dimanche 5 mars 2023

Clara Dupond-Monod, S'adapter

 Référence : Clara Dupond-Monod,S'adapter, éditions Stock, collection La Bleue, 200 pages, août 2021, Livre de poche, 144 pages, août 2022
Prix Goncourt des lycéens 2021, Prix Fémina 2021, Prix Landerneau 2021

« L'écriture console, mais je ne suis pas sûre qu'elle guérisse. »

   

C’est la naissance et la vie d'un enfant handicapé racontées par sa fratrie. C’est un beau garçon, les joues roses, les yeux dans le vague, les pieds recourbés, qui vit toujours allongé.
Dès sa naissance, cet enfant est reçu différemment par les membres de sa famille. Son arrivée va perturber les relations entre eux.  Il pose le problème de sa place dans cette famille cévenole bouleversée par son arrivée.

Les parents, tout en attentions, l’aîné qui s’y attache, se veut protecteur, une espèce de mère pour lui,  la cadette qui au contraire a tendance à le rejeter et le benjamin qui peine à trouver sa place dans ce milieu particulier.

« J’aime la colère parce qu’elle a toujours quelque chose à révéler. »

Dans ce roman qui ressemble à un conte, les enfants jouent un rôle central, l’amour de l’aîné, la révolte de la cadette qui voudrait sauver la famille, du benjamin qui voudrait réconcilier tout le monde.

Nous sommes vraiment dans un conte puisqu’ici, les murs non seulement ont des oreilles mais peuvent aussi parler, par l’intermédiaire de la voix poétique des pierres de la vieille maison cévenole qui narrent l'histoire de la famille, cet enfant si grandement handicapé, entièrement dépendant des autres et voué à une courte vie.

   

Dans une interview, elle donne quelques indications sur la naissance d’un livre qui lui tient particulièrement à cœur : « L'histoire de ce livre a une base autobiographique. J'ai eu un petit frère qui est né handicapé et qui est mort à l'âge de 10 ans. La joie de l'avoir connu a enfin supplanté le chagrin de l'avoir perdu […] Je ne suis pas du tout dans le côté événement tragique qui a marqué ma vie, qui fait que je suis en mille morceaux. Simplement, comme toutes les épreuves d’une vie, ça m’a construite et l’épreuve n’est pas une maladie honteuse. Lorsque l’on doit s’adapter à une personne inadaptée, lequel des deux est en fait le plus inadapté ? »

         

« Le monde déçoit ceux qui le voudraient meilleur. »

Son frère aîné comprit rapidement que l'ouïe était le seul sens en état de fonctionner. Pour éveiller l'enfant à la vie et à son environnement, il se força à moduler sa voix, à utiliser toutes les opportunité sensorielles pour intéresser son petit frère au monde qui l'entourait. « L'aîné racontait ce pays où les arbres poussent sur la pierre, ce pays qui se cabre et reprend ses droits chaque fois qu'un muret, un potager... étaient construits [...], exigeant par-dessus tout une humilité de l'homme. "C'est ton pays, disait-il, il faut que tu l'écoutes." »

Il se sentait inadapté, hypersensible aux bruits, réceptif à l'infralangage et se réfugie dans le concret des maths. (p 43-44) « Face à l'épreuve, il s'adaptait. » (p 46) Il avait peur de perdre un proche, « devenu pierre. » (p 53)

           
Clara Dupont-Monot et Mathias Deguelle

« On ne peut pas être aussi poreux vis-à-vis du monde sans y laisser un peu de soi. Le chaos et la raison ne font pas bon ménage.  À un moment, il faut choisir. »

La cadette s'insurgea contre les changements que provoqua l'arrivée du petit frère. Elle admirait sa mère qui, dit-elle, « ressemble aux pierres d'ici... et sait s'adapter. » (p 72) Mais c'est sa grand-mère qui était son modèle « un mélange de douceur et d'acceptation. » (p 89) Elle voulait réunifier la famille en s'adaptant (elle change de vie, p 95) et en s'organisant (bilan de ses actions, p 97) La mort de la grand-mère, qui servait à la cadette de "normalité" (p 79). fut pour elle un électrochoc.

Qu'y-a-t-il derrière le chagrin des parents, l'attachement de l'aîné, la colère de la cadette prise entre culpabilité et dégoût et la neutralité apparente du dernier ? Il y a la surface des choses (les travaux du père et du fils) et les cicatrices indélébiles du passé (p 110)



La question devient : Comment vivre APRÈS ? Entre les parents et le dernier, les rapports étaient naturels, « une tendresse qui suture les vides. » (p 111) Mais à l'école, la présence de son frère sourdait dans son comportement. (p 117) Il vivait avec son fantôme. (p 118)
La grande réconciliation entre frères se fera sous l'égide d'un brebis malade.

Sur la forme, les personnages sont anonymes (l'aîné, la sœur...) L'auteur passe parfois de l'imparfait au présent (p 25, p 46-47) découpant le récit en phrases courtes ("Il aime cet endroit"... p 26)

Ce livre dégage une puissance émotionnelle particulière sans tirer vraiment sur la ficelle de l'émotion, sans pathos. Malgré la difficulté du sujet abordé, il s'en  dégage une grande sérénité et, sans donner de leçons, nous donne un bel exemple d'humanité.

Voir aussi
Document utilisé pour la rédaction de l’articleBoris Cyrulnik, Le laboureur et les mangeurs de vent--

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<< Christian Broussas •S'adapter © CJB  ° 23/01/2023  >>
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