Yasunari Kawabata (1899-1972), prix Nobel de littérature en 1968 et Yukio Mishima (1925-1970)
Référence : Kawabata et Mishima Correspondance, traduit du japonais et annoté par Dominique Palmé, éditions Albin Michel, 1997, 298 pages, Livre de poche "Biblio", 224 pages
« Tout artiste qui aspire au vrai, au bien et au beau comme objet ultime de sa quête est fatalement hanté par le désir de forcer l'accès difficile du monde des démons, et cette pensée, qu'elle soit apparente ou dissimulée, hésite entre la peur et la prière. » Yasunari Kawabata
« ... il suffit de peu de choses pour changer un homme. » Yukio Mishima (page 100)
On a souvent mis en lumière -et donner beaucoup d'importance- au fait qu'ils se sont tous deux suicidés à deux années d'intervalle mais reste à évaluer la valeur de cette constatation. Kawabata est son aîné et il a remarqué Hiraoka Kimitake, le véritable nom de Mishima alors qu'il a à peine vingt ans et publie ses premiers écrits. Ils ressentent donc dès l'origine une vraie connivence d'écrivains, ont une relation spirituelle père-fils.
Kawabata aux funérailles de Mishima
Au début 1945, un certain Hiraoka Kimitake envoie son premier récit à l'écrivain reconnu, auteur de romans à succès comme "La danseuse d'Izu" ou "Pays de neige" qu'est Kawabata. Premier échange épistolaire. Kawabata lui répond en mars 1945 : « Noda m'a fait transmettre aujourd'hui votre ouvrage "La forêt en fleurs", dont je vous remercie. J'avais eu l'occasion d'en parcourir une partie dans "Bungei bunka", où votre style m'avait déjà beaucoup intéressé, aussi je me réjouis de pouvoir le lire dans sa totalité ».
Cette correspondance publiée en 1997 a duré un quart de siècle de 1945 à 1970, année de la mort de Mishima.
Ce qui est intéressant dans leur relation épistolaire, est une tonalité
très différente due sans doute à leur personnalité et leur différence
d'âge. Chez Mishima, il s'agit plutôt d'une fringale brouillonne et poignante, tour à tour exalté et désespéré et chez Kawabata une certaine lassitude comme si tout ce qu'il avait vécu avait érodé ses croyances et qui écrit que « le jour tombe et le but semble encore loin.»
Et effectivement, Kawabata souffre de la vésicule, d'insomnies et ne parvient plus à écrire. Malgré leurs différences aussi bien dans l'écriture que dans leur tempérament, ils se retrouvaient dans cette ultime vérité d'une la beauté prise entre fascination et désespoir.
Si Les premières lettres sont le plus souvent de Mishima (des 16 premières lettres 15 sont de Mishima) qui s’épanche, évoque surtout son travail, sa vie d’alors et rend hommage au "maître" dans plusieurs longues lettres, les relations épistolaires sont ensuite plus équilibrées. (Kawabata envoie par exemple 3 lettres de suite à Mishima en 1953-54)
Mishima, qui s'était mis en scène dans son roman autobiographique Confession d'un masque, deviendra la grande figure littéraire du Japon d'après-guerre. Mais, la connivence entre les deux écrivains est toujours là, intacte, et Mishima malgré sa notoriété, recommandera Kawabata au Jury du prix Nobel en 1961.
Mishima parle à Kawabata de ses conceptions en matière littéraire sur l'expérience vécue qui est « une expérience portée par fermentation, à un niveau symbolique [...] L'expérience dite "brute" se change en symbole grâce à l'action exercée sur elle par le temps intérieur. » ("fermentation" avec ses phases d'élimination, de sélection, de transformation chimique) « L'expérience artistique est une expérience singulière résultant d'une sélection faite à partir d'éléments a priori. » Concernant l'évolution du style Mishima pense que « faire du nouveau doit pouvoir signifier "chanter avec le calme impavide d'un idiot, les instants absurdes et vertigineux qui composent les pages de notre temps". »
Leur indéfectible amitié se traduit par exemple au début des années soixante, non seulement par la lettre de soutien à la Commission de recommandation pour le prix Nobel qu'écrit Mishima, tandis que Kawabata intervient en sa faveur auprès de ses pairs du Pen club et de la Société des gens de lettres. En l'occurrence, Mishima avait été accusé d'atteinte à la vie privée par l'ancien ministre des Affaires étrangères Arita Hachirô, qu'il avait pris comme modèle dans son roman "Après le banquet". (Mishima perdra d'ailleurs le procès qui suivit)
Cette amitié se concrétise aussi dans la vie quotidienne par des cadeaux que s'échangent les deux écrivains. Par exemple Kawabata écrivant dans une lettre du 18 décembre 1953 « j'ai bien reçu aujourd'hui le superbe saumon que vous nous offrez pour les fêtes. Merci de tous les cadeaux dont vous me comblez », puis lui écrivant quand il reçut le prix Shinchôshe pour "Le tumulte des flots", « c'est à vous que je dois le prix que je viens de recevoir. » Ils s'envoient non seulement leurs oeuvres récemment éditées mais par exemple, s'envoient des billets de spectacle. (lettre du 11 février 1955) A son tour, Mishima offre à son ami « une lampe de bureau très originale, » qui le remercie en lui écrivant « ma femme comme moi, est confuse de voir que vous nous couvrez ainsi de cadeaux. » (lettre du 22 décembre 1955)
Lors de la cérémonie des obsèques de Mishima que préside Kawabata, ce dernier tint à lire un extrait d'une lettre d'août 1969 dans laquelle Mishima parle de l'honneur de sa famille après sa mort, de ses enfants à préserver, étant écrit-il « sûr que vous êtes la seule personne à pouvoir les préserver de cela, je m'en remets entièrement à vous pour l'avenir ».
Quelques oeuvres de Mishima
Voir aussi
* Biographie de Yukio Mishima et Biographie de Yasunari Kawabata
* Ma présentation de l'écrivain japonais Kenzaburo Oe
* Mes autres fiches sur Mishima
- Yukio MISHIMA à Tokyo
- Marguerite Yourcenar : Yukio Mishima
<< Christian Broussas – Kawa/Mishima - Feyzin, 18 mai 2014 © • cjb • © >>
Référence : Kawabata et Mishima Correspondance, traduit du japonais et annoté par Dominique Palmé, éditions Albin Michel, 1997, 298 pages, Livre de poche "Biblio", 224 pages
« Tout artiste qui aspire au vrai, au bien et au beau comme objet ultime de sa quête est fatalement hanté par le désir de forcer l'accès difficile du monde des démons, et cette pensée, qu'elle soit apparente ou dissimulée, hésite entre la peur et la prière. » Yasunari Kawabata
« ... il suffit de peu de choses pour changer un homme. » Yukio Mishima (page 100)
On a souvent mis en lumière -et donner beaucoup d'importance- au fait qu'ils se sont tous deux suicidés à deux années d'intervalle mais reste à évaluer la valeur de cette constatation. Kawabata est son aîné et il a remarqué Hiraoka Kimitake, le véritable nom de Mishima alors qu'il a à peine vingt ans et publie ses premiers écrits. Ils ressentent donc dès l'origine une vraie connivence d'écrivains, ont une relation spirituelle père-fils.
Kawabata aux funérailles de Mishima
Au début 1945, un certain Hiraoka Kimitake envoie son premier récit à l'écrivain reconnu, auteur de romans à succès comme "La danseuse d'Izu" ou "Pays de neige" qu'est Kawabata. Premier échange épistolaire. Kawabata lui répond en mars 1945 : « Noda m'a fait transmettre aujourd'hui votre ouvrage "La forêt en fleurs", dont je vous remercie. J'avais eu l'occasion d'en parcourir une partie dans "Bungei bunka", où votre style m'avait déjà beaucoup intéressé, aussi je me réjouis de pouvoir le lire dans sa totalité ».
Le futur Mishima lui répond à son tour 8 jours plus tard : « Loin
de me blâmer de l'impolitesse avec laquelle je vous ai fait parvenir
inopinément mon livre, l'autre jour, par l'intermédiaire de M. Noda,
vous m'avez adressé une lettre très aimable dont je vous remercie
infiniment ». Ainsi naît cette connivence et le respect entre ces deux écrivains majeurs malgré les heurs de la vie.
Et effectivement, Kawabata souffre de la vésicule, d'insomnies et ne parvient plus à écrire. Malgré leurs différences aussi bien dans l'écriture que dans leur tempérament, ils se retrouvaient dans cette ultime vérité d'une la beauté prise entre fascination et désespoir.
Si Les premières lettres sont le plus souvent de Mishima (des 16 premières lettres 15 sont de Mishima) qui s’épanche, évoque surtout son travail, sa vie d’alors et rend hommage au "maître" dans plusieurs longues lettres, les relations épistolaires sont ensuite plus équilibrées. (Kawabata envoie par exemple 3 lettres de suite à Mishima en 1953-54)
Mishima, qui s'était mis en scène dans son roman autobiographique Confession d'un masque, deviendra la grande figure littéraire du Japon d'après-guerre. Mais, la connivence entre les deux écrivains est toujours là, intacte, et Mishima malgré sa notoriété, recommandera Kawabata au Jury du prix Nobel en 1961.
Mishima parle à Kawabata de ses conceptions en matière littéraire sur l'expérience vécue qui est « une expérience portée par fermentation, à un niveau symbolique [...] L'expérience dite "brute" se change en symbole grâce à l'action exercée sur elle par le temps intérieur. » ("fermentation" avec ses phases d'élimination, de sélection, de transformation chimique) « L'expérience artistique est une expérience singulière résultant d'une sélection faite à partir d'éléments a priori. » Concernant l'évolution du style Mishima pense que « faire du nouveau doit pouvoir signifier "chanter avec le calme impavide d'un idiot, les instants absurdes et vertigineux qui composent les pages de notre temps". »
Leur indéfectible amitié se traduit par exemple au début des années soixante, non seulement par la lettre de soutien à la Commission de recommandation pour le prix Nobel qu'écrit Mishima, tandis que Kawabata intervient en sa faveur auprès de ses pairs du Pen club et de la Société des gens de lettres. En l'occurrence, Mishima avait été accusé d'atteinte à la vie privée par l'ancien ministre des Affaires étrangères Arita Hachirô, qu'il avait pris comme modèle dans son roman "Après le banquet". (Mishima perdra d'ailleurs le procès qui suivit)
Cette amitié se concrétise aussi dans la vie quotidienne par des cadeaux que s'échangent les deux écrivains. Par exemple Kawabata écrivant dans une lettre du 18 décembre 1953 « j'ai bien reçu aujourd'hui le superbe saumon que vous nous offrez pour les fêtes. Merci de tous les cadeaux dont vous me comblez », puis lui écrivant quand il reçut le prix Shinchôshe pour "Le tumulte des flots", « c'est à vous que je dois le prix que je viens de recevoir. » Ils s'envoient non seulement leurs oeuvres récemment éditées mais par exemple, s'envoient des billets de spectacle. (lettre du 11 février 1955) A son tour, Mishima offre à son ami « une lampe de bureau très originale, » qui le remercie en lui écrivant « ma femme comme moi, est confuse de voir que vous nous couvrez ainsi de cadeaux. » (lettre du 22 décembre 1955)
Lors de la cérémonie des obsèques de Mishima que préside Kawabata, ce dernier tint à lire un extrait d'une lettre d'août 1969 dans laquelle Mishima parle de l'honneur de sa famille après sa mort, de ses enfants à préserver, étant écrit-il « sûr que vous êtes la seule personne à pouvoir les préserver de cela, je m'en remets entièrement à vous pour l'avenir ».
Quelques oeuvres de Mishima
Voir aussi
* Biographie de Yukio Mishima et Biographie de Yasunari Kawabata
* Ma présentation de l'écrivain japonais Kenzaburo Oe
* Mes autres fiches sur Mishima
- Yukio MISHIMA à Tokyo
- Marguerite Yourcenar : Yukio Mishima
<< Christian Broussas – Kawa/Mishima - Feyzin, 18 mai 2014 © • cjb • © >>
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire