samedi 4 octobre 2025

Le clown Zapata

- Maman, maman, je l'ai revu le clown d'hier, il est venu me voir cette nuit dans ma chambre. Il est vraiment épatant ce Zapata !

- Je vois qu'il t'a fait grosse impression. Mais, ne dit-on pas que le cirque est une grande famille : il n'y a pas que Zapata dans le spectacle.
- Oh non, j'aime aussi l'ambiance, la bonne humeur et même la peur pour les trapézistes qui virevoltent en toute liberté.

Le cirque, c'est formidable n'est-ce pas.
- Oh oui, c'était vraiment super ! Dis, on y retournera ?
- Tu sais, il ne reviendra pas avant  l'année prochaine. Il te faudra prendre ton mal en patience.
- Oh la, la, il faut toujours attendre. 
- Ah, ma chère enfant, c'est ainsi, on n'y peut rien; et puis, Zapata n'a pas que toi à s'occuper, il doit aller faire la joie d'autres petites filles, leur offrir l'univers de son imagination.  
- Alors, il faudra encore attendre un an, comme pour le Père Noël !

- Je vois que tu l'aimes bien ce fameux Zapata avec son habit multicolore, sa bouille réjouie qui t'a tant fait rire.
- Oh oui, je l'aime beaucoup, c'est mon ami.
- Tu as aussi de bons amis comme ton petit voisin ou des copains de ta classe.
- Ce n'est pas pareil. Zapata lui au moins ne me tire pas les cheveux. Je voudrais bien qu'il me serre dans ses bras et lui raconter mes journées, tout ce que je me raconte à moi-même. Les garçons n'écoutent jamais ce qu'on leur dit et parlent de choses qui ne m'intéressent pas. 
A ces paroles, sa mère sourit discrètement; dans les propos de sa fille, elle se retrouvait, elle se voyait au même âge.

- Dis maman, tu crois que le Père Noël m'en apportera un, juste pour moi, un gentil ami clown avec, comment a-t-il dit... ah oui, avec son "habit de lumière". J'adore la lumière et les couleurs.
- Oh ma chérie, tu pourras toujours lui en commander un, au Père Noël mais n'oublie pas qu'il te faudra être très sage pour voir ton vœu exaucé.
- Oh la la, il faut toujours être comme ceci, comme cela, c'est fatigant à la fin !
- Arrête de faire la moue, ça n'arrange rien. "On n'a pas rien sans rien" disait ta grand-mère.
- En tout cas, mamie elle est plus gentille que toi. Elle au moins elle me comprend. Bon, puisque c'est comme ça, je demanderai à papa.
- Mamie te gâte trop mais n'y compte pas trop quand même.
- Je voudrais aussi les amoureux, ceux qui étaient suspendus dans le ciel et qui faisaient des pirouettes et qui se prenaient par la main… Ils étaient si mignons.
- Commence donc par fréquenter la salle de sport avant de rêver à des exploits sportifs.
- Mais moi aussi, je voudrais m'envoler comme un oiseau et planer au-dessus de la maison.
- On ne dit pas "je veux" ou "je voudrais"; tout ne tombe pas du ciel comme tes amoureux.  
Décidément se dit-elle, ma mère est une vraie rabat-joie !

Caroline ne releva pas. Elle continua sur sa lancée comme si de rien n'était.

- Tu sais, ils ressemblent aux amoureux qui volent dans les airs ou ceux que tu m'avais montrés un jour sur des photos ou des cartes postales. Tu t'en souviens peut-être ? J'ai gardé la plus belle dans ma table de nuit. Je la regarde parfois avant de m'endormir et je ferme les yeux en espérant moi aussi m'envoler et planer dans le ciel. C'est marrant de se sentir voguer dans les airs, planer en silence comme un oiseau. Ah, ce que j'aurais voulu être un oiseau !

- Sais-tu si ce bel oiseau ne rêve pas d'être une jolie petite fille comme toi ? Peut-être qu'il a des rêves lui aussi, qu'il voudrait bien être autre chose qu'il n'est et par un coup de baguette magique, échapper à sa condition d'oiseau. Pourquoi n'aurait-il pas lui aussi des rêves d'impossible ?

Caroline faisait une moue dubitative en regardant sa mère d'un air réprobateur.
- Il faut toujours que tu compliques tout, répondit-elle en haussant les épaules. Moi, je voulais juste aller m'amuser avec Zapata et les amoureux qui flottent dans l'air et jouent avec les nuages. Ce serait marrant de jouer à cache-cache autour des nuages, de transformer en pluie les gros nuages noires, de les percer avec une épingle ! Ils se dégonfleraient comme des baudruches, douchant les prairies toutes sèches.

Caroline mimait la scène en riant de toutes ses dents.
- Ce serait vraiment écolo n'est-ce pas ? Pfuit, pfuit... tous les nuages réduits à l'état de chiffes molles.. pfuit, pfuit...ah, ah, ah... J'irai chercher Zapata pour qu'il les regonfle avec une pompe à vélo ("un compresseur" rectifia sa mère), non une pompe à mains c'est beaucoup plus écolo, pour que les nuages puissent aller gambader ailleurs.
Et moi, pendant ce temps, j'irai jouer avec les amoureux qui flottent au-dessus de ta tête
. De là-haut, je te verrai toute petite, encore plus petite que moi ? Ah, ah, ah... Ce serait vraiment drôle.
- Oh, vraiment très drôle, effectivement. Quand tu seras redescendue sur terre, tu iras faire tes devoirs.
- Oh la, la, ça recommence... Tu n'es vraiment pas marrante ! La maman de Delphine est quand même moins pénible que toi. 
- Veux-tu qu'on change ? Tiens, je te fais une proposition : On intervertit les rôles, nous on accueille Delphine et toi tu vas chez eux. Ça, ce serait vraiment drôle.
Caroline fit de nouveau la moue, butée, muette, ce qui pour elle tenait de l'exploit.
-  Tu es vraiment méchante avec moi, et de toute façon, papa ne voudra pas. Et puis d'abord, j'emmènerai avec moi toutes mes poupées. Voilà !

Cette fois, la pique avait fait mouche. Elle se garda bien d'insister. Sa mère se demanda alors à qui sa fille faisait allusion avec cette histoire d'amoureux.
"Ah oui, j'y suis", se dit-elle, ce sont les amoureux de Peynet, les photos de l'exposition et le jeu de photos que je lui ai achetées.

- Je suppose que tu fais allusion aux amoureux de Peynet, qu'on était allés voir à l'exposition consacrée aux images au fil du temps.
- Oui bien sûr et les jeunes mariés qui s'envolent avec plein d'animaux et une grosse tour bleue et le bonhomme qui fait l'oiseau et voudrait tourner autour du soleil, que la maîtresse nous a montré le mois dernier.
- Oui, on a vu d'autres amoureux aussi à l'exposition. Mais ils sont différents : ceux-là s'appellent les amoureux de la Tour Eiffel.
- Oh, la, la, tu vois que tu compliques tout, pourtant, c'est simple, ce sont tous des amoureux. 
- Si tu veux...
- Delphine aussi est allée  voir l'exposition avec ses parents et la maîtresse nous a demandé de raconter ce qu'on avait vu. 
- Et tu ne n'en parlais pas. Ça me paraît une idée intéressante. Raconte-moi.
- D'abord on leur a dit que ça nous avait beaucoup plu et qu'elles pouvaient encore y aller jusqu'à la fin du mois je crois.
- La maîtresse a dû être surprise aussi par ton imagination débordante.

- Pas du tout, répondit-elle par une moue dont elle avait le secret. (Mademoiselle était un tantinet boudeuse mais surtout motus et bouche cousue, vous la fâcheriez), j'ai surtout parlé de toutes ces de belles choses sans faire appel à mon imagination, comme tu dis.
- Ton amie Delphine a-t-elle autant d'imagination que toi ?
- En tout cas, toute la classe était ravie et la maîtresse nous a félicitées. Nous étions les championnes du jour !

Caroline aimait bien se raconter des histoires, inventer toutes sortes de détails, les enjoliver et pour elle, rêve et réalité s'entremêlaient pour former un écheveau qui transfigurait son quotidien. Elle s'endormait souvent en rêvant à toutes ses belles histoires qui prolongeaient le merveilleux de son imaginaire, s'identifiant à la belle amoureuse de Peynet... ou à une autre selon son humeur.

- Dis-moi ma fille, d'où te viens ce goût pour le cirque et ce fameux Zapata ?
- Le cirque, c'est comme le théâtre, c'est vivant. Zapata, il est en face de moi, il est même venu s'asseoir à côté de moi, sur le banc. Et je trouve qu'il n'existe pas de spectacle plus émouvant. C'est pour ça que je pense souvent à Zapata mon préféré, qui fait encore plus de bêtises que moi.
- C'est sans doute pour ça que tu l'aimes. Enfin, comme on dit, faute avouée est à moitié pardonnée.

- Maman, maman, vient vite voir dans le jardin !
Elle paraissait tout affolée et sur le moment, sa mère crut qu'elle s'était blessée. 
- Regarde, regarde, le petit oiseau est blessé à une patte. Il peut à peine marcher.
- C'est une mésange bleue. Sans doute s'est-elle pris la patte dans le grillage, peut-être apeurée par un chat.
- Les chats sont vraiment méchants de s'attaquer à de petits êtres sans défense. 
- Mais non, c'est leur instinct. Que veux-tu, c'est la vie.
- Je vais aller chercher de la paille pour lui confectionner un lit douillet. Que pourrait-on lui donner à manger ?
- Tu pourrais lui couper de minuscules bouts de pommes, quelques miettes trempées dans du lait et cet après-midi nous irons chez l'oiseleur acheter des sachets de  graines.
Ce fut une fête quand, quelques jours plus tard, sa mésange, guérie, put de nouveau s'envoler.
- Voilà, elle est partie, elle retourne retrouver ses copines et sa famille. J'espère qu'elle se souviendra et reviendra me voir.
Caroline versa quand même sa petite larme et sa mère pour la consoler et lui changer les idées, ouvrit un livre sur les passereaux qui présentait, à travers de belles photos, différents sortes de mésanges.
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- Tu sais, mes copines aussi, elles adorent Zapata. L'autre jour pendant la récréation, je leur ai raconté les malheurs de Zapata avec le petit singe qui l'accompagne et qui lui cause bien des ennuis : il lui grimpe sur la tête et lui fait un shampoing, fait semblant de lui tirer son nez rouge. Il n'arrive jamais à s'en débarrasser. Il revient toujours l'embêter, le chatouille, tire sur ses vêtements, essaie de le faire tomber, et nous sur notre banc, on criait : "attention Zapata, il est derrière toi..." et  à un moment, Zapata est venu se réfugier sur notre banc où on a réussi à chasser l'intrus. 
- Comme quoi l'union fait la force.

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- J'aimerais bien qu'on retourne au grand parc comme l'autre fois, jouer avec les chèvres naines, revoir l'espace aquatique et les animaux qui viennent de partout, les manchots du cap, les otaries de Californie, les tortues de Floride...
- Oh, je vois que tu as retenu beaucoup de choses, en fait les animaux, c'est vraiment ton univers.
- Ho oui, je voudrais surtout revoir ceux qui sont marrants, les makis vari avec leur crinière blanche, les makis cata avec leur longue queue annelée qui s'enroule comme une écharpe ou les pandas roux si mignons avec leur bonne bouille.
- Dis maman, tu me promets qu'on y retournera au parc. Dimanche par exemple, qu'en dis-tu ?
- Décidément, tu ne lâches rien ! 

Le soir, elle attendit son père avec impatience et sitôt qu'il eut franchi la porte de la maison, elle l'interpela :
- Papa, papa, s'écria Caroline, maman a dit que dimanche on retournerait au parc voir les animaux.
- S'il fait assez beau, précisa sa mère.  
Elle se retint d’ajouter : « Et si tu as fini tes devoirs. »


Voir également
* Circé et le loup --
* Le sapin de Noël 1 -- Le sapin de Noël 2 --
*Marie-Noël et les flottins --
* De toutes les couleurs -- Les ombres du sapin --
* Le Père Noël et ses rennes --

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<< Christian Broussas - Le clown Zapata -  © CJB  20/09/2025 >>
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