objets sont considérés comme un système de signes qui  jouent sur le statut social de l’individu. Jean Baudrillard a bien mis en lumière ce phénomène et l’a très tôt étendu à tous les domaines de la sphère sociale. Après des domaines comme la mode et la publicité, lieux de manipulation par les signes, c’est le réel qui est visé, marqué par la simulation et la parodie. [2]

     

Le simulacre atteint un summum quand il dépend uniquement de l’abstraction de l’algorithme. Le crime parfait (de la réalité) [3] écrit-il, « C’est celui d’une réalisation inconditionnelle du monde par l’actualisation de toutes les données, par transformation de tous nos actes, de tous les événements en informatique pure : la solution finale, la résolution anticipée du monde par clonage de la réalité et l’extermination du réel par son double ».

           

Analyste de la société de consommation [1] , Jean Baudrillard s'est aussi penché sur le monde dans lequel il vivait pour se centrer sur les grands défis de son époque, comme la prolifération des centres commerciaux, les mutations génétiques ou la spéculation mondiale. Au-delà de l'analyse de ces mécanismes et des conséquences de ces évolutions, il observe avec inquiétude l'effacement du réel. 

Ce thème est d'autant plus actuel qu'il impacte de plein fouet la nouvelle génération, obnubilée par la prégnance des réseaux sociaux et des systèmes de communication de plus en plus performants. La réalité a tendance à se dissoudre dans un nouvel espace qui ne permet ni sens ni référent.

        

La réalité a peu à peu laissé place à une relation lointaine, distanciée, désincarnée, dans un univers virtuel. Baudrillard parle à ce propos de meurtre : « Il n'y a pas de cadavre du réel, et pour cause : le réel n'est pas mort, il a disparu.» Un « crime parfait » d'un virtuel qui ne s'oppose pas simplement au réel mais il postule à sa disparition pure et simple.

De pseudos qui changent noms et visages, l'univers personnel est envahi, phagocité par la fascination des images, l'overdose d'interactions et de flux qui absorbent, dévorent toute forme de réalité.

         

D'une façon générale, nous sommes soumis à des simulacres : « Le simulacre c’est la copie à l’identique d’un original n’ayant jamais existé. » [4] Quelque chose d’impondérable qui se transforme en réalité.

Au départ, se connecter aux réseaux sociaux ne constituait qu’un support du réel, pour élargir et renforcer ses relations, avoir un nouvel outil pour par exemple être relié à ceux qui sont loin, et en quelque sorte, prolonger le téléphone.

       

Il se produit alors un renversement de logique, le virtuel se substituant au réel, devenant "le vrai", le vrai visage, la vraie vie, c'est ce que Baudrillard appelle "l'hyper-réalité". Il l'a décrit ainsi : « Le réel ne s'efface pas au profit de l'imaginaire, il s'efface au profit du plus réel que le réel : l'hyper-réel. Plus vrai que le vrai : telle est la simulation. »

                 

Le réel est bien là quelque part mais sans consistance palpable. Impossible désormais de distinguer l'authentique de l'artificiel. L'image s'est brouillée dans le miroir de Dorian Gray mais cette fois, elle a été retouchée, plus vraie que vraie, trop vraie pour coller à la réalité. Mais justement, cette espèce d'idéal ne pourra pas toujours résister à la réalité.
Baudrillard passe ensuite de "l'hyper-réalité" à la "réalité intégrale". C'est le moment où « les choses perdent leur distance, leur substance, leur résistance dans l'accélération indifférente du système où les valeurs affolées se mettent à produire leur contraire. »

       

Il y a alors confusion entre réel et virtuel, tout jugement devient aléatoire, non fondé, sans plus de critères pour discriminer le bien du mal. Au-delà d'un certain pessimisme, Baudrillard nous invite ainsi à réfléchir et remettre en cause nos pratiques pour renouer avec l'essentiel.

Notes et références
[1] Voir Jean Baudrillard, La société de consommation, Gallimard, 1970[2] Voir Jean Baudrillard, Le système des objets : la consommation des signes, Gallimard, 1968
[3]
 Voir Jean Baudrillard, Le crime parfait, éditions Galilée, 1995
[4] Voir Jean Baudrillard, Simulacres et simulation, Galilée, 1981


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