Philip Roth, Les Faits, Autobiographie d'un romancier
Philip Roth. New York. 2010
Philip Roth, Les Faits, Autobiographie d'un romancier , Traduction de l'Anglais par Michel Waldberg, éditions Gallimard, 1988
Philip Roth nous propose avec cette autobiographie un tête-à-tête déroutant avec son héros favori, manière originale de faire un bilan et de se confronter à son travail d'écrivain à travers la relation complexe entre la fiction et le réel.
Parvenu à l’âge de 80 ans, Philip Roth a pris une rare décision : désormais, il n’écrirait plus. Irrévocable. Une mutilation pour un écrivain. Dans Les Faits, récit autobiographique paru en 1988, il s’adresse à son héros préféré Nathan Zuckerman, qui, au fil d’une dizaine de romans, l’a certainement beaucoup hanté.[1]
Zuckerman pense-t-il que lui, l’écrivain connu et reconnu, doit vraiment donner en pâture des pans de sa vie, ce travail a-t-il une quelconque utilité, n’est-il pas seulement la conséquence de la dépression qu’il a connue ? Il n’avait jamais écrit sans ce déclic, prélude à l’expression, « sans que mon imagination ait été enflammée par quelqu’un comme toi, Portnoy, [2] Tarnopol [3] ou Kepesh… » [4]
Zuckerman, subtile, cabot comme pas un et jaloux, « tu vaux beaucoup mieux lorsque tu écris sur moi que lorsque tu rapportes ta propre vie avec "exactitude"… » lui déconseille fortement toute publication en lui donnant l’absolution. Selon lui, Philip Roth
serait alors, contrairement à son habitude dans ses romans, trop
gentil évitant de faire de la peine à ceux qu’il connaît bien, flattant
sans vergogne son égo en lui confiant qu’il « crée un monde imaginaire infiniment plus excitant que le monde dont il procède… »
Dans les rues de New-York
En fait, c’est une façon de dire que l’autobiographie n’est pas plus réelle que la fiction qu’imagine le romancier, différente de toute façon d’une réalité évanescente et complexe à saisir. [5]
Au-delà de la succession événementielle des petits faits de la vie, elle n’apprend pas grand-chose sur la genèse de ses personnages, sur ce qui fait que tel personnage ou telle situation naisse et prenne corps par les mots et les images qu’ils suscitent. Ici en tout cas, dans le combat de mots entre Nathan Zuckerman et son créateur, c’est ce dernier qui aura le dernier mot, celui qui a le pouvoir de changer le parcours de sa créature, ou même son identité comme un manipulateur, un apprenti sorcier.
Le problème de l’autobiographie est que finalement, elle n’apprend
rien de vraiment fondamental à ses lecteurs sur les arcanes de la
création qui s’analyse en fin de compte comme une osmose intime entre un
écrivain et ses personnages confrontés à une situation donnée.
Mais peut-on vraiment se fier à un écrivain dont l’imaginaire est par définition hypertrophié, quelle part a la vérité dans ce fouillis d’événements qu’est une existence dont même une biographie en plusieurs volumes ne peut rendre compte ?
Philip Roth et l'ombre de Kafka
Philip Roth et Portnoy
De ses débuts d’écrivains, de ses influences, il écrivait, à propos de Portnoy et son complexe : [2]
« C'était un livre dont le propos n'était pas tant de me "libérer" de ma judéité ou de ma famille (ce que beaucoup de lecteurs croyaient, convaincus par le déballage de Portnoy's Complaint, que l'auteur devait être en mauvais termes avec l'une ou l'autre) que de me libérer de modèles littéraires d'apprenti, particulièrement de la redoutable autorité universitaire de Henry James, dont le Portrait of a Lady avait été virtuellement un guide au moment des premiers jets de Letting Go, te de l'exemple de Flaubert, dont la distante ironie à l'endroit des désillusions, désastreuses d'une provinciale m'avait conduit à feuilleter obsessionnellement les pages de Madame Bovary pendant les années où je cherchais le perchoir d'où observer les gens dans When She was good. »
« C'était un livre dont le propos n'était pas tant de me "libérer" de ma judéité ou de ma famille (ce que beaucoup de lecteurs croyaient, convaincus par le déballage de Portnoy's Complaint, que l'auteur devait être en mauvais termes avec l'une ou l'autre) que de me libérer de modèles littéraires d'apprenti, particulièrement de la redoutable autorité universitaire de Henry James, dont le Portrait of a Lady avait été virtuellement un guide au moment des premiers jets de Letting Go, te de l'exemple de Flaubert, dont la distante ironie à l'endroit des désillusions, désastreuses d'une provinciale m'avait conduit à feuilleter obsessionnellement les pages de Madame Bovary pendant les années où je cherchais le perchoir d'où observer les gens dans When She was good. »
Quand Philip Roth se met en scène dans ses romans (extrait d'une interview de lesinrocks.com)
" Quand je me fais apparaître dans Patrimoine en 1991, par exemple, c’est parce qu’il s’agit d’un livre sur la mort de mon père, sur ma famille, pas d’un livre de fiction. Donc il me semble normal d’y apparaître en tant que moi-même. Dans Tromperie en 1990, le sujet est l’adultère, et je m’interrogeais sur la façon d’apporter quelque chose de neuf à un tel sujet qui ne choque plus personne. Alors j’ai voulu rendre ce sujet "inconfortable", le restituer tel qu’il est pour moi… Donc aucun des personnages n’a de nom, sauf moi. Je me suis inspiré d’écrivains européens, tel Gombrowicz, qui fait apparaître un certain Witold dans La Pornographie et lui fait jouer le rôle de voyeur, pour amplifier la chute morale. La situation morale du livre me dicte de m’y faire apparaître ou pas.
Dans Le Complot contre l’Amérique en 2004, j’utilise ma famille et donc mon nom, car l’idée consistait à changer l’histoire des Etats-Unis – Roosevelt perd les élections, et un type d’extrême droite les gagne. Ça allait donc changer quelque chose, mais pour qui ? J’ai pensé : pour ma famille, qui est juive. D’un côté, tout était inventé, et pour contrebalancer ça, tout se fondait sur une certaine réalité. Je me suis également introduit dans Opération Shylock pour des questions de méthode. Car la méthode, c’est tout. Il faut se demander "Comment dire une histoire ?". Cela doit être à chaque fois nouveau. Et si ça ne l’est pas aux yeux du monde, ça doit l’être au moins pour moi. "
Philip Roth et le prix Nobel
Ce que pourrait être le type de communiqué (d'après le site slite.com) du Comité Nobel si Philip Roth recevait (enfin) ce prix : «
Pour son oeuvre romanesque riche et puissante, qui, à partir de racines
inscrites dans la tradition juive américaine, reflète avec réalisme et
une profonde humanité, la condition universelle de l'artiste confronté
au passage du temps » .
Notes et références
[3] « Peter Tarnopol » est le héros de son roman « Ma vie d’homme » et des aléas du mariage
[4] Le cycle « David Kepesh » comprend « Le sein », « Professeur de désir » et « La bête qui meurt »
[5] Voir aussi « Patrimoine » paru en 1991 qui conte la dernière année de la vie de son père Herman
Toutes mes fiches sur Philip Roth
* Indignation : le syndrome du fils unique -- La tache -- Les faits --
* Roth interview Kundera Philip Roth et Milan Kundera
* Mon texte intitulé Philip Roth et Milan Kundera
* Ses romans La bête qui meurt, L'indignation
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