lundi 16 décembre 2024

Michel Houellebecq, Soumission

 Référence : Michel Houellebecq, Soumission, éditions Gallimard, 2015

« Je ne défends pas de thèses, je mets des personnages dans une situation donnée. »
 

Une fable politique et morale à la Houellebecq. Ça commence un peu comme d'habitude chez lui : France contemporaine, un prof train-train quotidien qui s'ennuie quelque peu dans une vie calme et sans relief... Une vie protégée.
Il est un peu à l'image de sa référence l'écrivain Huysmans et du héros de son roman "À rebours", à la fois esthète et misanthrope, fuyant le réel dans l'art, plutôt pessimiste.

Une existence sans drame qui risque de basculer parce qu'un type décide de zigouiller un archiduc autrichien ou qu'un autre va mettre les pieds dans le plat dans le couloir de Dantzig.

« L'état de mes connaissances sur le monde ne me permet pas de conclure que la création de l'univers est le fruit du hasard. »

Ici, la situation dans laquelle ses personnages vont patauger, c'est une élection de notre bon gros système démocratique qui va servir de détonateur et mettre le feu aux poudres. En apparence, pas de vraie révolution, juste un vol de mouche qui énerve.

Dans ce roman de politique-fiction, on assiste lors du second tour de l'élection présidentielle à un duel entre le Front national et la Fraternité musulmane dont le leader Mohammed Ben Abbes finit par être élu.
Une anticipation d'autant plus curieuse que le nouvel élu choisit François Bayrou comme Premier ministre.

« Pour moi, les écrivains rendent compte du monde. D'ailleurs, aujourd'hui, il n'y a plus que nous pour le faire. »

Soumission [1], c'est quand un peuple n'est plus assez dynamique, motivé, pour assurer sa propre survie, rester maître de son avenir. C'est en quelque sorte l'histoire de "l'extension du domaine de la lutte", celle de la lutte millénaire entre la volonté d'exercer sa liberté et l'abandon face à une force jugée supérieure. Une extension entre soumis qui acceptent comme une fatalité Vichy et nazisme et résistants qui défendent bec et ongles leur liberté.

Déjà dans La carte et le territoire, Houellebecq décrivait un pays renonçant à tout rôle international pour se cantonner à offrir son patrimoine culturel aux touristes. Cette fois, il va plus loin. Quand les élites deviennent impuissantes, le peuple baisse les bras et se laisse séduire par les belles promesses d'un pouvoir qui sait manier le bâton et la carotte. François son héros, ne dit-il pas à la fin du roman : « Je n'aurais rien à regretter.  »

Reste dans cette dystopie qui reflète bien des angoisses collectives, le regard de cet empêcheur de tourner en rond sur une société qui tourne à vide, qu'il analyse avec un mélange d'humour et de fatalisme.

Reste aussi sa réflexion sur l'évolution des sociétés, par exemple son séjour à Rocamadour où il parle de la mentalité de l'homme médiéval, son rapport au collectif et à Dieu, comparée à celle de l'homme de la Renaissance. Sa croyance est austère comme la vierge noire à l'enfant, leur attitude hiératique qui tranche avec les Christs torturés de la Renaissance. [2] (p 166-167) 

     
Matthias Grünewald  Crucifixion  
Jérôme Bosch Le jardin des délices

En complément - Interview : le style et le fond [3]

J’aime énormément Dostoïevski, qui écrit des romans à thèse ratés. Son objectif est d’alerter la Russie sur le danger révolutionnaire, de sauver l’orthodoxie et le tsar. Sauf qu’il est trop bon écrivain pour réussir : il ne peut pas s’empêcher de mettre en scène des révolutionnaires bouleversants dans leur naïveté (le pauvre Virguinski, bafoué par sa femme “libre”, qui ne peut pas renoncer à ses “lumineux espoirs”) et représentants de l’ordre tantôt odieux, tantôt ridicules. Le roman à thèse s’effondre.

Joseph Conrad, lui, procède très différemment : il se tient à l’écart de toute cette agitation humaine qu’il méprise ; il traite ses personnages comme des cafards. Dostoïevski écrit n’importe comment, c’est à peine s’il se relit parfois ; Conrad consacre des efforts énormes, inhumains parfois, à n’écrire que des phrases absolument belles. C’est important, très important, mais ce n’est pas essentiel : l’essentiel est qu’il y ait quelqu’un, et dans les deux cas, il y a quelqu’un.

Je veux être lu comme j’ai lu les auteurs que j’aime, c’est-à-dire comme quelqu’un qui, à un moment donné, a écrit des livres sur l’époque dans laquelle il vivait. Je n’ai aucune ambition de changer le cours des choses, mais d’en rendre compte. Le retour du religieux existe, c’est un phénomène massif en ce moment. Je ne sais absolument pas pourquoi. Mais il se produit. Je ressens l’époque et, pour écrire, je me base sur la croyance que je perçois les choses mieux que n’importe qui.


Notes et référence
[1]
, Le titre du roman "Soumission" se réfère directement à l'Islam, sa traduction française étant "soumission".
[2] Houellebecq cite Matthias Grünewald, une époque "pathétique, réaliste et moral" puis Jérôme Bosch et la séparation entre élus et damnés.
[3] cf Les inrockuptibles --

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<< Christian Broussas • Soumission  © CJB  ° 16/12/2024  >>
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