Affichage des articles dont le libellé est Auteures. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Auteures. Afficher tous les articles

samedi 23 novembre 2024

Duras, Yan Andréa Steiner

Référence : Marguerite Duras, Yann Andréa Steiner, éditions P.O.L., décembre 1992 et Gallimard/Folio, 2001

« Gris comme l'intelligence immanente de la matière, de la vie. » (p 51)

Le roman très autobiographique est basé sur la rencontre entre Marguerite Duras et Yann Andréa à Trouville dans les années 80, « C’était l’été 80. L’été du vent et de la pluie. L’été de Gdansk. »

C'est par un été particulier où une romancière "âgée et isolée", rencontre un jeune homme seul lui aussi. Avec en toile de fond, une vie plus tumultueuse qui sera la leur par la suite.

On y retrouve ses thèmes préférés : le sentiment amoureux, l'ambivalence de l'écriture (fragile et forte), l'enfance, l'alcool et la solitude. Elle y évoque aussi un roman avorté intitulé "Théodora Kats" et la rencontre entre une monitrice de colonie et un jeune, rappelant leur couple.

   

Ce roman se présente aussi comme une réécriture de "L'été 80" où l'on retrouve le jeune et Jeanne sa monitrice. Yann Andréa confie également dans "Cet amour-là" qu'elle a repris des lettres qu'il lui a écrites avant leur première rencontre.


« La mémoire vous en vient parfois dans le plein soleil de la plage à travers la transparence des rouleaux de vagues. » ( p 55)

Cette histoire commence par sa rencontre avec Yann Andréa, sont dernier amant qui l'a accompagnée durant 16 ans, jusqu'à sa mort. Sa particularité réside dans le fait qu'ils ont 38 ans d'écart et qu'il est homosexuel. Le livre s'appuie sur des textes qui datent de l'époque de leur rencontre, notamment ceux de "L'été 80" qui est un recueil des chroniques quotidiennes que Marguerite Duras a publiées durant cet été là dans le journal Libération.

On y trouve cet enfant aux yeux gris de la colonie de vacances, la plage de Trouville, la monitrice et ses histoires... où on est aussi projeté dans la guerre et la déportation, des juifs en particulier, et la déportation de son mari
Robert Antelme qui fait qu'elle y est vraiment sensible.
Un livre composé d'histoires imbriquées qui marquent bien la signature de Marguerite Duras
.

« Une sorte de folie de la normalité s'était peut-être emparée d'elle, de son esprit, de son corps. » (p 48)

Yann Andréa et Marguerite

Dans ce roman, Marguerite Duras varie les styles,  parlé dans les dialogues avec Yann Andréa, la technique de la répétition, parfois un style plus littéraire comme
« Dans les yeux de l'enfant, il y a de nouveau la légère crainte de la vie.» (p 63) L'écriture, la grande affaire pour elle, c'est comme une focalisation, presque une maladie. [1]

Elle définit l'écriture à l'aune de sa sensibilité : « Qu'écrire pour moi, c'était comme pleurer. Qu'il n'y avait pas de livres joyeux sans indécence. Que le deuil devait se porter comme s'il était à lui seul une civilisation, celle de toutes les mémoires de la mort décrétée par les hommes... »

Notes et références
[1]
Elle écrit ici
« Vous me disiez : "Qu’est-ce que vous croyez faire ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Être à écrire tout le temps, toute la journée ? Vous serez abandonnée… intenable à vivre". » (p 73)

Voir aussi
Document utilisé pour la rédaction de l’article  Duras entre Trouville et Neauphle -- Entretiens --
Document utilisé pour la rédaction de l’article Moderato cantabile --

----------------------------------------------------------------------------------------------
<< Christian Broussas   Yan Andréa Steiner © CJB  °°° 20/06/2022  >>
----------------------------------------------------------------------------------------------

vendredi 31 mai 2024

Anne Stuart, La sage-femme d'Auschwitz

Référence : Anne Stuart, La sage-femme d'Auschwitz, éditions City, traduction Maryline Beury, 304 pages, mars 2024

« 
L’amour ne peut pas être anéanti par les fusils, les chars et les idéologies abjectes. L’amour ne peut pas mourir à cause de la distance ou de l’absence, à cause de la faim ou du froid, des coups ou des humiliations… »

Une histoire que les scénaristes auraient eu du mal à imaginer. Comme quoi, comme l'on dit, la réalité dépasse la fiction... surtout pendant la guerre où tout est possible, même le pire comme va le démontrer la vie d'Ana

Lorsqu’elle arrive à Auschwitz avec son amie infirmière Ester, le camp d'où on ne revient pas, elle ne se fait guère d'illusions sur son sort. Beaucoup ne le savent pas encore ou espèrent vaguement qu'un miracle surviendra. Pour Ana, le miracle viendra de son métier : elle est sage-femme et pour les nazis, c'est un vrai sésame, le fait d'être indispensable, d'avoir un prix, contrairement à tous ces pauvres sacrifiées à la folie nazie.

Elle fait donc ce qu'on lui demande : donner naissance à ces enfants qui normalement ne reverront jamais leur mère. Dès leur naissance, les nouveau-nés sont enlevés à leur mère pour être à des familles allemandes. Une véritable industrie, un crime d'état légale qui semble n'affecter aucun des protagonistes.

Auschwitz-Birkenau 1944, femmes enceintes

Mais Ana supporte de plus en plus difficilement le rôle qu'on lui fait jouer. Un jour, elle pense à une solution, sa façon à elle de refuser le système auquel elle est elle-même soumise.

Secrètement bien sûr, puisqu'elle risque sa vie à tout moment, Ana tatoue chaque nouveau-né du numéro de déportée que porte sa mère. Peut-être se dit-elle que ce procédé permettra à certains de retrouver leur mère, dans un futur incertain. Elle pense sans doute que, même aléatoire, son geste se veut comme une petite lumière d'espoir dans cet univers noir et fermé.

Pendant sa déportation, Ana va mettre au monde quelque 3000 bébés dans des conditions inimaginables qui vous prennent aux tripes et qui expliquent que beaucoup ne survivront pas à ces conditions, avec des mères tellement dénutries qu'elle ne pourront de toute façon pas allaiter leur enfant.

Un beau livre pas évident à lire tant les événements décrits sont terribles, incroyables, que ce soit les conditions de vie dans le camp, le froid saisissant qui règne partout, les rats omniprésents, les maladies comme le choléra qui déciment les prisonnières, les accouchements dans des conditions inimaginables. Sans parler des derniers temps, celui de l'avancée des Alliés et le sauve-qui-peut final synonyme de tous les excès.

Stanislawa Leszczynska et Auschwitz-Birkenau

Comme elle l’écrit : « Le monde est un endroit terrifiant. Il l’est devenu le jour où les nazis ont commencé à nous piétiner […] Ils nous ont volé notre passé, ils dominent encore notre présent, et qui sait dans quelle mesure ils n’ont pas déjà dévasté notre avenir… »

La "vraie" Ana, qui s'appelait en réalité
Stanislawa Leszczynska, béatifiée par l'église catholique dans les années 1990, a laissé un témoignage de sa vie et de son activité au camp d'Auschwitz dans un livre intitulé Le Rapport d’une sage-femme d’Auschwitz.

     Anna Stuart Tome II

Complément : La sage-femme de Berlin
Anne Stuart a écrit une suite intitulée La sage-femme de Berlin, basée sur la figure d'Ester, l'amie d'Ana, qui vit avec son mari et ses enfants à Berlin-Est à l'époque de la la Guerre froide.

Elle n'a qu'un désir : retrouver sa fille née à Auschwitz en 1943 et confiée à un couple nazi. Elle pense y parvenir quand en 1961 se dresse un immense mur qui coupe la ville en deux, brisant ses espoirs de retrouvailles.

Voir aussi
* Matricule 41335 -- Primo Levi, Si c'est un homme --
*
Stanislawa Leszczynska et Mengele -- La goûteuse d'Hitler --
*
- Irena Sandler - Une femme à Berlin -

--------------------------------------------------------------------------------
<<
•  Ch.Broussas • Ana Stuart Auschwitz • 15/03/2024 >>
--------------------------------------------------------------------------------

dimanche 26 mai 2024

Camille Urso la violoniste

Journée de la femme 2024
Camille Urso ou comment accorder son violon ?


«
Il y a tellement d’excellents talents parmi les femmes (...) qui n’ont besoin que d’une opportunité pour être entendues. » Camille Urso

    Portrait de Camille Urso, 1883

Camille caresse un rêve depuis toujours : se présenter à l'examen d'entrée du Conservatoire. Étrange idée, me direz-vous, à une époque où ça ne serait venu à l'esprit de personne qu'une femme puisse investir ce temple de la musique réservé aux hommes (cela va de soi).

Monsieur Urso, exception notoire, va tout faire pour aider sa fille à réaliser ses aspirations et se démène pour atteindre cet objectif. De guerre lasse, l'administrateur de l'établissement accepte finalement.
 
 

   Camille Urso à 11 ans en 1853

Au printemps 1849, Camille Urso et son père arrivent à Paris. Mais, même pour une virtuose du violon reconnue chez elle à Nantes, faire entrer une gamine de huit ans au Conservatoire de musique n'est pas gagné. Théoriquement, l'établissement est bien mixte... mais dans la réalité...

En ces temps-là, être musicien est affaire d'hommes. Pour les femmes, ce ne peut être (évidemment) qu'une activité d'agrément. Et même, certains instruments sont chasse gardée des hommes, comme la flûte ou le violon qui sont l'apanage des hommes car il faut gonfler les joues ou prendre des postures jugées incongrues pour une femme.

C’est dans ces conditions que Camille Urso, après l'accord du bout des lèvres du directeur, le compositeur Daniel Esprit Aubert, se présente devant un jury masculin. Et celui-ci ne lui fait pas de cadeau en choisissant une partition redoutée pour sa difficulté :  le 4e Concerto de Pierre Rode. Mais elle berne tout le monde en faisant une prestation époustouflante. Le jury est conquis et elle devint l'élève du violoniste Joseph Massart puis du compositeur Jules Massenet.

Ancien Conservatoire national de Paris; 1843

Dès lors, elle connaîtra une longue carrière, en particulier aux États-Unis où elle deviendra une star. Elle participera aussi à la défense des droits des musiciennes en aidant celles qui rencontrent le plus de contraintes.
Elle milite pour que les femmes soient engagées plus facilement dans les orchestres, quel que soit l'instrument pratiqué.

En 1862, Camille Urso repartit pour les États-Unis où elle épousa Frederic Luere, directeur du Redpath Lyceum Bureau de New York. Elle participa à d'autres tournées à travers le pays à la tête de sa compagnie puis en Australie et en Afrique de Sud.

Voir également
* Fêtes et commémo --

------------------------------------------------------------------------------------------
<< Christian Broussas • Camille Urso © CJB • 24/02/ 2024  >>
------------------------------------------------------------------------------------------

mercredi 8 mai 2024

JM Laclavetine Une amie de la famille

 Histoire d'une omerta familiale et des conséquences, des dégâts qu'elle peut causer. Les non-dits finissent souvent par faire surface et ont des conséquences imprévisibles qui dépassent les difficultés liées à l'énonciation d'une vérité qui n'est pas encore un secret.

En quelques phrases, l'auteur nous présente ainsi le drame que sa famille a vécu :
« Le 1er novembre 1968, alors que nous nous promenions sur les rochers qui surplombent la Chambre d'Amour à Biarritz, ma
sœur aînée a été emportée par une vague. Elle avait vingt ans, moi quinze. Il aura fallu un demi-siècle pour que je parvienne à évoquer ce jour, et interroger le prodigieux silence qui a dès lors enseveli notre famille. » 

Lui l'écrivain va tenter de la retrouver malgré tout le temps écoulé. Peu à peu, après bien des hésitations, il va parcourir les mémoires et les traces de sa sœur Annie pour redessiner son profils et reconstituer son parcours.
parti à la recherche d'Annie. Il va reprendre contact avec sa meilleure amie et avec son petit ami de l'époque qui, lui, a réussi à échapper à la noyade.

Ainsi, elle va en quelque sorte renaître, réapparaître au fur et à mesure que le puzzle va s'étoffer.
 
"L'amie de la famille", c'est ainsi qu'on la nommer pudiquement quand un étranger ou un enfant de la famille pointait du doigt sur une photo celle qu'on ne connaissait pas, laissant planer l'ombre d'une gène, un agacement douloureux.
Après « Une amie de la famille », Jean-Marie Laclavetine poursuit dans « La Vie des morts » son dialogue avec sa sœur disparue il y a cinquante ans.

--------------------------------------------------------------------------------
<<
•  Ch.Broussas • Amie de la famille • 23/04/2024 >>
--------------------------------------------------------------------------------

lundi 15 avril 2024

Cécile Coulon , La Langue des choses cachées

 

Référence : Cécile Coulon , La Langue des choses cachées, éditions de L'Iconoclaste,  janvier 2024

Un récit sur les secrets enfouis et la violence humaine

"Car c'est ainsi que les hommes naissent, vivent et disparaissent, en prenant avec les cieux de funestes engagements."

Cécile Coulon, écrivaine et poétesse,trace tranquillement son chemin dans Les lettres françaisesElle a d'ores et déjà plusieurs fleurons à son actif : lauréate du prix littéraire Le Monde en 2019 pour Une bête au paradis, du prix Apollinaire en 2018 pour son recueil de poèmes Les Ronces et du prix des Libraires en 2017 pour Trois saisons d'orage, elle vient de faire paraître un roman intitulé "La Langue des choses cachées".

Un livre particulièrement dur, parce que les personnages le sont aussi. On touche ici aux mystères de la nature humaine, l’importance sinon la prééminence de l’irrationnel. Une histoire soutenue par une langue aérienne, simple, sa clarté qui contraste avec la noirceur de la narration.

   

Un soir, un jeune guérisseur qui possède un mystérieux pouvoir, se rend au chevet d'un enfant dans un village isolé du Fond du Puits, où sa mère était jadis venue comme lui maintenant. Mais il va être confronté à des phénomènes dont aucun des protagonistes ne se remettra vraiment.

Dans ce monde clos, rien n’est dit, tout est suggéré. Des murmures et des chuchotis qui débouchent parfois sur des blessures qui ne guérissent pas et se transmettent de génération en génération. Des âmes en clair-obscur où dominent les teintes sombres.  D’emblée, on est projetés dans une atmosphère lourde où on sent bien que tout est possible. Surtout le pire.

  

Mais au fait, que signifie ce titre, cette langue des choses cachées, que seuls le guérisseur et sa vieille mère savent parler ? La réponse de Cécile Coulon dans l'émission La Grande librairie : C'est celle qu'on apprend lorsqu'on  "décide de se taire et qu'on essaye de comprendre ce qui se cache dans les conversations, ce qui se cache dans les maisons, dans les corps et sous les corps."

On se trouve plongé dans une espèce de conte, hors du temps, dans un huit-clos angoissant, avec des personnages sans identité, juste le fils, la mère, l'enfant, la prêtre, l'homme aux épaules rouges, la femme aux yeux verts. Un univers plein de non-dits, un interdit que la mère a laissé... passant le relais au fils... Eux comprennent ce qui est caché, les silences et les tabous. « Ils portent en eux des décennies de douleur et de joie, ils connaissent le feu... et maîtrisent les flammes. »

Cécile Coulon à Eyzahut (26) en 2018

Si la fin ne laisse guère de doute, reste à explorer les ressorts de la situation et les sentiments des personnages faits de ressentiments cuis et recuits au fils des années. Chacun porte en lui cet héritage avec lequel il doit vivre et composer.

Voir aussi
* Cécile Coulon, Biographie --
Seule en sa demeure --

------------------------------------------------------------------------
<< Christian Broussas  •  Cécile Coulon 2   ©  CJB   ° 01/03/2024  >>
------------------------------------------------------------------------