Kamel Daoud
L'écrivain-journaliste algérien Kamel Daoud qui tient des chroniques dans « Le quotidien d’Oran » , a tricoté dans son roman une variation autour du roman d'Albert Camus « L’étranger » déclinée par le frère de la victime.
Si chez Camus, Meursault le tueur est aussi le narrateur, ici c'est Haroun le frère cadet de la victime qui prend la parole pour tenter de comprendre le meurtre de son frère Moussa. Au nom de la justice, non que Meursault n'ait été condamné, mais cette fois pour de "bonnes" raisons, et non comme dans le livre de Camus, pour "n'avoir pas pleuré à l'enterrement de sa mère". Pour une raison plus intime dans cette Algérie meurtrie par la guerre civile, « je veux m’en aller sans être poursuivi par un fantôme.
Je crois que je devine pourquoi on écrit les vrais livres. Pas pour se
rendre célèbre, mais pour mieux se rendre invisible, tout en réclamant à
manger le vrai noyau du monde. »
Haroun, miné par la frustration, ressasse sa solitude soir après soir dans un bar d'Oran, il en veut aux hommes qui se donnent à un dieu et exprime son incompréhension, sa déception face à l'évolution de l'Algérie. Lui aussi se sent de plus en plus un étranger dans son propre pays et voit venir sa fin comme une délivrance. Le roman est construit comme une longue litanie, un monologue qui se passe dans un bar, à la manière dont Camus a conçu son récit La Chute, où Jean-Baptiste Clamence soliloque en battant sa coulpe dans un bar d'Amsterdam.
C'est aussi le roman de la solitude, de l'absence, ce frère qu'Haroun a à peine connu ce frère, et pourtant toujours si présent. Il se souvient de sa mère inconsolable, prostrée, vivant avec le disparu plus qu'avec lui, son fils vivant. Il évoque sa jeunesse saccagée, le corps disparu d'un deuil impossible, ce rêve fou de sa mère que lui, le fils cadet, devienne ce fils disparu, « que veux-tu qu’un adolescent fasse ainsi piégé entre la
mère et la mort ? »
C'est donc aussi un roman sur une identité écartelée entre son frère et lui, sur l'absence insupportable qui oblige à fuir une réalité qui est niée.
Haroun, devenu maintenant un vieil homme soixante dix ans après le procès de Meursault, aime tout particulièrement ce verset du Coran : « Si vous
tuez une seule âme, c'est comme si vous aviez tué l'humanité entière ». Derrière cet aveu, c'est son pays que Daoud vise, un pays où la corruption du pouvoir se généralise, justifiant en quelque sorte l'obscurantisme tragique des islamistes.
Voir aussi mes articles sur les parutions 2014
* Patrick Modiano, Pour que tu ne te perdes pas dans le quartier.
* Frédéric Beigbeder, Oona et Salinger -- Patrick Deville, Viva
* David Foenkinos, Charlotte.
* Elisabeth Filhol, Bois II.
<> CJB Frachet - Daoud - Feyzin - 15 octobre 2014 - <><> • © • cjb • © •• <>
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