dimanche 9 février 2020

André Comte-Sponville Cahier de L’Herne

Référence : André Comte-Sponville, François L’Yonnet, éditions Les cahiers de l’Herne, 272 pages, janvier 2020



Être édité par est d’abord une reconnaissance, un hommage à une œuvre qui a un résonance particulière et est parvenue à une grande notoriété. Une quarantaine de contributeurs ont été choisis pour présenter la vie et l’œuvre d’André Comte-Sponville qui dit-on, a su par des idées aussi claires que son style, rendre la philosophie plus accessible au grand public, dans les principales dimensions qu’il a abordées, aussi bien la morale, la métaphysique, l’esthétique que la politique.

        
Michel Onfray & André Comte-Sponville

Il a peu à peu construit un corpus basé par la morale dans plusieurs ouvrages marquants dont sans doute le plus connu, intitulé  Petit traité des grandes vertus, paru en 1995, succès dû aussi à la volonté de vulgarisation de son auteur.

Il y défend l'idée qu'il vaut mieux parler des vertus que des vices car l'étique doit d'abord être une ouverture, une façon de s'élever dans l'introspection, passant en revue dix-huit de ces vertus qui sont indispensables à "l'honnête homme" du XXIème siècle.


          

Son intérêt tient certainement à son souci de placer la philosophie au centre des problématiques contemporaines. La philosophie est avant tout un « choix de vie », une discipline qui donne un cadre pour « mieux penser », permettent comme il dit de  « penser sa vie » et de « vivre sa pensée ».

   
Pensées sur l’art 

Il fait remarquer qu’aujourd’hui, nous sommes en quelque sorte « punis par là-même où nous n’avons pas péché car la surpopulation aboutit à une catastrophe écologique annoncée. » Même s’il est écrit dans la Bible « croissez et multipliez-vous ».

 
Pensées sur la connaissance Pensées sur l’amour  Pensées sur la liberté

Son credo se trouve sans doute dans cette pensée : « Un philosophe n’est pas là pour donner des leçons de morale, mais plutôt pour nous permettre de penser cette morale. » Il ajoute que « philosopher m’a permis de mettre ma puissance de pensée au service de ma faiblesse de vivre. »

Son goût pour la réflexion, la spéculation viendrait de cette référence remontant à sa jeunesse : « Quand j’étais jeune, je voulais être romancier. Mais ce détour par la fiction m’a semblé finalement un peu inutile. Au fond, la vie est tellement intéressante telle qu’elle est, que ce n’est pas la peine d’inventer des histoires. »
Si tant est que la littérature ne soit qu’un moyen "d’inventer des histoires".

                
Pensées sur l’athéisme                     Pensées sur l’homme

Son souci principal est de relier les œuvres des grands philosophes classiques aux réalités contemporaines. Il réfléchit à travers des thèmes classiques comme le bonheur (La plus belle histoire du bonheur), le sens de la vie (Pensées sur l’homme), la sagesse (Pensées sur la sagesse), la tolérance, l’humanisme sans dieu (Pensées sur dieu et Pensées sur l’athéisme) [1], la liberté (Pensées sur la liberté) ou encore l'art et la connaissance.

Dans son Traité d’athéologie, Michel Onfray le présente comme « un chrétien athée ». Lui se voit plutôt comme un athée qui sait cependant que l'athéisme reste une croyance, tout en étant un humaniste tenant à certaines valeurs morales et culturelles.
L’essentiel pour chacun est de rechercher la vérité de l’existence, ce qu’il nomme « L’insistance ou "insistantialisme" ». Pour cela, il faut qu’il abandonne les illusions qu’il se fait sur lui-même. C’est donc à la base un corpus matérialiste [2], aucune projection ne peut échapper aux contraintes du présent ou, pour dire les choses autrement, aucune transcendance n'échappe à l’immanence, et  aucune liberté ne peut faire l’économie du réel..

Dans la même logique, l’homme est indissolublement lié à sa condition, tenu par les principes d’identité et de raison, l’essence précède l’existence et exister vraiment dans toutes ses dimensions, c’est assumer la liberté d’être et d’agir dans le cadre de ses valeurs.

      
Essai sur Albert Camus      Devant sa maison de Coulouvray-Boisbenâtre dans la Manche
 De l'absurde à l'amour


Le dossier des cahiers de l’Herne est complété par un court texte de Comte-Sponville intitulé "L’anti utopie", reproduit ci-dessous, qu’il aurait pu sous titrer "Défense et illustration de la démocratie".

Il n'est pas impossible qu'aucune démocratie dans deux siècles n'existe plus nulle part, qu'il n'y ait plus dans le monde entier que des dictatures, des États totalitaires, militaires ou mafieux qui auraient supprimé toute liberté d'expression, toute élection, toute manifestation, toute grève, enfin, qui renierait indéfiniment par la violence, le bourrage de crâne, la terreur.

Songeons alors aux quelques démocrates qui subsisteraient clandestinement, ici ou là, qui se réuniraient peut-être parfois en secret. Lorsqu'ils penseraient au début du XXIe siècle, par exemple en France. Ils y verraient une époque merveilleuse où la presse était libre, où des débats contradictoires se multipliaient sur les chaînes d'information, où les réseaux sociaux pullulaient hors de tout contrôle ou peu s'en faut, où l'on pouvait voter contre le pouvoir en place, le renverser tous les cinq ans, manifester et faire grève pendant des semaines, se moquer du chef de l'État, appeler même à l'insurrection.

       

Cette époque qui leur paraîtrait rétrospectivement tellement enviable. L'une des plus libres que l'humanité ait jamais connue, c'est la nôtre. Cela n'empêche pas les souffrances, les difficultés et les inquiétudes, qu'elles soient écologiques ou sociales. Mais celles-ci, à l'inverse, ne doivent pas masquer la chance qui est la nôtre de vivre en paix dans une démocratie. 

Bref, ce que je veux suggérer par cette espèce d'anti-utopie, c'est que ce n'était pas mieux avant. On vivait moins bien et la parole était moins libre sous de Gaulle que sous Macron et que ça pourrait être bien pire demain ou après demain. 

Raison de plus pour veiller sur la démocratie comme sur la prunelle de nos yeux. Elle est notre bien commun et plus précieuse pour tout démocrate que ce qui nous oppose. 
Je me méfie des utopies qui font mépriser le présent. Puisse cette anti-utopie nous réconcilier avec lui et les uns avec les autres, non en supprimant les conflits qui font partie de la démocratie, mais en réduisant un peu la haine.

 
Pensées sur le temps           Pensées sur la sagesse           Pensées sur dieu

Notes et références
[1]
Voir aussi L'Esprit de l'athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, 2006

[2] Voir aussi Du tragique au matérialisme, 26 études sur Montaigne, Pascal, Spinoza, Nietzche et quelques autres

Voir aussi

* Comte-Sponville dans La Manche --
* Paul Ricœur: Présentation -- Temps et récit -- La mémoire, l'Histoire, l'oubli --
* Sarah Bakewell, Sur Montaigne - Jean Lacouture, Montaigne à cheval -
* Antoine Compagnon, Un été avec Baudelaire -- Patrick Boucheron, Un été avec Machiavel --

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<< Christian Broussas, Comte Sponville 04/02/2020 © • cjb • © >>
 

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