dimanche 9 février 2020

Stefan Zweig, Écrits politiques

Pas de défaite pour l'esprit libre.

Référence : Stefan Zweig, "Écrits politiques, Pas de défaite pour l'esprit libre", Albin Michel, traduction de Brigitte Cain-Hérudent, janvier 2020

«Ma voix va s’efforcer d’être celle des quarante ou cinquante millions de victimes dont la voix, en Europe centrale, est étouffée, étranglée. [...] Vous savez tous comment la tragédie a commencé. Ce fut quand surgit en Allemagne le national-socialisme, dont la devise fut dès le premier jour : étouffer.»

                                                         Sa maison la "kapuzinerberg" à Salzbourg

Il se veut non seulement  l'écrivain témoin de son époque, fût-elle terrible, mais aussi le porte parole de tous ceux qui supportent sans mot dire, comme ils peuvent, les affres de leur époque.

Stefan Zweig et Romain Rolland

Stefan Zweig fut un grand voyageur et un homme de culture, empreint d'humanisme, un pacifisme grand admirateur de Romain Rolland dont il publia la première biographie.Mais ses rêves d'humanisme furent brisés net par la montée du nazisme et la Seconde guerre mondiale et il dut s'exiler en Amérique latine sans cependant renoncer à lutter contre l'occupation de l'Europe par l'armée allemande.  

             
Zweig-Rolland, correspondance      R. Rolland par S. Zweig 

 
Ce livre nous donne une présentation de Stefan Zweig sur une longue période, entre 1911 et 1942, année de sa mort à travers des articles, des chroniques et des essais inédits La préface est due à Laurent Seksik, fin connaisseur de Stefan  Zweig à qui il avait il y a quelques années consacré une biographie intitulé "les dernières années de Stefan Zweig". 

          
Laurent Seksik, Biographie

Un ensemble qui donne une idée d'une actualité riche en événements qui nous fait partager le regard qu'un grand écrivain a pu porter sur son époque, dessinant un portrait politique de Stefan Zweig, qui contraste quelque peu avec l’image que la postérité a gardée de lui. 

« Il est de coutume, dit Laurent Seksik, de réduire la pensée zweigienne à un ersatz de pacifisme teinté d’humanisme bourgeois, érigeant le non-engagement en système idéologique. »


       
Stefan Zweig et son frère à Vienne vers 1900

Le pacifiste n'a pas gommé la lucidité de l'homme et il a compris dès 1933, lui le juif, ce qui l’attendait et ce qui attendait tous les juifs. Il va s'exiler et avoir pendant presque dix ans une vie d’errance. Il semblait en avoir pris son parti, se reprochant "sa lâcheté", paralysé par la répercussions que pourraient avoir ses propos. 


                                                                 Stefan Zweig et Gustav Mahler

Cette réalité, on la trouve dans les documents inédits ou confidentiels, lettres et manifestes, qui modifient largement l'image qu'on pouvait se faire de l'homme à partir de 1933. Laurent Seksik souligne le travail effectué, tous ces textes "oubliés" qu'il a rédigés jusqu’à son suicide en 1942, en exil au Brésil, à Pétropolis. Il savait que se mettre en avant, signer des pétitions ne serait guère utile, et il s'en est abstenu. Mais ça ne signifie pas non plus de résignation. Comme le note Laurent Seksik, « C’est un homme qui a lutté avec ses moyens.  »

 
     

Cependant, on peut voir une contradiction à l’époque de la Grande guerre entre son pacifisme, sa profonde amitié avec Romain Rolland et son pro germanisme. Pendant la guerre justement, il sera sous officier dans l’armée autrichienne, chargé de la propagande, défendant sa patrie et encensant l’esprit allemand.
Il est loin d’être "au-dessus de la mêlée" comme le voulait Romain Rolland.

        
Zweig : Le monde d'hier et Lettres d'Amérique


Puis son attitude change. Il ne peut que constater la situation, les villes désertes et sans âme ; il attend la paix avec impatience. Il parle alors de développer L’Internationale de l’esprit, redonner la priorité au spirituel, à l’éthique pour juguler la guerre et ses plaies.

       
Avec son frère à Vienne vers 1900

Dans un bel article intitulé Les limites de la défaite, Zweig  écrira un plaidoyer pour la paix, où il écrit que « l’homme véritable vit sa propre existence, il a en lui-même son lot, inné, de joie de vivre, sur quoi même le destin n’a pas de prise , parce que l’individu l’emporte sur son destin, en l’aimant par son amor fati… La paix intérieure n’entend pas les lamentations nostalgiques des faibles ; là où l’homme n’appartient plus à l’Etat, mais à soi-même, là passe la limite de la défaite, fût-elle la plus terrible. »

Il va désormais participer à de nombreux congrès, y prononcer des discours où il dénonce le nationalisme et propose de ranimer un esprit européen bâti sur des  valeurs communes, porter la bonne parole et faire connaître à la classe ouvrière le rôle de la Société des Nations.
 
       
Correspondance 1897-1919 et 1910-1919


Son message d'adieu 
« Avant de quitter la vie de ma propre volonté et avec ma lucidité, j'éprouve le besoin de remplir un dernier devoir : adresser de profonds remerciements au Brésil, ce merveilleux pays qui m'a procuré, ainsi qu'à mon travail, un repos si amical et si hospitalier. De jour en jour, j'ai appris à l'aimer davantage et nulle part ailleurs je n'aurais préféré édifier une nouvelle existence, maintenant que le monde de mon langage a disparu pour moi et que ma patrie spirituelle, l'Europe, s'est détruite elle-même.

          
Lettre de Stefan Zweig             Journaux 1910-1940 

Mais à soixante ans passés il faudrait avoir des forces particulières pour recommencer sa vie de fond en comble. Et les miennes sont épuisées par les longues années d'errance. Aussi, je pense qu'il vaut mieux mettre fin à temps, et la tête haute, à une existence où le travail intellectuel a toujours été la joie la plus pure et la liberté individuelle le bien suprême de ce monde.
Je salue tous mes amis. Puissent-ils voir encore l'aurore après la longue nuit ! Moi je suis trop impatient, je pars avant eux. »
Stefan Zweig, Pétropolis, 22-2-42
Le lendemain, Stefan Zweig n'était plus et sa femme Lotte l'avait suivi dans la mort.

            
                                           Coupure de journal annonçant leur décès  
Voir aussi
* Présentation de Stefan Zweig : Zweig par Dominique Bona, Fouché et Romain Rolland par Stefan Zweig et Les derniers jours de Stefan Zweig par Laurent Seksik --
* Stefan Zweig, Clarissa -- Monde d’hier. Souvenirs d’un Européen (1944)
* Stefan Zweig, Fouché --
(voir aussi Fouché par André Castelot, Fouché par Jean Tulard et Biographies comparées) --


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